24 heures avec un député

 24 heures avec un député

Assemblée Nationale


Elu en mai dernier dans la circonscription de Rennes Sud, en Ille-et-Vilaine, le député Mustapha Laabid, également président du groupe d’amitiés France-Maroc, a accepté de nous embarquer pendant 48 heures dans sa circonscription et à l’Assemblée nationale. Immersion dans les journées bien chargées de cet élu LREM. 


9 h 30 : Lundi 19 février. Brouillard et crachin breton en guise d’accueil à Rennes, à la sortie de la station de métro Henri-Fréville, sur une place entourée de bâtiments peu élevés, au sein d’un quartier populaire plutôt vert. Les grands ensembles du Blosne nous font face. Au premier étage d’un immeuble propret, la permanence de Mustapha Laabid est à l’image de l’homme : moderne, efficace et modeste. Pas de grands tableaux ni de touche personnelle. Le bureau a tout d’une mini start-up. Catherine, venue de l’évènementiel, Abdelghaffar, néo-macronien de terrain, Pierre-Yves, socialiste “repenti” et converti au macronisme, et Hind, élue régionale socialiste, s’affairent. Le député est sur le pied de guerre.


9 h 45 : Téléphone dans une main, café dans l’autre, Mustapha prend le tempo de son futur agenda. Le regard vissé sur son portable, il consulte une messagerie : “Nous, les En Marche, on est dans les boucles Telegram (application de messagerie sécurisée, ndlr).” Derrière ce côté geek, on retrouve la volonté du président Macron de dépoussiérer la politique. Même sentiment lorsque Catherine évoque le rôle du “whip”, ce député chargé de veiller à la discipline de vote de ses confrères lors d’une commission parlementaire. “Tu sais que whip, en anglais, ça veut dire fouet ?” Eclats de rire dans la salle. On s’amuse à imaginer la transposition dans la culture française de la série House of Cards, qui narre l’ascension d’un homme politique rêvant d’accéder à la fonction suprême aux Etat-Unis. “On a abattu en sept mois le travail législatif de dix-huit mois de l’ancienne législature”, se félicite Mustapha.


9 h 55 : Les messages défilent. Grâce à Catherine, ils sont traités instantanément. “On répond à tout le monde, à l’exception de quelques lettres racistes. Les gens ont besoin de sentir la proximité de leur député.” Oui pour untel, non pour celui-ci, voir avec les autres députés, etc.


10 h 15 : Parapheur à la main, Pierre-Yves évoque les félicitations à une équipe de basket. Mustapha commente : “En France, on ne connaît pas bien le rôle du député. J’ai des demandes sur l’habitat à qui j’apporte mon soutien, même si ce n’est pas de ma compétence. Nous, on voudrait légiférer et surtout évaluer les politiques publiques.”


10 h 20 : Mustapha et Abdelghaffar échangent sur la communication. Tous deux s’entendent pour admettre qu’en la matière, des progrès sont à faire. Le député n’est pas un grand fan de la lumière. “Je suis sur Twitter, mais je ne me vois pas prendre des photos comme certains pendant qu’on parle de choses importantes”, admet-il. Philosophe, il cite un proverbe : “Le bien ne fait pas de bruit, et le bruit ne fait pas de bien.” S’ensuit un silence marquant la pudeur de l’homme politique.


10 h 30 : Audience avec des membres de la Fédération des entreprises d’insertion. Après un échange de cartes de visite et les mondanités d’usage, on rentre dans le vif du sujet. Les acronymes s’enchaînent dans un débat particulièrement technique : Ofca (Organisme de formation en communication et assurance), IAE (Institut d’administration des entreprises), contrats aidés, Pôle emploi, etc.


