Point de vue-Tunisie. Quelles garanties avons-nous aux prochaines élections présidentielles ?

 Point de vue-Tunisie. Quelles garanties avons-nous aux prochaines élections présidentielles ?

(Photo par FETHI BELAID / AFP)

Les prochaines élections présidentielles ne semblent pas se dérouler dans un climat de clarté, de neutralité, avec un débat public respectueux du pluralisme. Une élection survenant après un coup d’Etat, emprisonnement et persécution, durcissement du régime et crise économique. 

 

Les électeurs tunisiens se posent légitimement la question sur les garanties de neutralité, d’impartialité, de fair-play et sur la nature du pluralisme, envisagés aux prochaines élections présidentielles. Ils sont d’autant plus inquiets que la prochaine élection présidentielle survient après un coup d’Etat (du 25 juillet) déclenché par le président de la République lui-même et un durcissement du régime, Kais Saied, élu en 2019 dans un système démocratique, en violation de la Constitution, en mettant un terme à l’Etat de droit de 2014 et à toutes les institutions de l’Etat, l’une après l’autre. A-t-on jamais vu un autocrate lâcher du lest ?

 

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Les Tunisiens sont inquiets, d’abord parce que l’état des droits et des libertés est remis en cause dans un climat politique délétère de type autoritaire. On est passé à ce sujet, d’une juridicisation outrancière de la transition démocratique à une judiciarisation dramatique de la vie politique sous la démocrature du jour. Une ère où les opposants et les concurrents sont dans les geôles, sans droits de défense, pourtant un des principes de base de justice: un procès juste et équitable suppose à l’évidence la confrontation des prétentions des deux parties. Ce n’est que dans ce cas que le juge peut être considéré comme un tiers arbitre. Il n’y a pas de procès unilatéral au bénéfice d’une seule partie, ici l’Etat. En l’espèce le procès des opposants, pour la plupart, n’a même pas eu lieu.

Les Tunisiens sont ensuite inquiets, parce qu’une improvisation préméditée submerge l’organisation de cette échéance symbolique qu’est l’élection présidentielle, dans un régime de surcroît présidentialiste.

 

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D’après l’article 89 de la Constitution de 2022 (de Saied), « La candidature au poste de Président de la République est un droit reconnu à tout Tunisien ou Tunisienne, qui n’est pas titulaire d’une autre nationalité, né(e) de père et de mère, de grands-parents paternel et maternel tunisiens, demeurés tous de nationalité tunisienne sans discontinuité… Le candidat ou la candidate doit être, au jour du dépôt de sa candidature, âgé(e) de quarante ans au moins et jouir de ses droits civils et politiques. La candidature est présentée à l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) selon les modalités et conditions prévues par la loi électorale ».

Cela veut dire, d’une part, que la Constitution est la source des droits des candidats aux élections, de tous les candidats, président en exercice ou candidats de l’opposition ou indépendants ; et d’autre part, que toute contradiction postérieure doit être résolue au bénéfice de la Constitution en raison de la suprématie de cette dernière sur toutes les normes inférieures, en l’espèce sur la loi électorale ou modalités inventées par l’Isie.

Cela veut dire que les modifications postérieures restrictives de la loi électorale, ajoutant des conditions ou des modalités nouvelles, durcissant les modalités et procédures de candidature ne doivent pas être prises en considération, surtout en l’absence de cour constitutionnelle, dont les raisons du refus de sa mise en place s’avèrent encore édifiantes. Ces conditions seront considérées comme la volonté du pouvoir, déjà juge et partie, de ne pas accepter de jouer le « jeu » électoral, en en faisant un plébiscite réglée à l’avance, surtout que le deuxième tour risque d’être défavorable au pouvoir. Le président Saied n’a plus de force politique agrégative dans le pays en raison de l’exercice martial de son pouvoir, en dépit des apparences populistes.

 

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On se souvient des mesures restrictives transitoires adoptées par le régime de Ben Ali, à la veille des échéances électorales, contre les candidats de l’opposition qui ne voulaient pas jouer aux marionnettes (Ahmed Mestiri, Nejib Chebbi, Mohamed Moâada), en diminuant l’âge maximal requis de candidature ou en renforçant l’ancienneté dans la direction du parti ou en utilisant d’autres procédures de circonstance. Les dictateurs sont beaucoup plus hantés par la peur de perdre (de tout perdre) qu’ils ne manifestent le courage de gagner (comme en démocratie).

Ainsi, entre l’emprisonnement des candidats potentiels et les pressions exercées contre les candidats « libres » et contre les journalistes et les médias manifestant quelques velléités professionnelles et démocratiques, le pouvoir voudrait nager dans une île déserte, affronter un ciel libre, stérile, vidé de tous les « traîtres » et « complotistes », nuisibles à leur pays. Les candidats seront ainsi « choisis » à la tête du client. Ce n’est plus l’électeur qui choisit l’élu, mais l’élu qui choisit indirectement l’électeur (à travers le tri des candidats).

Tout le monde a appris que dans un système représentatif, non dynastique, non monarchique, non cooptatif, c’est le peuple qui décide en dernier lieu, il confirme ou il infirme, il a le droit même de choisir le faible contre le fort. Et le peuple ne peut « décider » en dernier ressort qu’après avoir exercé son choix au préalable. Dans la logique de ce système, on pourra choisir encore le type d’électeur lui-même selon ses couleurs politiques ou selon qu’il fait partie ou non du giron de Saied.

Un membre de l’ISIE a déjà déclaré récemment (ballon d’essai ?) que les candidats qui ont défendu la Constitution de 2014 (c’est-à-dire l’Etat de droit) ne seront pas acceptés. Au nom de quelle Constitution ? Cela veut dire ici que l’élection n’est plus un moyen de choisir ses gouvernants, mais un moyen pour changer de régime, et même de transformer une démocratie naissante en une terrible dictature (est-ce la fin de la démocrature elle-même ?).

On a aboli le principe de « l’indétermination démocratique », cher à Claude Lefort. L’élection est bien aporétique : ou elle assume les confrontations ou elle est vouée à disparaître. Autrement, mieux vaut choisir un autre modèle, dynastique ou monarchique et abolir le système représentatif. Après la dénaturation du régime politique, on aurait dénaturé le système représentatif et électoral, pour ne pas dire le régime républicain en entier.

 

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L’élection reste un moyen de faire l’unité dans la diversité. La réalité du peuple balance naturellement entre l’un et le multiple. Il ne s’agit pas d’une hypothétique unité dans l’unité, alibi des régimes autoritaires, voyant la désunion partout, même dans l’entourage du pouvoir. Car l’unité dans l’unité s’appellerait dans ce cas « unicité », et non « unité ». J-J. Rousseau lui-même s’est aperçu des failles de son système et a reconnu qu’il ne peut pas y avoir de volonté unanime. « La volonté populaire » ne peut être qu’une « volonté générale », comme il l’appelait, une volonté issue d’une délibération, départageant nécessairement un avis majoritaire et un avis minoritaire.

Dans notre cas d’espèce, cette volonté générale est conditionnée, d’une part par la liberté de candidature sur la base de la Constitution ; et d’autre part, par la présentation authentique des candidatures et l’expression libre des individus à la base. Autrement, ce serait non pas les candidats et les électeurs, mais l’élection elle-même qui aurait trahi le peuple.

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Hatem M'rad