Le Président Essebsi et la rébellion au sein de son parti

 Le Président Essebsi et la rébellion au sein de son parti

Le Président tunisien Béji Caïd Essebsi. AFP


 


Le président Essebsi est visiblement très gêné par la menace de scission de son parti : crime de lèse-majesté pour un fédérateur. L’islamiste Ghannouchi qui a pourtant perdu le pouvoir n’a pas été contesté par les siens, alors que lui, qui a accédé haut la main au pouvoir et y a fait accéder son parti, l’est spectaculairement. Quelques membres de son propre parti et 32 députés de l’Assemblée des Représentants du Peuple tentent de faire scission du parti et de le déstabiliser. 


 


En voyant des membres du parti se retourner contre lui, il doit se remémorer une des envolées des tragédies de Shakespeare à propos de l’infortune des rois: « J’ai été le premier à te mener au trône, je serai le dernier à subir ta tyrannie » (cité de mémoire).


On sait que tout le monde – militants et élus de Nida, partis d’opposition, opinion publique – avaient insisté pour que BCE prenne une initiative ou trouve une solution à la crise interne de Nida et à la guerre que se livrent les deux groupes. Il faut rappeler que lorsqu’il était sollicité pour intervenir, il disait lui-même qu’il ne pouvait pas le faire. Car il a démissionné du parti, il est devenu le président de tous les Tunisiens, et que Nida devait trouver une solution par lui-même.


Lorsque la demande de son intervention est devenue pressante, tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle internationale, et qu’il a pris une initiative, on lui a aussitôt reproché de l’avoir prise, de s’être immiscé dans les conflits partisans, et de confondre l’intérêt de l’Etat et l’intérêt du parti.


Cela dit, un président de la République cesse-t-il d’être un homme politique du simple fait d’être élu président de la République? Il a été élu en fait président grâce à son parti, à ses mérites et à ses choix politiques. Un homme politique, devenant président, devient-il par la même un taiseux, politiquement neutre et idéologiquement désincarné ? Il s’agit après tout de son parti, celui qu’il a fondé autour de quelques acteurs politiques, à partir d’un besoin de larges franges de la société civile cherchant à contrecarrer le péril islamiste.


Tout leader d’un parti devenu chef d’Etat, vivant la même situation de menace de scission de son parti, est condamné à intervenir pour sauver son parti, qu’il soit jeune ayant l’avenir devant lui, ou plus âgé n’espérant pas se représenter aux prochaines élections au vu de son âge. Dans tous les cas, il est censé être impliqué malgré tout par la survie du parti. Président de tous les Tunisiens, Essebsi ne cesse pas pour autant d’être le chef-fondateur de son parti. Autrement, on risque de tomber dans une hypocrisie délirante sous peine de respecter les apparences républicaines.


Une fois que son parti est devenu majoritaire au parlement, il a nommé le chef de gouvernement Habib Essid, selon la conception qu’il se faisait de la gestion politique du jour, il a orchestré avec d’autres dirigeants de partis le scénario du gouvernement de coalition et il ne manque jamais d’influer sur le jeu politique.


Devait-il cesser alors de s’intéresser à son parti ? Le président de la République est certes en démocratie, le président de tous les nationaux, même de ceux qui ont voté contre lui, mais il est  aussi le leader de son parti. De Gaulle, après avoir fondé son parti, le Rassemblement du Peuple Français (RPF), ne s’en est pas désintéressé, même s’il détestait les partis plus que tout, de même pour Jacques Chirac ou aujourd’hui pour Angela Merkel ou Hollande.


Dans un régime parlementaire ordinaire, c’est le chef de gouvernement qui a les pouvoirs principaux dans l’Etat. Il est primus inter pares au sein du parti. C’est le cas de David Cameron aujourd’hui en Angleterre, qui est à la fois premier ministre et chef de son parti, ayant autorité sur lui, surtout sur le groupe parlementaire.


Tous ces leaders savent qu’ils ne peuvent exister politiquement sans l’appui de leurs partis, mais aussi que le parti ne peut exister sans eux, tant qu’ils bénéficient du moins de la confiance de l’opinion. Qu’ils gouvernent seuls ou avec d’autres partis.


