Dr Butt : « Il y a plus de morts que ceux annoncés en Seine-Saint-Denis »

 Dr Butt : « Il y a plus de morts que ceux annoncés en Seine-Saint-Denis »


Médecin urgentiste dans le 9-3, il a été contrôlé positif dés la première semaine de confinement. Après une prise de chloroquine et une oxygénation, il a pu se rétablir et devrait reprendre le travail dés la semaine prochaine. Maitrisant une colère froide, il n’a pas de mots assez durs pour le traitement qui est réservé au département en terme de santé, accentué par le COVID-19.


« Je ne suis allé au front qu’un seul jour. Dans cette guerre, je fais partie des premiers blessés », dit en souriant le Dr Zishan Butt, médecin urgentiste et régulateur de la permanence de soins 93, du Samu. Celui qui menait la liste citoyenne Aubervilliers en Commun (15,77%), pense avoir contracté le virus pendant la campagne ou lors d’une visite dans l’immeuble de ses parents. « J’ai voulu porter secours à des personnes âgées car il n’y avait aucun médecin disponible, indique l’urgentiste. J’y suis allé avec un masque, qui ne nous protège pas. L’Etat nous en a donné des périmés. Je me suis retrouvé en tous cas dans la première vague des personnes touchées par l’épidémie. »


En fin de semaine, il ressent les premiers symptômes (forte fièvre, migraines et incapacité à se lever, perte d’odorat et de goût). « Au départ, j’ai cru à une grippe mais c'était le COVID-19. J’avais l’impression de respirer comme dans un hammam. Ma femme, qui est médecin aussi, m’a aidé avec le saturomètre. J’ai vu que mon taux d’oxygène dans le sang était bas.»


Mis en soins intensifs au Centre Cardiologique du Nord (Saint Denis), il est placé sous oxygène pendant plus de 10 jours. « J’ai pris de moi-même de la chloroquine et de l’azithromycine, le jour où je suis entré à l’hôpital, poursuit le médecin. Je me suis dit, soit je vais mourir, soit je l’essaie. Je ne sais pas ce qui m’a sauvé, si c’est le fait d’être jeune, non fumeur ou si c’est le médicament. Je suis en convalescence à mon domicile.» 


 


« Urgence humanitaire à 10 kilomètres de Paris »


En novembre 2018, nous l’avons contacté pour en savoir plus sur la situation sanitaire en banlieue. Lui qui a fait une thèse sur le désert médical en banlieue, évoque déjà un « accès aux soins indigne de la République. A Pierrefite en Seine-Saint-Denis, il y a un médecin pour 30 000 habitants alors qu’il en faut un pour 10 000 habitants ». A l'époque, il parle « d’une situation d’urgence humanitaire à 10 kilomètres de Paris. »


Interrogé aujourd’hui sur la Seine-Saint-Denis, il parle littéralement de « catastrophe ». Pour lui, « le 93 est le 1er désert médical de France. L’accès aux soins est difficile. Il faut y rajouter les inégalités sociales avec une forte densité de population (6000 habitants/km2). » Contestant la version du non-respect du confinement, il rappelle que « quand tu es dans un F2 à 8, ça n’a rien à voir avec des gens installés dans le 16ème arrondissement. C’est plus facile de dire d’un joggeur à Paris qu’il « a craqué » alors qu'on considère que des jeunes en bas de leur immeuble ne respectent rien. Le confinement a été plutôt bien respecté. Médiatiquement, le 93 est mal vu. »


 


50% des médecins urgentistes de Seine-Saint-Denis en arrêt maladie


Le médecin, dans une colère froide évoque « la sous dotation en tout. On sous-estime les chiffres. Il y a plus de morts en Seine-Saint-Denis. Pour l’heure, on ne parle que des décès COVID testés. J’ai deux parents proches qui sont décédés en arrivant à l’hôpital et qui n’ont pas été comptabilisés alors qu’ils avaient les syndromes du COVID-19. En Ehpad, c’est un truc de fou tous les décès qu’on a eu à gérer.»


