Tunisie – « Est souverain le décideur de l’état d’exception »

 Tunisie – « Est souverain le décideur de l’état d’exception »

Des citoyens tunisiens venus nombreux devant le siège de la délégation de Mnihla dans le gouvernorat d’Ariana


Le gouvernement tunisien est appelé par tous, acteurs et opinion, à faire preuve d’autorité dans la gestion du confinement, où quelques graves laxismes, néfastes à la santé de tous, sont apparus dans quelques zones.


Il ne suffit pas pour un gouvernement d'avoir une stratégie de confinement, ou même de savoir la présenter et de la justifier verbalement, encore faudrait-il la réaliser comme fait établi. La politique, c'est justement ce passage chronologique et logique de la décision politique à l'acte public et social. Autrement, les soins communicationnels risquent de prévaloir sur la volonté politique de changer l’ordre social dans une phase pourtant cruciale. Si la décision politique ne parvient pas à changer cet ordre social, et n’accède pas à la réalité sociale, elle n’est plus décision applicable, mais décision formelle, pour ne pas dire, pas décision du tout. On n’est plus dans l’exceptionnalité, à supposer que dans la normalité, la décision était plus fluide.


Il faut savoir définir notre situation ou notre « statut » pandémique. Est-on en guerre à travers cette pandémie aussi mortelle que funèbre? Certainement oui. Est-on dans une lutte exceptionnelle de vie et de mort, de salut national (et mondial même) ? Certainement oui. L’Etat est-il alors en droit de prendre des mesures exceptionnelles, provisoirement limitatives de liberté ? Oui certainement. Et il les a prises du Parlement. Il ne faut pas être clerc pour constater que cette guerre a déjà causé dans les pays et dans le monde beaucoup plus de victimes que dans les champs de bataille. Certes, il est facile de dire qu’à situation exceptionnelle, traitement exceptionnel. Mais, le gouvernement tunisien ne montre pas beaucoup de résolution sur le plan politique. C’est comme si l’Etat n’arrivait pas encore à se décider, comme le pyrrhonisme politique des sceptiques, alors que la situation nécessite des décisions urgentes, fortes et d’autorité. Carl Schmitt n’a pas tort quand il disait : « Est souverain celui qui peut décider de la situation d’exception » (Théologie politique, p.14), et que, « L’exception est plus intéressante que le cas normal. Le cas normal ne prouve rien, l’exception prouve tout » (p.25), même s’il n’était pas sans complaisance pour le régime fasciste allemand. En tout cas, si on est en guerre, il faut savoir que la guerre est l’acte politique par excellence. On est dans l’hostilité suprême. Car pour exister soi-même, voire survivre, il faut repérer son ennemi et le combattre, soldat ou virus. Dans une guerre, c’est l’État seul qui peut fixer les moyens de la conduire. L’ennemi est connu de tous, et désigné solennellement par l’Etat. On est dans un combat d’un peuple et de son gouvernement pour la survie. Toute faute, tout retard, toute indétermination retentit négativement sur la survie de ce peuple. Il faut supposer d’un côté, que l’Etat incarne l’institutionnel ; et d’un autre côté, que l’individu est un être indéterminé, versatile, qui a besoin d’un repère institutionnel ordonné et non confus ou flexible.


On ne défend pas le confinement par le déconfinement, comme on ne défend pas une stratégie par une contre-stratégie. Le confinement en Tunisie ressemble fort dans les mœurs tunisiennes à un déconfinement relatif, une sorte d’anticipation de la prochaine étape. Quand on sera dans l’étape suivante du déconfinement relatif, on sera alors à ce rythme, et selon cette logique aberrante, dans le déconfinement absolu, c’est-à-dire dans l’état normal, avant même la normalité. On veut bien croire que la mise en place du gouvernement est toute récente, que le nouveau gouvernement a été soudainement confronté comme nous tous, comme le monde entier, à la pandémie. La différence entre le gouvernement et nous, les citoyens, c’est que, lui, il est responsable politiquement de la communauté dans son ensemble. Même si la responsabilité incombe en partie aux citoyens, aux confinés, censés faciliter le travail gouvernemental par leur discipline et civisme.


Quelle que soit la responsabilité des citoyens indisciplinés, l’action principale relève du gouvernement, surtout dans une situation exceptionnelle. L’Etat doit orienter les comportements, encadrer, persuader, et à défaut sévir. C’est lui qui dispose des moyens de coercition, pas les individus. C’est lui l’ordonnateur du droit, pas les individus. C’est lui qui doit assurer la coordination des ministères et des services, malgré les difficultés du confinement. Malheureusement, la coordination n'a pas été la principale qualité du gouvernement Fakhfakh dans la gestion de la crise. Le corps médical a fait preuve de savoir et d’abnégation, avec les moyens dont il dispose, mais on aimerait que notre gouvernement manifeste du savoir-faire. On peut réaliser une bonne stratégie avec peu de moyens. D'autres pays, plus affectés que la Tunisie, sont en train de mettre en pratique la stratégie planifiée contre la pandémie à la lettre, et les résultats du confinement leur donnent raison. Distribuer les 200 dinars à ceux qui en ont besoin dans la foule est scandaleux. Cela donne raison à d'autres, qui voient tout dans les réseaux sociaux, de sortir dans la rue. Même si dans certaines communes un ordre et une distance ont été établis dans les files d’attente devant la poste, cela reste non conforme à la politique de confinement et un prétexte supplémentaire à la contagion, dont l’Etat est responsable, parce que maître de la stratégie. Les Italiens ont fait dans le cadre des autorités communales du porte-à-porte pour verser les 350 euros d'aide déboursée par le gouvernement. Question de limiter les dégâts. Les agents de la Steg connaissent par exemple les habitants dans leurs secteurs, maison par maison, pourquoi ne pas les solliciter pour la distribution ?


Le gouvernement tunisien gagne à regarder d’un seul côté dans sa lutte contre la pandémie. Eviter, comme cela semble le cas, que le ministre de la santé regarde un côté, le ministre des affaires sociales d'un autre côté et les ministres de l'intérieur et de la défense d’un autre. La stratégie n’est pas une liste d’énumération de décisions planifiées, elle est encore coordination quotidienne des différents ministres. C’est ici que se situe la responsabilité du chef du gouvernement Fakhfakh. Il lui revient d'imposer d'autorité la coordination et les principes de base de la stratégie. Le chef du gouvernement définit après tout la politique de l’Etat. L’obligation de résultat est en l’espèce liée à l’obligation de moyen. Moyens imposés par l’Etat dans la lutte contre ce fléau. Le gouvernement ne peut continuer de manifester de la déception vis-à-vis de l’indiscipline des Tunisiens, dont il est en partie responsable. Il doit baliser la route, la seule route possible, et amener les citoyens à obtempérer à ses ordres.


C’est à lui de faire comprendre aux inciviques, aux inconscients et aux naïfs, peu importe le qualificatif, que la sécurité absolue ou le remède absolu à ce virus n’étant pas entre les mains des services de santé ou du gouvernement seul, que chacun d’entre nous ne peut prendre que 50% de précaution. Les 50% restants, on est en droit de les attendre des autres. L’enfer, c’est nous et les autres en même temps, la délivrance aussi face à un péril commun.

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