Une « Encyclopédie de Science Politique » bien tunisienne

Le 9 septembre 2025, l’Association tunisienne d’études politiques (ATEP), avec le soutien de la Konrad Adenauer Stiftung, a présenté une œuvre scientifique majeure : L’Encyclopédie de science politique. Ce projet collectif, sans équivalent dans le monde arabe, marque une étape décisive dans la structuration et l’institutionnalisation de la science politique en Tunisie, même si cette discipline a du mal à être reconnue dans ce pays sur le plan universitaire.
Par Rania Chebbi – Doctorante en science politique à l’Université de Carthage
Fruit de trois ans et demi de travail collectif, l’Encyclopédie rassemble 1 150 pages et plus de 400 entrées rédigées par 96 autrices et auteurs, dont l’ossature est tunisienne, mais avec la collaboration d’universitaires marocains, français, italiens et canadiens, tous issus de différentes disciplines des sciences sociales. Par son ampleur et sa rigueur, cette œuvre s’impose comme une référence académique pour les chercheurs, enseignants, étudiants et acteurs de la vie publique.
Sous la direction du professeur Hatem M’rad, le projet a été conduit selon un processus scientifique exigeant. Il a bénéficié de multiples lectures et évaluations effectuées par le comité de rédaction, des avis du conseil scientifique et d’un suivi éditorial constant assuré par la direction. Ce long travail d’élaboration et de validation a permis de garantir la cohérence interne, la qualité des contenus et la rigueur méthodologique de l’ensemble.
Une approche méthodologique rigoureuse
L’Encyclopédie repose sur une méthodologie collective et coordonnée, qui combine la rigueur académique avec une approche critique et contextualisée. Chaque contribution a été élaborée selon un format standardisé comprenant : une définition claire du concept ou de l’institution, un état de la littérature internationale et tunisienne, une mise en perspective historique, ainsi que, lorsque pertinent, une illustration par des cas tunisiens. Le tout entre deux et cinq pages, des mini-articles en somme.
Les auteurs ont travaillé en collaboration interdisciplinaire, permettant de croiser les analyses du droit, de la sociologie, de la science politique, de l’histoire et de la philosophie. Cette approche favorise une lecture nuancée des réalités locales tout en s’inscrivant dans les débats théoriques internationaux. Les échanges entre chercheurs tunisiens et étrangers ont permis de consolider les entrées critiques et de renforcer la cohérence globale de l’ouvrage.
Un ancrage tunisien et arabe, avec une ouverture critique
L’un des principaux apports de l’Encyclopédie réside dans sa capacité à penser la science politique à partir de la Tunisie et du monde arabo-musulman, sans se limiter à l’importation de modèles occidentaux. De nombreuses entrées sont consacrées à des notions, institutions ou figures propres au contexte national : Révolution de 2011, Constitution de 2022, bicaméralisme, Cour constitutionnelle, bourguibisme, etc. L’ouvrage documente les mutations de l’État, les tensions entre centralisation et décentralisation, ainsi que les recompositions du champ politique depuis la transition démocratique et le coup d’État qui a suivi.
Cette contextualisation s’accompagne d’une ouverture comparative. Les auteurs mobilisent des références internationales (Kelsen, Foucault, Habermas, Rawls, Aron, Walzer, Lindblom…) pour éclairer les débats locaux. L’Encyclopédie propose ainsi une lecture critique de concepts tels que démocratie (dans ses multiples facettes), citoyenneté, souveraineté, gouvernance ou justice transitionnelle, à la lumière des expériences tunisiennes et régionales.
Une architecture thématique rigoureuse
L’ouvrage est structuré autour de grands axes de la science politique contemporaine :
- Concepts et fondements : État, souveraineté, légitimité, démocratie, représentation, populisme, citoyenneté, mandat, autoritarisme, contre-pouvoirs, constitution, contrat politique.
- Institutions et pratiques politiques : Parlement, présidence, gouvernement, Cour constitutionnelle, Cour des comptes, collectivités locales, décentralisation, déconcentration, ISIE.
- Action publique et gouvernance : Bureaucratie, administration, régulation, politiques publiques, gouvernabilité et gouvernementalité, paradigmes post-étatiques, incrémentalisme
- Pensée et histoire politique : Zaytouna, bourguibisme, bonapartisme, kémalisme, laïcité, modernité, littérature politique tunisienne.
