Quand l’ultradroite rêve de guerre à l’islam

 Quand l’ultradroite rêve de guerre à l’islam

Les partisans du parti néonazi grec Aube dorée brandissent une bannière “Stop Islam” lors d’un rassemblement commémorant la chute de Constantinople


La “dédiabolisation” chère à Marine Le Pen ne fait pas l’unanimité au sein de l’extrême droite française. Ces derniers mois, plusieurs groupes d’activistes ont été démantelés. Armés, ils entendaient passer à l’action. Notamment contre des musulmans.


D’abord, une voiture qui fonce dans un groupe de jeunes réunis dans un espace public d’un quartier de Beaune, en Côte d’Or, et en blesse légèrement quelques-uns. Puis, trois heures plus tard, un autre véhicule survient : ces mêmes jeunes se font tirer dessus au fusil de chasse. Bilan : sept blessés, dont deux sérieusement. Les victimes de cette double agression survenue dans la nuit du dimanche au lundi 31 juillet, dont certaines étaient encore hospitalisées une semaine après les faits, disent avoir été traitées de “bougnoules qui n’avaient rien à faire dans ce pays”. On peut décider, et cela a semblé être le choix de nombreux médias dans les jours qui ont suivi, de considérer cette véritable ratonnade comme un acte raciste isolé. On peut aussi, et cela soulève d’autres questions, le relier à au moins deux évènements survenus ces derniers mois en France.


 


Une dizaine d’interpellations


Dans la nuit du 24 juin dernier, dix personnes liées à la mouvance d’ultradroite française étaient interpellées par la police. Rattachés à un groupuscule baptisé Réveil patriote / Action des forces spéciales (AFO), cette dizaine d’hommes et une femme, âgés de 32 à 69 ans, vivaient dans plusieurs régions de France. Parmi eux, se trouvaient un policier retraité et un ancien militaire. Plus d’une trentaine d’armes et des munitions ont été débusquées dans leurs habitations. Contre qui devaient-elles être utilisées ? D’après les enquêteurs cités par Le Monde, ils souhaitaient s’en prendre à “des personnes de confession musulmane”. Plus précisément, ils “étaient organisés et en lien pour éventuellement commettre des actions violentes contre des cibles présumées en lien avec l’Islam radical”(1).


Un projet que dément Guy Sibra, mis en examen le 27 juin pour “association de malfaiteurs terroriste criminelle” dans cette affaire. Dans un entretien accordé au Parisien, cet ancien policier de 65 ans assure qu’AFO forme ses membres “à se défendre via des stages de ­survivalisme ou de premiers secours” et réfute avoir eu connaissance de “projets d’attentats contre des cibles liées à l’Islam”. Ce serait, selon lui, “stratégiquement ­débile et contre-productif”(2).


Pourtant, un laboratoire de fabrication d’explosifs a bien été trouvé chez l’un des membres du groupe, résidant dans les Yvelines. Et les images présentes sur leur site, Guerre de France, sont sans équivoque : les membres d’AFO rêvent d’en découdre à grande échelle. La scène de soldats en train de descendre au pied d’une tour Eiffel transformée en champ de bataille, qui ornait la page d’accueil avant les arrestations de juin, a ensuite été remplacée par la photo d’une colonne de militaires évoluant dans un champ de ruines. C’est sur cette représentation guerrière que s’ouvrait début août le site, remis en ligne après quelques semaines d’interruption, avec ce sous-titre : “préparation des citoyens-soldats français au combat sur le territoire national”.


Nourrissant un discours anxiogène et apocalyptique (on y parle de “groupes de protection défensifs” et de “bases de repli”, pour faire face à des “situations insurrectionnelles en zone urbaine”), le site Guerre de France précise : “Réveil patriote/AFO n’est ni une organisation ­terroriste – zéro mort – ni d’ultradroite, un concept qui n’existe que dans les cauchemars des copains de Benahlia (sic) (3) à la ‘Direction Garantissant la Soumission à l’Islam’.”


