Pénuries alimentaires : Saïed promet une guerre contre les spéculateurs

 Pénuries alimentaires : Saïed promet une guerre contre les spéculateurs

« Ce sera une guerre sans merci contre ceux qui tentent de toucher au pain du peuple ! », a promis le président de la République Kais Saïed tard dans la nuit depuis le ministère de l’Intérieur, lieu dans il revendique ouvertement la symbolique répressive.

 

« Ce ne sont pas des circuits de la distribution mais des circuits qui affament les Tunisiens », aime à marteler Saïed depuis plusieurs mois. Dans une vidéo publiée par la page officielle de la présidence mercredi 9 mars à l’aube, le chef de l’Etat a annoncé face à un parterre d’officiers et de directeurs généraux de la sûreté le passage à l’action contre un ennemi qu’il ne nomme pas vraiment, estimant qu’il est « connu de tous ».

On devine, par déduction, que ce discours vindicatif qui plaît à une majorité de Tunisiens d’après les sondages, vise les spéculateurs et revendeurs qui profitent de la subvention par l’Etat tunisien de denrées alimentaires de base, afin de les stocker en grandes quantités et disposer ainsi d’un levier pour tarir le marché au besoin et manipuler les prix à la consommation.

Mais la rhétorique présidentielle va plus loin : puisant constamment dans le registre du complot, elle prête à la main invisible des spéculateurs des desseins politiques de déstabilisation du pays, de sorte de provoquer une colère des citoyens redirigée vers le pouvoir post 25 juillet. Pourtant la spéculation, chronique en Tunisie spécialement à l’approche du mois du ramadan, ne date pas d’aujourd’hui. Et nul besoin d’être un expert en géopolitique pour comprendre que l’actuel conflit militaire russo-ukrainien ne fait qu’aggraver une situation en réalité mondiale s’agissant de la flambée du prix des céréales. Une denrée dont l’essentiel provient des importations en Tunisie depuis plusieurs années.

Les grandes surfaces rationnent désormais la vente aux particuliers. Photo LCDA

 

Une vision réductrice d’un problème complexe ?

Qu’à cela ne tienne, Saïed affirme sans sourciller : « Un décret relatif aux circuits de famine les rétablira en circuits de distribution… De telles spéculations n’ont pas eu lieu en décembre 2010 et durant les mois suivants. Nous n’avons pas observé cela après le 14 janvier 2011. Ceci signifie qu’il s’agit d’un acte humain ! », a-t-il déclaré, selon un authentique syllogisme argumentatif.

Pour l’éditorialiste Marouen Achouri, « Kaïs Saïed ne fait qu’effleurer le problème en tentant d’y apporter une réponse uniquement sécuritaire et répressive. Dans le meilleur des cas, il réussira à mettre les spéculateurs en prison, ce qui serait une réalisation importante. Mais le système qui produit des spéculateurs et favorise le monopole sera préservé et en produira d’autres ».

Désireux de prendre à témoin les médias, le propriétaire d’un restaurant dans le quartier huppé des Berges du Lac de Tunis a pris contact avec nous pour nous alerter sur ce qu’il a qualifié de « kabbale » et de « chasse aux sorcières ». « Nous allons ouvrir une seconde adresse sous peu, alors j’ai entrepris d’entreposer les achats de nourriture destinés à ce deuxième restaurant dans nos actuels entrepôts. Visiblement sous l’effet d’une délation, des agents accompagnés de la TV nationale se sont présentés mercredi pour saisir cette marchandise, malgré la présentation de factures en bonne et due forme », déplore le commerçant, désespéré.

Pour Houssem Eddine Touati, directeur général de la concurrence et des enquêtes économiques au ministère du Commerce, le tarissement récemment constaté s’agissant de plusieurs produits dont le riz, le sucre, la farine et les huiles végétales reste « incompréhensible », mais « sans doute grandement imputable à l’irrationnel état de panique et d’anxiété des consommateurs qui se procurent des quantités bien au-delà de leurs besoins réels ».

« Il s’agit d’un problème de distribution dans la mesure où nous n’arrivons plus à subvenir à ces pics », souligne le responsable qui rappelle que 5 mille tonnes de farine et de semoule sont injectées quotidiennement sur le marché tunisien, 1000 tonnes de sucre, et 120 tonnes de riz, contre 60 en temps normal.

Seif Soudani