Son parcours, le cinéma, son enfance : l’acteur Fatsah Bouyahmed nous raconte tout

 Son parcours, le cinéma, son enfance : l’acteur Fatsah Bouyahmed nous raconte tout

Fatsah Bouyahmed – YOHAN BONNET / AFP

Fatsah Bouyahmed s’est fait connaître du grand public en 2016 avec le film à succès « La vache » (réalisé par Mohamed Hamidi), où il jouait le rôle d’un agriculteur attachant qui part à pied de son village algérien pour emmener sa vache Jacqueline, au Salon de l’agriculture, à Paris.

 

Six ans plus tard, le voici de retour dans un premier rôle qu’il partage avec Kad Merad dans « Citoyen d’Honneur ». Un film signé encore Mohamed Hamidi qui sort aujourd’hui (14 septembre) dans les salles et qui raconte l’histoire de Samir Ami (Kad Merad), écrivain lauréat du prix Nobel de littérature qui revient dans son petit village natal en Algérie après trente années d’absence (voir notre article). Fatsah Bouyahmed y joue le rôle d’un « serviteur » qui se plie en quatre pour satisfaire son hôte.

Nous avons rencontré ce jeune cinquantenaire, il est né le 2 avril 1971. Fatsah Bouyahmed a beaucoup de choses à dire. C’est également un type très drôle. Comme il est surtout attachant, la discussion s’est éternisée…

LCDL : C’est votre troisième film avec Mohamed Hamidi…

Fatsah Bouyahmed : J’espère en faire dix avec lui ! Il y a chez lui une sincérité très proche de celles des comédies italiennes. Je trouve qu’il faudrait faire plus de comédies franco-maghrébines, tellement il y a des choses à raconter ! Le récent voyage de Macron en Algérie était un drame à lui tout seul, il mériterait un film ! Il faut ce genre de cinéma et Mohamed Hamidi le fait très bien, parce qu’il se place toujours à la bonne distance. Il n’y a jamais de misérabilisme dans ces films, ni d’angélisme d’ailleurs.

Vous tenez l’un des principaux rôles avec Kad Merad dans Citoyen d’Honneur. C’est un duo qui fonctionne plutôt bien…

Quand j’ai lu le scénario, j’ai compris ce que voulait Mohamed (NDLR : le réalisateur). Je devais jouer le rôle d’un serviteur. Un rôle que je connais bien puisque je l’ai déjà joué plusieurs fois quand je faisais du théâtre avec le dramaturge italien Carlo Boso.

Quand on est arrivé au Maroc pour le tournage, ma chambre d’hôtel était à côté de celle de Kad. Je ne passais pas 20 minutes sans savoir ce que mon collègue faisait. J’étais sur ses côtes à chaque instant. J’allais le voir pour prendre un verre. On se donnait rendez-vous. Il me disait « je serai là dans deux minutes ». Et deux minutes pour lui c’est deux minutes ! Je le faisais attendre exprès pour le façonner !  Je lui faisais croire qu’il était dominant pour pouvoir le dominer par la suite ! On a construit ce rapport avant le tournage.

Après la première scène, on a pris un apéro et on a ri. Et le lendemain, la seconde scène était meilleure que la première. Je savais que ça allait être plus difficile pour Kad Merad : le maître doit toujours trouver ses marques, le serviteur se débrouille tout seul. Ce n’est pas facile pour un comique comme Kad Merad de ne pas faire rire et pourtant il a tenu son rôle avec brio, pas parce que je l’accompagnais, juste parce que c’est un grand acteur et qu’il aurait agi de la même manière avec un autre.

Est-ce que le fait d’être né en Algérie et bien que vous soyez arrivé en France à quatre mois, vous aide pour être à l’aise avec vos deux identités ?

En 1971, l’année de ma naissance, mon père travaille en France comme ouvrier dans une entreprise de peinture à Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis. Son patron lui propose de faire venir toute sa famille et lui trouve un appartement dans cette banlieue parisienne. C’est peut-être dur à croire mais à l’époque, le gouvernement français avait envie que les immigrés vivent mieux leur immigration en poussant au regroupement familial !

Durant toute mon enfance, mon père me répétait que j’étais né au bled ! J’étais son premier fils et il avait eu avant moi quatre filles. Enfant, j’étais un « blédard » dans ma tête. Tous les six mois, il me répétait qu’on allait rentrer un jour au pays. Je passais trois mois par an en Algérie. Là-bas, ma mère cachait mes baskets pour pas les abimer et je portais des claquettes en plastique toute la journée. Je montais aux arbres pieds nus, jouait au foot dans des terrains remplis de cailloux, je me battais avec les autres enfants du village. Je prenais de la « chemma » (tabac à chiquer). J’étais un enfant algérien.