- Islam et politique : Sharia, fiqh, réforme religieuse, Ennahdha, salafisme, apostasie, traditionalisme.
- Droit et justice : Codification, justice constitutionnelle, droit international, droit humanitaire, Conventions de Genève, Statut de Rome.
- Gouvernance mondiale et relations internationales : Souveraineté, sécurité collective, Union africaine, Union européenne, mondialisation, conditionnalité externe.
- Société, identité et reconnaissance : Genre, féminisme tunisien, reconnaissance, subjectivité, droits LGBTQI+, discrimination positive.
- Conflits, sécurité et défense : Guerre, terrorisme, guerre préventive, DDR/RSS, sécurité nationale et internationale.
- Discriminations et justice sociale : Égalité, équité, lustration, minorités sexuelles, racisme.
Un jalon fondateur pour la discipline et la recherche en Tunisie
L’Encyclopédie constitue un levier essentiel pour le développement de la recherche en science politique en Tunisie. Elle permet de :
- Consolider un corpus conceptuel et empirique local, tout en le mettant en dialogue avec les références internationales ;
- Former et sensibiliser les étudiants à une analyse critique et contextualisée du politique ;
- Renforcer la souveraineté intellectuelle, en produisant un savoir collectif situé et rigoureux, capable d’éclairer les transformations politiques nationales, régionales et globales ;
- Favoriser la mise en réseau des chercheurs, la collaboration interdisciplinaire et le partage de bonnes pratiques méthodologiques.
Les contributeurs : un hommage et une reconnaissance
Ce projet n’aurait pas été possible sans l’engagement des 96 contributrices et contributeurs, dont deux d’entre eux récemment décédés : Leonardo Morlino et Chawki Gaddes. Les 96 contributeurs et contributrices sont (par ordre alphabétique):
Rym Abbes, Lotfi Aissa, Yasmine Wardi, Akrimi Abdelkarim Allagui, Mohamed Amine Abbassi, Hamid El Amouri, Wafa Zaâfrane Andoulsi, Sami Zemni, Khalil Arbi, Asma Athmouni, Syrine Ayadi, Faouzi Bedoui, M’hammed Belarbi, Wassim Belhedi, Sana Ben Achour, Abdelhamid Benkhattab, Bader Ben Mansour, Mohamed Ben Othman, Maryam Ben Salem, Fethi Benslama, Raja Ben Slama, Azouz Ben Temessek, Sophie Bessis, Michel Camau, Rim Chanbeh, Nouha Chaouachi, Wafa Chaouch, Moez Charfeddine, Abdelmajid Charfi, Khouloud Chebbi, Rania Chebbi, Lotfi Chedly, Ridha Chennoufi, Raya Choubani, Hassan Danane, Kaouthar Debbeche, Jamel Dimassi, Ouissal Ezzine, Itidal Fadhloun, Wahid Ferchichi, Chawki Gaddes, Mootez Gargouri, Daniel Gaxie, Asma Ghachem, Adnen el Ghali, Ghazi Gherairi, Arthur Gros, Hajer Gueldich, Gérard Haddad, Iman Hajji, Saifa Hamdi, Salwa Hamrouni, Abdessamad El Harchiche, Abdelkrim Hizaoui, Soufiane Jaballah, Mohamed-Sghir Janjar, Haytham Jarboui, Raef Jerad, Bassem Karray, Khaoula Kenzari, Salsabil Klibi, Mouna Kraiem, Guy Lachapelle, Walid Larbi, Ghassan Lamrani, Abdelhamid Largueche, Dalenda Largueche, Jinene Limam, Adel Ltifi, Sarra Maaouia, Wafa Harrar Masmoudi, Abir Mekki, André Mineau, Leonardo Morlino, Soumaya Mourali, Hatem M’rad, Hatem Nafti, Mohamed Naifar, Lamia Neji, Asma Nouira, Melika Ouelbani, Romain Pasquier, Renata Pepicelli, Hamadi Redissi, Alain Renaut, Khalfaoui Mohamed Sahbi, Mohamed Sayari, Manuelita Scigliano, Naila Silini, Guendalina Simoncini, Mounir Snoussi, Amine Thabet, Youssef Tlili, Christian Vallar, Abderrahmane Yaalaoui, Hanen Zbiss.
