Imam : 24 heures dans la vie de Mustapha Annouas

 Imam : 24 heures dans la vie de Mustapha Annouas

L’imam Mustapha Anouass pendant sa prière

Tour à tour enseignant, chercheur, psychologue et médiateur, Mustapha Annouas, est imam. Il met au coeur de son travail, une  cause qui lui est chère : le dialogue interreligieux et le vivre-ensemble. A Montpellier, où il prêche, et un peu partout en France. 

Montpellier, balayé par un vent frais, s’éveille à peine. Il est 5 heures et Mustapha Annouas est penché au-dessus du lavabo pour faire ses ablutions de la prière du matin (Al Fajr). Né à Ksar El-Kébir, dans le nord du Maroc, ce fils d’agriculteurs a reçu une éducation religieuse classique. Il apprend le Coran avec ses frères et s’intéresse autant aux matières scientifiques qu’au fait religieux. Sans se douter alors qu’un jour, il en ferait son métier ! Le sentiment profond de foi et l’envie de partage avec les fidèles lui viennent à l’adolescence. “C’est vers 15-16 ans que l’on choisit son chemin, explique Mustapha Annouas. J’étais émerveillé par l’appel à la prière des mosquées de Ksar El-Kébir.”

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Prêcheur globe-trotteur

Il suit une formation d’une dizaine d’années auprès d’un imam puis étudie la biologie et la chimie à Tétouan et en Espagne. Entre ses séances de tarawih (récitation de Coran, ndlr) et un renforcement de connaissances à Fès, il commence sa carrière d’imam prêcheur au ­Maroc puis rejoint l’Espagne dont il maîtrise la langue.

Naturalisé espagnol, il entame un périple qui l’emmènera prêcher en Belgique flamande, en Allemagne et enfin en France. Après Lille et Saint-Raphaël, il s’installe dans l’Aude, du côté de Lezignan, mais reste disponible pour les appels éventuels de mosquées. “Savez-vous qu’en France, 47 % des mosquées n’ont pas d’imams prêcheurs ? s’étonne-t-il. Certains sont mal préparés. Ils donnent des réponses à des questions sans ­savoir de quoi ils parlent et créent des polémiques. Je vais là où les fidèles ont besoin de moi.”

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Un doctorat sur la laïcité et le vivre-ensemble

Il est 7 heures et Mustapha Annouas vient de passer deux heures à lire le Coran ainsi que des hadiths et des extraits de biographies de plusieurs prophètes (David, Jésus, Mohammed). “Il n’y a pas de contradictions entre les livres du ‘Ciel’ des trois religions monothéistes. La connaissance des autres textes ou vies de prophètes permet d’installer le vivre-ensemble. Derrière cette notion, il y a la volonté de se respecter l’un l’autre.”

L’imam monte dans le tramway. Direction la faculté d’Education de l’université de Montpellier. Le guide religieux y est non seulement un enseignant en genèse coranique depuis 2015, mais il y poursuit aussi un doctorat sur la laïcité et le vivre-ensemble. “Chacun se fait sa propre idée de l’imamat. La formation a évolué aussi. Il existe ­désormais des cursus pour les éducateurs et éducatrices religieux proposés par l’Institut Mohammed VI de Rabat. Pour ma part, je pense qu’imam reste un métier à part entière qu’il faut ­accompagner d’un travail intellectuel permanent.”

A la cafétéria, Mustapha Annouas mange avec parcimonie. Salué par le secrétaire général et le président de la faculté, l’homme conserve son ton modeste. Mélange d’étudiant et d’érudit. “J’ai découvert les sciences sociales et la sociologie, et je trouve ça important pour un imam. Il faut qu’il connaisse la langue arabe classique mais aussi la langue du pays d’accueil, car il existe une nouvelle génération de musulmans européens qui n’a pas appris l’arabe du Coran.”

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Un homme comme les autres

De temps en temps, Mustapha Annouas fixe son portable. WhatsApp, Facebook et Twitter n’ont pas de secrets pour lui. Cet imam 2.0 y voit des possibilités infinies. “Les temps changent, admet-il. Avant, on était dépourvus de moyens de communication. Dorénavant, grâce au web, les gens ont accès à la connaissance.”

Pas le temps de méditer ni de traîner sur la Toile. ­Il doit faire un saut dans une librairie du centre-ville pour acheter Les 100 mots du Coran, de Malek Chebel. Arrivé place de la Comédie, son téléphone sonne. Une mosquée de Joué-lès-Tours (Indre-et-Loire) lui demande de venir prêcher le vendredi suivant. Il donne son accord avant de contacter un responsable de mosquée à Beaune, près de Dijon, où il doit se rendre le lendemain. “On confond souvent l’imam avec le responsable d’association, déplore-t-il. L’imam s’occupe uniquement du cultuel. Il est utile pour les actions sociales. Tout ce qui concerne l’administratif ou le ­financier est géré par les bureaux des associations.”

Au sein de la librairie Sauramps, près du Polygone, nous abordons la question des moyens de subsistance des imams. “Les salaires sont insuffisants. Nous sommes payés par les responsables associatifs et cela varie entre 500 euros et le Smic. L’imam est un homme comme les autres. Il peut se marier, avoir des enfants, etc. Mais il faut avoir la vocation compte tenu des maigres moyens mis à notre disposition.”

Il est déjà 16 heures et Mustapha Anouass doit préparer son prêche du lendemain. Un travail qu’il aborde à la terrasse d’un café. Sur une feuille blanche, il écrit d’abord les grandes lignes en arabe. Après un instant de réflexion, il retourne la feuille et poursuit cette fois en français. “Le prêche du vendredi est un cocktail mêlant arguments coraniques et sociaux, explique-t-il. Il est nécessaire aussi de puiser dans l’actualité. Pour ma part, j’aime bien ajouter des pensées des philosophes anciens.”

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Confessions intimes

Féru de sociologie et de sciences humaines, il se voit comme un homme “multicasquettes”. “Les fidèles me considèrent comme un ami. Ils viennent me poser des questions personnelles au sujet de leur intimité, auxquelles je réponds volontiers. Il faut adapter sa réponse à l’interlocuteur pour qu’il vive en paix dans la société. La religion apporte du bien à l’être humain.”

Retour dans le tramway. Direction cette fois la Mosson, un quartier populaire de la ville. Au milieu des tours, un ancien fast-food a été transformé en mosquée. L’imam salue le responsable et va prier. Avant de nous quitter, il insiste sur la particularité hexagonale. “La France est diverse. Nous n’avons pas besoin d’un grand mufti mais de plusieurs oulémas, qui pourraient donner des fatwas en accord avec les lois de la République et les lois coraniques. Il nous faut trouver le lien qui unit les confessions et crée un modèle de paix avec les autres religions.”

 

Yassir Guelzim

Yassir GUELZIM

Journaliste Print et web au Courrier de l'Atlas depuis 2017. Réalisateur de documentaires pour France 5.