10 h 50 : “Qu’est-ce que je peux faire pour vous ?” Cette question, Mustapha Laabid l’utilise systématiquement avec ses interlocuteurs. Un amendement est évoqué. Le député réagit : “Quatre mots de plus dans la loi, et c’est 345 millions d’euros supplémentaires de budget.” L’objectif ? Financer entre 70 et 100 heures de formation à des populations qui en ont besoin. Mustapha se veut rassurant et voit bien le dispositif dans l’enveloppe de 15 milliards d’euros promise par le gouvernement pour la formation.


12 h 15 : La réunion touche à sa fin et Mustapha s’adresse à Pierre-Yves : “Il faut contacter trois députés pour les sensibiliser. Souvent, ça jargonne beaucoup en commission, explique-t-il. C’est important d’aider les autres élus à comprendre les enjeux en cours.”


14 h 30 : Mustapha sort du métro Italie pour rencontrer ses électeurs dans son quartier d’enfance. Le crachin rennais a laissé place à un temps mi-figue, mi-raisin. Nous traversons un centre commercial un peu désuet. Au milieu de boutiques fermées, quelques commerces turcs et marocains sont ouverts. Au loin, on aperçoit la mosquée et le centre culturel, entourés de verdure. Une odeur de haschich se fait sentir. Le député est invité à boire le thé par quelques Marocains et un professeur de l’université Rennes-1. Très vite la discussion tourne autour de leurs préoccupations, à commencer par les questions médicales. “On discute pour mettre en place une offre de santé à la place de l’hôpital Sud (qui va bientôt être détruit, ndlr)”, tente de rassurer le député. Puis, endossant son costume de président du groupe d’amitiés France-Maroc, il évoque une ligne aérienne entre Rennes et le Royaume. “Le directeur de l’aéroport a donné son accord. Il faut juste trouver la compagnie.” De quoi réjouir ses interlocuteurs qui éviteraient ainsi deux heures de déplacement aller-retour jusqu’à Nantes.


14 h 50 : Tout en marchant, Mustapha explique son engagement auprès du président de la République. “J’étais de gauche, sans appartenance politique. A l’époque, je voulais lancer une école du numérique. Quand Emmanuel Macron est venu à Rennes, en septembre 2016, aucun élu du cru ne s’est déplacé pour le recevoir, à cause de la loi Travail. J’y suis allé et j’ai obtenu un label. Du coup, je me suis investi dans la création d’En Marche sur le plan local. On est passé de 4 à 700 adhérents en quelques mois.”


15 h 20 : Devant des bâtiments neufs, il tempête contre “la rénovation esthétique” du quartier. Hind salue l’effort. Mustapha tempère : “C’est beau à l’extérieur, mais à l’intérieur, c’est autre chose. Si on règle la question de l’emploi, ça ira mieux ici. Je m’inquiète surtout pour les jeunes diplômés. Ils ont un bon niveau d’études et galèrent plus qu’une personne qui n’a pas de diplômes. Quel message envoie-t-on à notre jeunesse ? Ce n’est pas le racisme, mais l’entre-soi qui joue contre eux”, se désole-t-il. Le débat avec la collaboratrice socialiste dévie alors sur l’ubérisation des nouveaux emplois. “J’y suis favorable, dit-il, car elle est pourvoyeuse d’emplois, mais à la condition que tout soit contrôlé.”


15 h 45 : Devant le pôle social de Blosne, le député se fait interpeller par Lulu, une habitante du quartier depuis quarante ans, qui garde bon pied bon œil : “On ne te voit plus trop Mustapha ! Quand même, pour les APL (l’aide personnalisée au logement, ndlr), c’est pas bien ce que vous avez fait ! Cinq euros de moins, c’est quelque chose par ici !” Mustapha se justifie, explique la position du Gouvernement, fait de son mieux pour convaincre Lulu, en vain. Un peu plus loin, le député peste contre “les bailleurs sociaux qui ont procédé à des augmentations de charges sur les loyers, tout en appliquant la baisse de 5 euros que l’Etat leur avait demandée.”


