Vœux de fin d’année : Rêver, juste un peu

 Vœux de fin d’année : Rêver, juste un peu

Cela pourrait être intéressant de plonger dans l’inconscient des populations pour comprendre certains de leurs comportements

Peut-on psychanalyser un peuple ? Et si revenir au passé était-il aussi important pour mieux comprendre le présent ? Cela pourrait être intéressant de plonger dans l’inconscient des populations pour comprendre d’où viennent ces comportements ataviques, ces réactions épidermiques, cette glorification du passé qui éjectent les Arabes (et les Marocains bien entendu) hors du présent et les coupent définitivement avec le futur.

 

On pourrait par exemple retrouver en chacun de nous une part de la guerre des Bassous. Pour rappel, il s’agit d’une guerre fratricide particulièrement longue et meurtrière entre deux tribus parentes dans le désert d’Arabie, au Ve siècle apr. J.-C., à la suite du meurtre d’une chamelle appartenant à l’un des clans. On comprendrait alors mieux pourquoi les Algériens en veulent tant aux Marocains et vice versa, la guerre entre les cousins yéménites et saoudiens serait plus compréhensible et la brouille entre Qataris et Émiratis n’aurait plus de secret pour nous. Pour comprendre combien le passé pèse lourd, observons notre rapport à la langue. Il y a quelques années de cela, un parfait iconoclaste jetait un pavé dans la mare en proposant de faire du dialecte marocain, une langue d’enseignement. La hargne avec laquelle, Nourredine Ayouch, (qui n’est pas particulièrement vierge d’arrières-pensées) a été combattu aussi bien par les salafistes défenseurs de la doxa islamiste que les tenants du pouvoir montre qu’on reprend juste la défense d’une thèse qui privilégie telle ou telle langue en lui donnant un caractère de sacralité et par conséquent de monopole de tout ce qui peut se penser, ce qui caractérisait la politique linguistique de tous les régimes despotiques.

En l’occurrence et comme dans d’autres pays arabes, la différence entre la langue du Coran, sorte de langue arabe classique supérieure et les dialectes de chaque pays, sert toujours de moyen pour renforcer le pouvoir politique entre les mains de lettrés au détriment de la langue dialectale, sorte de sabir à l’usage chez les petites gens.

Au tout début de l’histoire des Arabes, le poète, grâce à la force du verbe faisait et défaisait les empereurs. Pour une fois qu’il y avait quelque chose de positif dans le vécu des Arabes, on a fait en sorte d’enterrer ce pan de l’histoire. Depuis, les dirigeants arabes ont retenu la leçon, et les poètes comme les écrivains ou encore les journalistes ne sont bons que derrière les barreaux. Et il est significatif que dans nos contrées, nos auteurs, fussent-ils brillants, n’aient jamais voix au chapitre, alors que tout le travail de la pensée est reclus dans des bibliothèques privées.

Et s’il y a un passé à remettre à l’ordre du jour, c’est bien celui du monde arabo-musulman du XIIIe siècle. En effet, la date de la chute de Bagdad à cause des Mongols en 1258 représente non seulement le déclin de l’Empire abbasside, mais elle marque aussi le déclin de la pensée arabe avec la fameuse mise au placard de l’ijtihad [l’exégèse], qui a fait d’une religion vivante (l’Islam) une simple courroie de transmission bête et méchante des errances des quatre écoles juridiques du sunnisme, excommuniant au passage tout autre courant différent. Suivie par l’interdiction pure et simple de la philosophie et de son enseignement.

Aujourd’hui, une imprégnation autant sociale que politique est nécessaire pour sortir de ce corridor infernal où nous voici coincés depuis des siècles, il s’agit là bien entendu d’une épreuve à haut risque qu’on ne puisse cette fois-ci aborder que l’épée dans les reins. Sinon je crains que ce goût du compromis qui nous caractérise bien ne nous prépare mal au tragique de l’Histoire qui nous pend au nez. Malgré tout, pour la grande renaissance de nous autres, je me raccroche encore aux atouts de ce peuple : un exceptionnel sens de l’humour et de la dérision, l’énergie du désespoir de vouloir remonter du fond du gouffre, une expérience et un cuir basané par maintes années de plomb et enfin ce besoin pressant de décolonisation des esprits. Il est temps de remettre en question le mythe des origines, repenser l’impensé, désacraliser les hommes et les théories mortifères. Définitivement « vacciné » contre la bêtise, on pourrait (re)devenir une grande nation. Pour ces vœux de fin d’année je souhaite que l’on se réveille enfin de cette nostalgie mortifère et pourquoi pas revendiquer enfin le droit de rêver (même si c’est juste un petit peu) !

Abdelatif Elazizi