Se tenant au courant de la situation de ses collègues, il parle de « 50% des médecins urgentistes en arrêt maladie dans le département dont 2 sont en réanimation. La situation à Paris est la même. 28 médecins seraient touchés, notamment ceux qui font les visites à domicile. C’est une véritable hécatombe partout car les médecins sont mal protégés. On a eu des masques FPP2 périmés et les masques chirurgicaux ne protègent pas. La médecine libérale, la médecine de ville et le SAMU souffrent autant que la médecine hospitalière.»


Félicitant notamment les médecins et les infirmières qui vont à domicile donner de l’insuline aux personnes âgées, il n’oublie pas les ASH, celles qui « rendent l’hôpital propre », ceux qui « nettoient nos rues », les boulangers, etc.. « Sans cette chaine alimentaire et de propreté qui continue, il y aurait des « émeutes » de guerre. Je pense par exemple à 2 jeunes de la RATP, qui sont morts. Ces gens-là sont de vrais héros qu’il faut applaudir aussi.». 


 


« Vous comptez votre argent, on comptera nos morts »


Interpellé par une voisine qu’il réconforte et qu’il félicite pour son masque, il assène des conseils du mieux qu’il peut. Il parle d’une stratégie complétement ratée. « J’ai honte de ce qu’il s’est passé en France. Je prends l’exemple d’un voisin qui est décédé dernièrement. On l’a renvoyé chez lui et il a contaminé sa femme. Aujourd’hui, 3 de ses enfants sont à l’hôpital. »


Pour le médecin urgentiste, on aurait du « organiser et tracer les gens. On dépiste massivement comme cela a été fait en Corée du Sud et surtout on confine, à part, les gens positifs. Pas chez eux, à part ! Dans des gymnases, dans des stades, des hôtels. On réquisitionne des bâtiments. La base en épidémiologie, c’est que l’on ne mélange pas des malades et des personnes saines ! Les vétérinaires s’étaient proposés aussi pour les tests massifs. Le gouvernement devra répondre de tout ça.»


Il dit regretter aussi la tenue des élections municipales, auxquelles il a participé en tant que candidat à Aubervilliers. « Je l’avais dit avant le premier tour. Je ne pensais pas qu’elles pourraient être maintenues. Pour moi, quand Macron prend la parole jeudi, il annule les élections. On ne peut pas d’un coté fermer les écoles, les commerces et faire en sorte de rassembler des millions de gens à un endroit précis. Ce n’est pas logique de maintenir des élections alors qu’en Italie, on était à 600 morts par jour. C’est de la folie ! A titre personnel, j’ai perdu beaucoup de parents qui sont venus voter. Je suis pour une action en justice


Les élus ont réagit également. Ainsi, contacté par nos soins, l'ancienne ministre et députée du département Marie-George Buffet nous a fait parvenir la tribune "Le Covid-19 est un miroir des inégalités sociales et territoriales", co-écrite avec Clémentine Autain et signée par l'ensemble des député.es communistes et insoumis du département. Le vice-président UDI de la Région Ile-de-France et médecin, Ludovic Toro, évoque aussi des déserts médicaux où il a fallu faire appel au "système D" et à la mobilité des médecins dans la région.


Même s’il est encore « un peu essoufflé », il se sent « obligé » de reprendre le travail dés le début de la semaine prochaine pour venir en aide à ses collègues qui « sont complétement délaissés. L’hôpital de Bondy a été fermé par exemple. Il prévoie aussi de fusionner l’hôpital Bichat avec d’autres hôpitaux qui ferait perdre près de 5 000 lits. Il n’y avait pas grand monde pour soutenir le personnel médical quand il était dans la rue ou en grève. Le slogant de l’époque était : « Vous comptez votre argent, on comptera nos morts ! ». Aujourd’hui, c’est la réalité. Il faudra plus que des applaudissements. La condition que l’on mettra nous les médecins, c’est que l’on ne perde plus de lits. »


 


Voir aussi :


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Yassir Guelzim

Yassir GUELZIM

Journaliste Print et web au Courrier de l'Atlas depuis 2017. Réalisateur de documentaires pour France 5.