Afrique-France : réagir ou périr ! – Africanité : une nouvelle vision à saisir

 Afrique-France : réagir ou périr ! – Africanité : une nouvelle vision à saisir

Soufyane Frimousse : “En France, il est temps de proposer aux écoles et aux grands groupes français des programmes de formation qui visent une meilleure connaissance du continent.” Photo : DR

L’Afrique est courtisée voire convoitée. Le partenariat avec le continent africain est partout recherché. Nous assistons à une nouvelle ruée vers l’Afrique. La Chine fait du continent un axe majeur de sa stratégie de la route de la soie. La Russie mise sur la désinformation et sa milice Wagner pour accroître son influence. L’Allemagne préside l’initiative G20 Compact with Africa et se lance à la conquête de l’hydrogène vert. La Turquie d’Erdogan n’est pas en reste tout comme les Etats-Unis.

Par Soufyane Frimousse, Maître de conférences, habilité à diriger des recherches

Malgré sa volonté de réforme systématiquement annoncée et affichée par les différents présidents qui se sont succédé depuis près de 40 ans, malgré un imposant dispositif militaro-industriel et culturel, malgré son agence pour le développement, la francophonie, la lutte contre le terrorisme, la restitution des œuvres d’art, la volonté de réconcilier les mémoires…, la France est aujourd’hui déstabilisée, ballotée, voire fragilisée sur le continent africain.

Le tout récent rapport Fuchs-Tabarot souligne la réalité de la montée de l’expression d’un sentiment anti-français, allant de l’indifférence chez une partie des Africains – ce qui s’apparente à une forme de mépris – jusqu’à son rejet clair, comme lors de l’été 2023 au Niger.

Après s’être défait de l’effet de loupe, une fine analyse de ce sentiment anti-français permet de déceler que les Africains veulent de la France, mais ils la veulent autrement. C’est-à-dire qu’il ne s’agit pas du rejet de la France mais des symptômes d’une incompréhension et de frustrations vis-à-vis des choix politiques français. D’ailleurs le débat parlementaire naissant sur « la stratégie de la France en Afrique et au Sahel » laisse entrevoir l’orée de la prise de conscience chez les politiques et les dirigeants économiques de la France d’un changement nécessaire.

Au-delà de cette dernière, que faire ? Quelles actions produire ? Comment analyser les dynamiques à l’œuvre ? Quel outil ? Comment adopter une posture d’humilité non feinte et d’une sincère écoute réciproque ? Comment repenser et tisser de nouvelles relations avec l’ensemble de ce continent d’avenir ? Quelle nouvelle grille de lecture ? Comment s’arrimer aux réalités locales ?

Pour comprendre et s’adapter aux mouvements de fond du continent africain et permettre à la France de ne pas perdre ses liens avec l’Afrique et d’hypothéquer son avenir, nous proposons le concept d’africanité comme socle d’un nouveau partenariat stratégique à intérêts communs et solidaires.

L’africanité revient à penser l’Afrique avec un narratif novateur qui cherche à faire naître un désir d’Afrique sur le continent africain et dans le monde. L’africanité, c’est prendre conscience que l’Afrique n’est pas qu’un réceptacle, que les Africains ont également des choses à offrir au monde…

Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor avaient proposé le concept de « négritude » pour sortir du statut de colonisé et faire reconnaître le destin du peuple noir. Avec l’africanité… nous proposons un concept en résonance avec un monde multipolaire dans lequel le continent africain revient sur la scène internationale par lui-même en tant qu’acteur et non plus en tant que figurant et spectateur.

Avec l’africanité, l’Africain endosse le statut de global player. L’africanité reflète la volonté d’émancipation, d’affirmation et de transformation des jeunesses africaines. Ce concept marque et accompagne le changement actuel d’époque caractérisé par le passage d’une Afrique dominée à une Afrique qui souhaite devenir souveraine.

Sur le plan idéologique, l’africanité est un puissant concurrent à la version subversive du panafricanisme qui ne cesse de dénoncer l’impérialisme et l’occident. L’africanité ne s’inscrit pas dans ce narratif de la posture de la victime, de l’abandonné. Elle s’inscrit dans celui de la responsabilité. L’africanité est un mouvement plus large que la négritude et le panafricanisme car elle extrait les Subsahariens de leur condition de noirs et les Maghrébins des appartenances arabes et orientales.

Dans sa relation aux nations africaines, l’africanité rassemble donc. Elle n’enferme pas. L’africanité désigne l’Afrique dans sa totalité. Elle rappelle que l’Afrique, c’est le swahili, le kabyle, l’olivier, le dragonnier, l’émir Abdelkader et Amadou Hampâté Bâ, les palabres et les fdawis, le malouf, la kora…

Dans sa relation aux autres continents, l’africanité n’est ni une tour ni une muraille. Il ne s’agit pas de rompre les relations avec l’autre, mais de chercher de nouvelles manières d’aller à la rencontre d’autrui. Il s’agit de renouveler le regard et de penser l’altérité, de décoloniser les formes et les imaginaires.

En quelque sorte, il s’agit de fixer une nouvelle éthique de la rencontre. Qu’elle ne soit plus effraction, ou prédation mais bien déploiement et apprentissage de l’intérêt commun. Pour reprendre Hegel, il s’agit de sortir de la dialectique du maître et de l’esclave. Avec l’africanité il s’agit de construire des ponts au-dessus de l’Atlantique et de la Méditerranée, tout en bâtissant des passerelles à l’intérieur même du continent africain.

La France a intérêt à assumer et développer sa part d’africanité en s’appuyant entre autres sur le modèle du Maroc qui sous l’impulsion du monarque Mohamed VI a renoué avec sa profondeur africaine. Une véritable diplomatie culturelle au service de l’économie.

Désormais, de nombreux événements mettent en lumière l’africanité du Maroc. Citons notamment le Festival du cinéma africain à Khouribga, le festival Gnawa et les musiques du monde à Essaouira et celui des Musiques sacrées à Fès. Le Maroc se positionne comme phare de l’africanité.

Un Maroc pluriel qui se met ainsi en scène comme le représentant de son continent à partir de ses terres avec un agenda de rayonnement dont l’objectif est d’être compris et si possible suivi. Sur le plan éducatif, les universités et les écoles marocaines entendent bien former les jeunesses subsahariennes et accroître ainsi le soft power du royaume.

En France, il est temps de proposer aux écoles et aux grands groupes français des programmes de formation qui visent une meilleure connaissance du continent, grâce à des modules consacrés à l’Afrique réelle, celle des territoires, du quotidien qui vit selon ses coutumes, ses traditions, l’urgence.

Dispensés par des experts aux enracinements africains dynamiques, en harmonie avec le réel, ces modules permettront de connaître les Afriques et les Africains et pas seulement l’élite africaine qui est d’ailleurs souvent en rupture avec ses populations.

Les programmes reposent sur la question de l’articulation entre réseaux mondiaux et territoires locaux africains selon des logiques de nodalité et de polarité (les liens avec les arrière-pays). Une formation par et pour le marché, au service du plus grand nombre et non pas d’une élite (privilèges, profits…). Enfin, une formation définitivement au service d’une terre habitable.

La formation à l’africanité évitera à la France d’être victime de La revanche des contextes, pour paraphraser Jean-Pierre Olivier de Sardan.

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La rédaction