Tunisie. Des dizaines de députés convoqués par la brigade antiterroriste

 Tunisie. Des dizaines de députés convoqués par la brigade antiterroriste

Les députés Walid Jalled et Mustapha Ben Ahmed se réconfortent avec humour quelques minutes avant d’être auditionnés par la police

Ceci n’est pas un poisson d’avril. La brigade antiterroriste a ces dernières 24 heures convoqué plus de 30 députés ayant participé à la séance plénière virtuelle tenue avant-hier mercredi par le Parlement. Parmi les suspects convoqués, le président du Parlement et chef d’Ennahdha, Rached Ghannouchi. Pour l’opposition, il s’agit d’une fuite en avant qui dévoile au grand jour la nature du nouveau pouvoir.

 

A son arrivée au QG de la brigade anti-terroriste de l’Aouina, Rached Ghannouchi a été accueilli par quelques uns de ses partisans aux cris de « A bas le coup d’Etat ! »

116 députés, sur 121 participants, avaient voté pour l’annulation des mesures exceptionnelles décidées par le président de la République Kais Saïed le 25 juillet 2021. Affligé par cette « provocation », ce dernier a aussitôt dissout l’Assemblée, et demandé dans la foulée à sa ministre de la Justice de diligenter une instruction judiciaire contre les élus pour « mise en péril de la sûreté de l’Etat ».

La totalité de la majorité parlementaire ayant participé à ladite plénière peuvent donc s’attendre à être poursuivis pour crime relevant du terrorisme ou de la sûreté. « Un régime peut-il sombrer davantage dans le grotesque ? », s’interrogent les députés qui préfèrent en rire, avant de franchir le portail du poste de police, où ils s’apprêtent à être interrogés comme de vulgaires criminels en bande organisée.

 

Criminalisation de la vie démocratique

La démesure avec laquelle le nouveau régime répond férocement au « Parlement virtuel » a de quoi surprendre. Le vote parlementaire pour mettre fin à l’état d’exception avait en effet un caractère largement symbolique, le Parlement ne disposant plus d’un quelconque appareil exécutif pour en faire l’application.

Le vote des parlementaires donne en réalité au Palais de Carthage le prétexte légal de « l’atteinte à la sûreté », une rengaine dont abusait l’ancien régime dictatorial de Ben Ali dans les années 90, et qui fait son grand retour aujourd’hui en 2022. Pour les concernés par ces chefs d’accusation, l’objectif est clairement de les rendre inéligibles aux prochaines élections.

Jeudi soir, le président Saïed a ouvertement moqué la transition démocratique, en marge de la présentation des résultats de sa consultation électronique. « Le peuple souffre d’illettrisme et de pauvreté, et l’on nous parle d transition démocratique », s’est-il ainsi gaussé. Saïed a par la même occasion exclu toute tenue d’élections dans les 3 mois suivant la dissolution de l’Assemblée.

 

Les Etats-Unis « profondément préoccupés »

Lors d’un point presse jeudi soir, Washington s’est dit « profondément préoccupés face à la décision unilatérale du président de la République Kais Saïed de dissoudre l’Assemblée des représentants du peuple », via le porte-parole du Département d’Etat américain, Ned Price.

Washington s’est dit également inquiet des « informations laissant entendre que des mesures judiciaires seront prises par les autorités contre certains députés », a dit le porte-parole qui a rappelé que les Etats-Unis « avaient pourtant appelé les autorités tunisiennes à plusieurs reprises un prompt retour à la légalité constitutionnelle, primordiale pour l’instauration d’un système démocratique et la relance de l’économie tunisienne ».

Une délégation du Fonds monétaire international a quitté la Tunisie hier 31 mars, sans annoncer de promesse concrète en vue d’une nouvelle aide financière au pays.

Seif Soudani