Raibed et Fatiha Tahri, des billes plein les papilles

 Raibed et Fatiha Tahri, des billes plein les papilles

Aujourd’hui, Raibed et Fatiha Tahri se lancent dans une levée de fonds de 400 000 euros pour automatiser leur production.

Infirmiers de métier et passionnés de voyages et gastronomie, Raibed et Fatiha Tahri lancent PAP et Pille en 2019. Des billes de biscuits saveurs corne de gazelle, coco du Brésil ou noisette de Turquie. L’aventure, qui a failli échouer en raison de la crise sanitaire, a su rebondir grâce aux réseaux sociaux.

 

Au sein du brouhaha des machines qui tournent à plein régime, Raibed et Fatiha Tahri se chamaillent gentiment sur le temps de cuisson. Inventeurs de la bille de biscuit, ils ont retrouvé le sourire malgré les derniers mois, difficiles pour leur jeune pousse, PAP et Pille.

Né en 1985 à Pontarlier, dans le Doubs, Raibed Tahri grandit à Besançon au sein d’une famille de six enfants. Ses parents, Algériens de condition modeste, vivent du travail du père, ouvrier dans une usine de laine de verre.

« C’est dans nos fibres d’aider les voisins ou de prodiguer des soins, explique le trentenaire. J’ai eu une vraie appétence dès l’enfance pour la cuisine. Souvent dans les jupons de ma mère, c’était un moment convivial et privilégié de partage. La cuisine est aussi un exutoire. J’y vais au feeling plutôt qu’aux recettes. »

« Je la demande en mariage après cinq jours »

Bac S en poche, il entame des études d’infirmier qui doivent durer trois ans. Un peu court financièrement, il décide de repousser sa dernière année en travaillant comme serveur. Hasard de la vie, deux des apprentis en cuisine partent, et lui, arrive aux fourneaux.

Le chef l’incite à passer son CAP: « Une révélation ». Finalement titulaire des deux diplômes, il émigre en Suisse, à Lausanne puis à Genève et devient infirmier dans le milieu carcéral helvétique. Cette expérience l’amène à partager son vécu lors d’une formation à Lille.

A peine entré dans l’amphi[1]théâtre, une étudiante infirmière, assise au premier rang, le subjugue. « Je n’ai fait cours que pour elle. A la pause, je lui ai dit que j’avais eu un coup de foudre. Elle m’a dit qu’elle avait ressenti la même chose. On a appris à se connaître, et au bout de cinq jours, je l’ai demandée en mariage. Vingt jours plus tard, nous étions mariés. Ma mère m’a demandé si elle m’avait envoûté. C’est toujours le cas », sourit-il.

Les deux tourtereaux s’installent à Besançon et décident de parcourir le monde ensemble, histoire de mieux se connaître. Direction, notamment, la République dominicaine. Une étape importante pour la suite : « On a voulu faire de la plongée et on a rencontré Léandro, notre moniteur. Fatiha a manqué de se noyer et il nous a invités à manger des biscuits à la coco faits par sa femme. Elle a accepté de me faire découvrir sa recette. C’est la première qu’on a notée dans nos carnets. »

Pendant trois ans et demi, ils enchaînent intérims de deux mois et voyages gastronomiques d’un mois. La liste des pays visités est longue : Maroc, Angle[1]terre, Espagne, Chine, Dubaï, Thaïlande, Inde, Mexique, Pérou, Equateur, Italie, Algérie « sans les pa[1]rents », Japon, Québec, Brésil, Seychelles, Egypte, Turquie et Vietnam.

« On faisait tourner un globe et on prenait une destination. Grâce à Airbnb, on a trouvé des personnes qui nous ont hébergés. »

La grossesse de Fatiha met un frein aux aventures. Bloquée à la maison, elle présente alors, sur une page Facebook notamment, ses recettes découvertes dans le monde. Ils se retrouvent ainsi à devoir préparer des biscuits originaux pour un mariage.