Avec l’âge, et en allant à l’école en France, j’ai commencé à répondre à mes parents en français, de moins en moins en kabyle. Et quand je retournais en Algérie, j’ajoutais des mots français au kabyle et à la place de la « chemma », je fumais des Marlboro ! J’ai toujours été à l’aise pour concilier mes deux identités.

C’est pour cette raison que vous n’avez aucun mal à interpréter des rôles de « blédards »…

J’accepte les rôles en fonction des scénarios que je lis. Il m’arrive de ne pas accepter des rôles sans accent de « blédard » parce que je n’aime pas le scénario. Vous savez quand le spectateur vous voit dans un rôle défini et que ça lui plait, il veut te voir encore dans ces rôles-là. On me demande souvent si je suis lassé d’interpréter toujours les mêmes rôles. Pas du tout, j’adore cela et j’en suis même très fier.

En 1995, je jouais une pièce à Aubervilliers. C’était l’histoire d’un bar dans les années 60 voué à disparaitre et tous les clients du troquet se mobilisaient pour ne pas qu’il ferme. Je jouais un papa venu du bled. Quelqu’un est venu me voir pour me dire l’importance que ça avait de jouer ce rôle. Il m’a dit qu’en faisant rire avec ce personnage, je réconciliais en quelque sorte des tas de jeunes français d’origine maghrébine avec leurs origines, avec leur père, leur grand-père…

A l’époque, et même aujourd’hui, le daron rebeu avec un accent, on ne l’entend pas à la télé, ou au cinéma, on ne le voit pas, ou très peu. Avec ce rôle, je mets en lumière et je rends fier ce qu’on cachait avant. Et puis, entre nous, tous les gens avec des accents sont en train de disparaitre tout doucement… Après, oui, bien entendu, je croise aussi des gens qui sont déçus quand ils voient que je n’ai pas d’accent, mais la plupart sont tout de même heureux parce que mon personnage leur apporte quelque chose.

Racontez-nous votre enfance à Aubervilliers ? 

J’ai eu une enfance heureuse. Famille nombreuse, famille heureuse ! Mes parents ont eu huit enfants, cinq filles, trois garçons. Je suis en plein milieu ! Dans notre F4 à Aubervilliers, il y avait la chambre de mes parents, celle de mes sœurs, et celle des garçons.

Dans mon quartier, toutes les communautés vivaient très bien ensemble. Une belle mixité qui profitait à tout le monde. J’ai grandi dans une mairie communiste et grâce aux services municipaux de la ville, j’ai profité des colonies de vacances. J’ai pu aller au cinéma, au théâtre, j’ai même fait du cheval !

Je me souviens encore très bien de l’ancien maire Jack Ralite (NDLR : également ministre au début des années 80) qui habitait le même quartier que moi et qui rentrait tard le soir avec des gros dossiers sous le bras. Je l’imaginais le soir travailler encore et encore pour le bien de sa ville. C’était une autre époque ! Il nous a reçus, moi et ma troupe de théâtre, plusieurs fois dans son bureau. C’était quelqu’un de très accessible.

Les études, c’était pas trop votre truc…

J’étais pas mauvais, il suffit que j’écoute pour enregistrer. Mais à part, le français, l’histoire-géographie et l’anglais, tout le reste ne me plaisait pas. Un jour, en CM2, j’ai fait rire toute la classe. L’institutrice m’avait demandé : « Que veux-tu faire plus tard ? » J’avais répondu : « Journaliste ! ». J’étais sincère pour le coup mais tout le monde pensait que je plaisantais. Même l’instit avait ri. Moi aussi, je me suis mis à rigoler. Ca m’a fait oublier l’humiliation…

C’est votre premier effet comique…

Oui et je l’ai entretenu. Au boulot, en société, je faisais rire naturellement mais j’aimais bien aussi provoquer. Il faut être sincère pour faire rire, c’est ça le secret du rire.

Rire pour cacher une angoisse ?

Complétement. Je suis quelqu’un de réservé, de très timide. Il y a aussi cette peur de me retrouver seul. Grandir dans les années 80 en Seine-Saint-Denis, sans grand frère, avec des cheveux fins, des lunettes, il a fallu développer d’autres choses. Moi, ça a été le rire. La place du rire dans ma vie est essentielle.

Comment on arrive au cinéma quand on est un fils de pauvres sans réseau ?  

On y arrive ! Mais c’est long. Très long. Il faut y croire, ne jamais baisser les bras. Surtout moi, j’avais une tête chelou, j’étais pas musclé ! Comme j’ai pas fait de longues études, j’ai fait beaucoup de petits boulots. Mon père ne me donnait pas d’argent de poche et je n’allais surtout pas lui en demander.

J’ai été le premier livreur de pizza du 93 ! J’ai fait la plonge dans des restaurants huppés parisiens, bosser pour un centre de tri de la Poste… Et après, j’ai été animateur. D’abord en centre de loisirs, puis dans des centres de vacances.