 


L’OAS version 2018


Cette obsession de l’Islam et des musulmans, on la retrouve aussi dans des tracts siglés OAS, reproduits en mars dernier dans la presse française(4) : “On recrute des chasseurs d’Arabes”, “rebeux, blacks, racailles, migrants, dealers, djihadistes, toi aussi tu rêves de tous les tuer ? Nous en avons fait le vœu. Rejoins-nous.” Ils sont le produit de l’imaginaire raciste du jeune militant Logan Nisin, 21 ans, et de ses amis, interpellés en juin 2017.


OAS pour Organisation d’armées sociales, mais ­surtout grossier clin d’œil à l’organisation de l’armée ­secrète (OAS), cette formation politique et militaire clandestine fondée en février 1961 par des officiers de l’armée française opposés à l’indépendance de l’Algérie. Entre 1961 et 1962, l’OAS a commis de multiples attentats meurtriers sur les sols algériens et français. Elle demeure une référence pour les derniers nostalgiques de l’Algérie française et, au-delà, de la puissance coloniale française. Cinquante-cinq ans plus tard, dans le “manuel du chargé de mission” de l’OAS version 2018, il est rappelé de “ne pas oublier que le but principal des sections est de former les militants au combat au corps-à-corps et surtout au combat armé pour pouvoir servir l’Organisation”. Logan Nisin a déclaré aux policiers partager “la même idéologie” qu’Anders Behring Breivik, le militant norvégien d’extrême droite qui, durant l’été 2011, avait tué 77 personnes en commettant deux attentats.


 


Entre le champ politique et l’action violente


Sans aller jusqu’à cette figure criminelle désormais emblématique, qui faisait encore le salut nazi lors d’une audience de justice en 2017, les militants français de ­l’ultradroite ne manquent pas de références à l’échelle européenne. Des néofascistes italiens de Casa­Pound aux néonazis grecs d’Aube dorée, les organisations se tenant en permanence sur la ligne de crête entre le champ ­politique et l’action violente sont bien présentes dans le paysage continental. Bénéficiant, comme l’explique l’historien Nicolas Lebourg, d’un “contexte historique ­extraordinaire”


 


Prêts à “passer au combat”


Un moment où se cristallisent plusieurs crises : celles des identités politiques européennes, celle des politiques d’accueil des migrants et celle, géopolitique, qui frappe le Proche et le Moyen-Orient. Une situation complexe que les esprits faibles et dangereux des militants français racistes prêts à “passer au combat”, selon leur rhétorique guerrière, ont su réduire à un ennemi : l’Islam et les musulmans. Avec l’aide implicite de nombreux dirigeants politiques qui, au nom de la lutte contre le terrorisme ­islamiste, ont trop souvent laissé s’installer, quand ils ne les nourrissaient pas directement, des amalgames dangereux dans les discours. Ouvrant ainsi la porte aux ­dérives très inquiétantes observées ces derniers mois. 


(1) “Dix membres de la mouvance ultradroite arrêtés à travers la France”, lemonde.fr, 24 juin 2018. Et “France : le groupuscule  d’ultradroite AFO en cinq questions”, middleeasteye.net, 9 juillet 2018.


(2) “Ultradroite : les confidences du fondateur du groupuscule AFO”, Le Parisien, 21 juillet 2018.


(3) Une intox véhiculée sur les sites d’extrême droite affirme qu’Alexandre Benalla, le conseiller d’Emmanuel Macron, s’appelle en réalité Lahcene Benahlia…


(4) “Quand les fachos deviennent des terroristes”, article de Marc Endeweld, Marianne du 16 au 22 mars 2018.


 


Voir aussi : 


Nicolas Lebourg : "La réorganisation autour de l'Islam est fondamentale"


Les propres sur eux de la fachosphère


Pourquoi la fachosphère s'en prend à Médine, Belattar ou Diallo ?


Au Cœur de la fachosphère


 

Emmanuel Rionde