Le problème pour Essebsi, c’est qu’il vit une situation déchirante qu’il a conçu de son propre chef. Il est le chef fondateur de Nida, mais il a accepté d’être Président d’un régime parlementaire, qui lui reconnait constitutionnellement peu de pouvoirs. Il a accepté de ne pas être le chef du gouvernement effectif, un poste qu’il a confié à un technocrate. La situation est, faut-il l’avouer, ambigüe et pleine de risques, surtout que la Tunisie n’a pas la culture du régime parlementaire.


En fait, le président Essebsi a fait semblant de ne pas trancher entre les deux courants hostiles, entre les partisans d’un congrès constitutif avec des membres nommés (Hafedh Caid Essebsi) et les partisans d’un congrès électif (Mohsen Marzouk). Il est intervenu pour ne pas prendre une décision directe, gênante pour lui. Il a confié la gestion de la crise à un groupe de 13 personnes triées au volet, chargées de jouer les bons offices et de trouver un consensus satisfaisant pour toutes les parties, mais toujours sous son contrôle. 


Il a voulu être arbitre, mais un arbitre quand même engagé, puisqu’il légitime du coup indirectement les prétentions de son fils et de son groupe dominant. Le Comité des 13 a établi une feuille de route décrivant la gestion du parti jusqu’au prochain congrès. Cette feuille de route est rejetée par le groupe des 32 députés relevant du courant Marzouk, qui la considère favorable au courant adverse d’Essebsi le fils.


En tout cas, réuni le 27 décembre, le Bureau Exécutif de Nida Tounès, auquel ont assisté une dizaine de députés du bloc Marzouk refusant encore de démissionner, a adopté la feuille de route présentée par le comité des 13. Il a été décidé que ce Comité sera « un cadre pour la tenue d’un congrès consensuel préparatoire (prévu le 10/11 janvier 2016), à même de sauver le parti et d’en préserver l’unité, et la préparation d’un congrès électif en juillet 2016 ». 


Ce Bureau Exécutif a appelé dans un communiqué l’ensemble des députés du parti « à sauvegarder l’unité du bloc parlementaire, en préservant la place du parti au sein des institutions représentatives et exécutives de l’Etat ». 


Le BE adopte « la décision du comité constitutif, déléguant l’ensemble des prérogatives au comité des 13 jusqu’à la tenue du premier congrès (de janvier), tout en lui fournissant tout le soutien légal et financier ».


En fait, outre les électeurs et les militants de Nida, l’opinion générale elle-même est intéressée par la sortie de crise du parti au pouvoir. Elle a du mal à accepter la succession du fils au parti fondé par le père, dans un Etat devenu démocratique, notamment après une révolution dirigée contrel’esprit dynastique et les clans (les Trabelsi, les Ben Ali, Sakhri, Chiboub) qui, dans le temps, ont accaparé simultanément l’espace privé et l’espace public, outre les deniers de l’Etat.


Contrairement à son père, le fils n’inspire pas beaucoup de sympathies. Le dernier sondage Sigma-Conseil/Le Maghreb du 30 décembre classe Hafedh Caid Essebsi l’avant-dernier (29è / sur 30) de la liste des personnalités les plus  populaires, avec 6% d’opinions favorables, dans le même panier d’ailleurs que Mohsen Marzouk  (23è) avec 12% d’intentions favorables et Slim Riahi (24è avec 9%).


La question de la succession politique du père en fils touche les nouvelles pratiques politiques dans le pays. Et c’est plutôt cette question-là qui touche à l’âme de la République, pas celle du président qui tente d’intervenir dans la crise de son parti.  


Cela dit, si l'opinion et les sympathisants de Nida n’acceptent pas le parachutage du fils de BCE, un homme quasi inconnu jusque-là dans la sphère politique pour les Tunisiens et les électeurs même de Nida, ils n’acceptent pas non plus l'idée de la démission du groupe lié à Mohsen Marzouk, risquant d'entrainer la scission d'un parti fédéré par Béji Caid Essebsi aux heures sombres du règne islamiste.


BCE reste d'après le même sondage précité du 30 décembre, la 2è personnalité politique la plus populaire du pays (44% d’opinions favorables). Il est devancé par le ministre de l’Education Néji Jalloul, lui-même de Nida (48%). Ce qui veut dire implicitement que les sympathisants de BCE sont attachés à l'unité du parti.


Comme quoi, faire de la politique est une chose, fédérer en est une autre.


Hatem M’rad

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