Vous êtes devenu français très tard ?

Effectivement. C’était au moment de la Coupe du monde en 98 ou juste après. J’approchais de la trentaine. Un jour, je me suis dit, je vis ici, j’ai fait toute ma scolarité ici, je travaille ici, je suis français bordel !

Je me souviens très bien de la cérémonie de naturalisation. C’était à Bobigny et j’étais au milieu de Pakistanais. On nous avait donné une pochette avec une Marianne dessus. On était tous super heureux et fiers ! Y avait un pot en notre honneur et un gars est venu nous voir pour nous dire : « Buvez votre cocktail, une nationalité ça se donne mais ça s’enlève aussi ».

Il parait que vous êtes devenu acteur grâce à une fille dont vous étiez amoureux….

Oui. J’ai revu une fille du lycée que j’aimais beaucoup et que je faisais beaucoup rire à l’école. Elle faisait du théâtre, et un jour, je suis allé dans sa compagnie et j’ai réussi à intégrer la troupe avec un peu de tchatche et surtout beaucoup d’envie. Au final, cette fille s’est avérée peu intéressante ! Je l’ai vite oubliée mais pas le théâtre. Je jouais des classiques auprès des élèves de Seine-Saint-Denis. Et j’ai compris dès le début que j’étais à ma place.

Et quelqu’un d’important vous remarque alors….

Oui. Un jour, je participe à un concours d’improvisation théâtrale que je gagne. Dans le public, il y a Carlo Boso, grand metteur en scène italien et immense acteur. Il a tellement aimé ma prestation qu’il m’a proposé un stage de deux mois. Je vais alors à l’ANPE pour obtenir un financement pour ce stage qui coûtait à l’époque 8 000 francs (NDLR 1200 euros). On me dit alors qu’on ne finance que les stages de serrurier ou de plombier ! Je suis déçu mais je veux faire ce stage à tout prix alors je reviens voir Carlo Boso en lui disant que j’ai déposé un dossier et que c’est en cours.

Le stage était exceptionnel, j’ai travaillé avec des professionnels de haut niveau. On m’envoyait que des bonnes ondes, on m’encourageait sans cesse. Le stage touche à sa fin et on me demande quand je pense pouvoir payer surtout que la dernière semaine, on doit jouer une pièce devant du public, accompagné de professionnels. Je gagne encore du temps. Carlo Bosso me convoque et me dit « depuis le début, on sait que L’ANPE ne finance pas les stages de comédiens mais c’est pas grave, tu vas quand même jouer le spectacle ».

Il avait trouvé que j’avais du cran et du talent. J’étais content. J’ai un peu déchanté quand il m’a dit quelques jours plus tard que j’allais travailler un an sans qu’on me donne un centime. Je lui ai dit d’accord mais pour faire quoi ? Conduire le camion ? Porter les décors ? Non, non, m’a t-il dit : « Tu es comédien. Tu vas remplacer un mec qui s’en va ». Un remplacement qui a duré 15 ans…

Et avec Carlo Boso, j’ai fait le tour de l’Europe. Avec lui, on travaillait à l’ancienne, c’est à dire avec la mémoire. On apprend un rôle qu’on va jouer toute sa vie, comme c’est l’usage dans la comédie Del Arte, la tradition italienne. Le personnage est propre à sa personnalité et à son rang social, alors vous comprenez pourquoi je n’ai aucun mal à jouer le rôle du serviteur !

Etes-vous toujours en contact avec Carlo Boso ? 

Bien sûr. A chaque festival d’Avignon, on mange ensemble. Il me dit qu’il parle souvent de moi lors des stages qu’il fait, qu’il me cite en exemple. Ca me touche qu’il soit aussi fier de moi. En France, il n’est pas très connu, au Japon beaucoup plus, par exemple. Il apporte pourtant beaucoup au théâtre en France….

Justement comment on passe du théâtre au cinéma ? 

C’est grâce à Sarkozy ! A l’époque, après les événements de 2005 quand une partie des quartiers populaires avaient explosé en France, il fallait plus de Noirs et d’Arabes à la télé, au cinéma. J’avais un ami régisseur qui travaillait dans l’émission de Karl Zéro et j’ai été présenté.

Au début, je faisais des caméras cachées, je jouais déjà le personnage du vieux rebeu ! Et c’est là que j’ai rencontré Blanche Gardin et sa bande. J’ai remplacé un de leur gars qui ne pouvait plus jouer dans des sketchs parce que c’était incompatible avec sa religion !

Et puis par l’intermédiaire de Blanche, j’ai rencontré Jamel Debbouze. J’ai fait le Jamel Comedy Club pendant 3-4 ans et forcément, je suis devenu visible et j’ai commencé à passer des castings de cinéma. Et c’est vraiment après mon rôle dans La Vache, en 2016, que ma carrière a décollé.

 

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Nadir Dendoune