« On part alors du constat que les gâteaux sont souvent trop gros, raconte Raibed. On cherche un gabarit snacking. A la vue d’un pop-corn caramélisé, on s’est dit que ce serait sympa d’inventer le même format. Au bout de plusieurs jours, on y est arrivé en les faisant à la main. Cette entreprise est née d’une blague entre nous. C’est devenu notre projet de vie. »

Ils s’investissent alors à fond dans la création de leur entreprise, et rencontrent un expert-comptable qui leur conseille de fabriquer leurs produits avec une machine, plutôt que de tout faire à la main. Au bout de huit mois, avec l’aide d’un ingénieur dans l’automobile, ils réussissent à rentabiliser leur production.

Contraints de vendre leur maison pour acquérir les fonds nécessaires, ils créent la société en février 2019 avec 20 000 euros de capital. Ils injectent 250 000 euros supplémentaires dans les machines et leur atelier à Evires, en Haute-Savoie.

L’agence de communication Waouh, leur trouve un nom : PAP et Pille. « On voulait avoir deux personnages qui racontent notre propre histoire. Ils nous ont ensuite aidés à faire nos premiers packagings », explique le mari.

Présents dans la grande distribution

En septembre 2019, l’entreprise débute avec des commandes pour 10 000 euros en trois jours. Les biscuits PAP et Pille trouvent leur place sur les étals des magasins Leclerc, Super U et Intermarché de leur région.

Raibed se retrouve même à faire le guet en bas d’un immeuble du groupe Provencia, qui distribue Carrefour en Rhône-Alpes, afin de rencontrer le responsable des ventes. Ce dernier leur prodigue un cours de marketing (commercialisation, promotions, boîte de présentation) et les aide à se développer. Dans le même temps, la marque Franprix les repère et met les biscuits en vente au niveau national.

Lauréats du Startup Contest 2019, Raibed et Fatiha Tahri rencontrent Loubna Ksibi cofondatrice de Meet My Mama, avec qui ils réalisent les vidéos « Les Ateliers PAP et Pille ».

Après le sucré, ils miniaturisent aussi du salé, comme la bille Tchoutchouka ou une bille du Pérou (soupe pommes de terre et maïs), qui devraient être mises en vente en février 2021.

Raibed reprend sa blouse d’infirmier

Alors que tout va pour le mieux – près de 9 000 euros de chiffre d’affaires par mois –, le confinement met un coup de frein sec à leur développement. Plus aucune vente en supermarché, plus aucune commande !

Raibed remet sa blouse d’infirmier pour soigner les malades et Fatiha doit gérer la famille avec la fermeture de l’école et de la crèche. « J’ai attrapé la Covid en étant sur le front. On avait des échéances à payer. Il était alors impossible de vendre le moindre biscuit. On avait tellement mis dans cette entreprise qu’on ne pouvait pas échouer. Notre salut est venu d’internet. »

L’agence « Les agents du web » reprend en main leur site. Ils retrouvent un chiffre d’affaires de 10 000 euros par mois. Leur compte Instagram passe de 900 à 10 000  followers et quelques people (Vanessa Demouy ou Moundir de Koh Lanta) et des influenceuses food les promeuvent.

Le coronavirus n’aura donc pas la peau de PAP et Pille, qui peut désormais compter sur un chiffre d’affaires de 20 000 à 40 000 euros par mois depuis la fin du confinement. Les deux fondateurs de la marque investissent le marché de l’outre-mer et avancent sur une commercialisation dans les Emirats arabes unis.

Leur prochain objectif : une levée de fonds de 400 000 euros pour automatiser et relancer la marque dans les supermarchés français. Fatiha et Raibed Tahri sont d’ailleurs persuadés : leurs billes vont “embraser” les cœurs de leurs clients une deuxième fois.

 

>> Lire aussi : Cinéma. « Petit poussin » de Nadia Anebri, présélectionné aux César

 

Yassir Guelzim

Yassir GUELZIM

Journaliste Print et web au Courrier de l'Atlas depuis 2017. Réalisateur de documentaires pour France 5.