16 h 20 : Catherine vient à la rencontre du député pour caler des rendez-vous. “Jamais le dimanche, précise ce dernier. J’essaye d’éviter. Le plus dur dans la députation, c’est l’équilibre entre vie professionnelle et vie familiale. Le dimanche, c’est pour la famille.”


17 h 35 : Le député monte dans le TGV avec une partie de son équipe. Direction Paris-Montparnasse. Demain, rendez-vous à l’Assemblée nationale.


 


9 h : Mardi 20 février. Changement de décor. On retrouve Mustapha Laabid, salle Colbert de l’Assemblée. Les murs en marbre et l’éclairage moderne contrastent avec la moquette bleue aux armoiries républicaines et les pupitres traditionnels en bois. Au-dessus de l’estrade, une grande toile de Georges Rousseau-Decelle Jaurès à la tribune face à Clemenceau. Le décor républicain est planté. C’est dans ce petit hémicycle que doit se tenir le séminaire de Face Rennes, un fonds d’action contre l’exclusion que Mustapha, ancien membre jusqu’à son élection, organise. Il revoit en détail avec Hind et Catherine les derniers préparatifs.


10 h 20 : Début du séminaire. Mustapha a la voix un peu hésitante face à ses anciens collègues : “C’est un honneur pour moi, ancien ‘Facien’ de vous accueillir au Palais Bourbon…”


10 h 45 : Une réunion du groupe LREM est prévue à 11 heures et va occuper le député toute la matinée. Il se détend avec une cigarette dans la grande cour de l’Assemblée, nouvellement rénovée. “Depuis mon élection, le regard de mes collègues a changé. Comme je leur dis souvent, je suis devenu plus beau, plus fort, plus grand”, plaisante le député avec un sourire malicieux. Catherine abonde dans son sens : “C’est vrai que parfois, la politique peut être un panier de crabes !” Pas le temps de s’éterniser. Chacun doit repartir, Catherine au séminaire, Hind au discours et Mustapha à sa réunion.


14 h : Rencontre de travail avec des membres de Google France pour mettre en place des ateliers numériques à Rennes. Les représentantes du géant américain entretiennent la culture du secret : “On doit donner des chiffres. On préférait que ça reste confidentiel”


15 h 10 : Avec un peu de retard, Mustapha rejoint sa place dans l’hémicycle, salue un député, parle à voix basse avec une collègue LREM, s’installe et écoute attentivement les réponses d’Elisabeth Borne, la ministre des Transports, malmenée après le rendu du rapport Spinetta sur la SNCF. Les opposants de gauche écoutent d’une oreille. Les élus LREM applaudissent. A droite, on chahute.


15 h 45 : Intervention d’Aurore Berger. La députée LREM s’en prend au porte-parole des Républicains, Gilles Platret, qui a comparé le travail des journalistes de l’émission Quotidien à un “niveau CAP d’ajusteur-monteur”, après la diffusion des déclarations polémiques de Laurent Wauquiez, enregistrées à son insu lors d’un cours dispensé à l’Ecole de management de Lyon. Explosion de gestes et raffut à droite. Applaudissements sur les bancs de la France insoumise et de la Nouvelle Gauche. Les députés LREM, à l’instar de Mustapha Laabid, membre de la commission apprentissage, sont vent debout pour soutenir la députée, qui poursuit son intervention dans ce tohu-bohu.


16 h 50 : Interruption de séance.


17 h : Mustapha vote, comme ses collègues LREM, en faveur du projet de loi prévoyant le retour d’une circonscription unique (au lieu de huit précédemment), lors des prochaines élections européennes de mai 2019. Mais la journée est loin d’être terminée pour Mustapha Laabid qui doit peaufiner la réunion du bureau de l’Assemblée, prévue le lendemain. 


MAGAZINE MARS 2018

Yassir Guelzim

Yassir GUELZIM

Journaliste Print et web au Courrier de l'Atlas depuis 2017. Réalisateur de documentaires pour France 5.