Aïcha Guezzour, prendre soin de l’héritage de l’arganier

 Aïcha Guezzour, prendre soin de l’héritage de l’arganier

Aïcha Guezzour, fondatrice d’Imnia Oil (Copyright Mohammed Saad Studio)

Enfant, elle voyait les femmes de la région de Tiznit presser et travailler l’argan. Près de trente ans plus tard, avec Immia Oil, la biologiste redonne de la valeur aux produits de sa région d’origine.

“Si tu ne sais pas où tu vas, rappelle-toi d’où tu viens !” Ce proverbe arabe n’a jamais été aussi vrai que dans le cas d’Aïcha Guezzour. Née en 1977 dans le village d’El Maader El Kabir, près de Tiznit, elle y a vécu jusqu’à l’âge de 8 ans. “J’ai eu une enfance merveilleuse, indique la quadragénaire. J’ai une attache viscérale pour ma région et mon pays. Je parlais berbère dans mon enfance au Maroc et en France. J’ai appris à lire et à écrire l’arabe aussi. Je me vois comme une guerrière. Je sens couler en moi la force des femmes battantes berbères.”

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« Mon père m’a incitée à entreprendre »

Sa mère, femme au foyer, vient du village d’Iefrda. Aïcha y passe ses vacances au milieu des arganiers. “Les femmes fabriquent leurs huiles avec leurs propres mains. C’est plus qu’un simple produit culinaire. Pour elles, ce sont des ressources, des moyens d’échanger et de discuter. A l’époque, l’argan était surtout un aliment. On l’uti­lisait de temps en temps pour le soin des cheveux mais très peu pour le visage.”

Son père, quant à lui, monte un restaurant marocain et quelques affaires dans l’immobilier avec son frère en France. En 1986, il décide de rapatrier femme et enfants. La famille arrive à Persan, dans le Val-d’Oise. “L’adaptation a été compliquée les premières années. On a dû ‘réapprendre’ le français. On se faisait traiter de ‘sales Arabes’. Le racisme était très prégnant dans les cours de récréation. On avait l’impression d’être les seuls étrangers.”

Vivant en pavillon dans une ville où résident peu de Maghrébins, elle n’a pas de contacts avec les habitants des cités aux mêmes origines et ne côtoie que des membres de sa famille (frères, cousins, cousines). Les week-ends sont consacrés à l’entreprise familiale, les garçons au restaurant et les filles à la comptabilité et à l’administratif. “Mon père nous a élevés dans une culture où l’indépendance prime, explique-t-elle. Il nous incite à entreprendre. Inconsciemment, on a compris la valeur du travail.”

Après son bac ES, elle s’engage dans des études de “pharma” pendant quatre ans à Paris. Elle se rend compte que ça ne correspond pas à ce qu’elle projette de faire et se réoriente vers un BTS en biologie contrôle et qualité, qui lui permet de commencer à travailler sur les formulations de crèmes. Pour gagner sa vie, elle collabore en tant que préparatrice en pharmacie dans plusieurs grandes officines pendant plus de dix ans. Elle suit aussi un master en entrepreneuriat en formation continue à HEC. Responsable d’achat pour des gammes de parapharmacie, elle découvre le marché des cosmétiques.

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Le signe de la transmission

Alors qu’elle se recueille sur la tombe de sa grand-mère dans la région de Souss-Massa-Draâ et qu’elle a placé ses filles sous un arganier, elle y voit un signe de la transmission de ce “trésor” millénaire. A 36 ans, elle crée Immia Oil, qui renvoie au mot “Immi”, mère en berbère.

Que ce soient les contrôles fiscaux qu’a subis son père, sa vie de famille ou les freins qu’une mère peut rencontrer pour créer son entreprise, Aïcha Guezzour pense que tout est surmontable : “Il ne faut rien lâcher et être déterminée. Tout n’est qu’étapes. D’aucuns parlent de difficultés, je les appelle moi des challenges.”

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Un travail de fourmi

Avec un capital de 8 000 euros, elle monte sa société. Au Maroc, elle crée un réseau de sourcing des coopératives féminines marocaines qui remplissent le cahier des charges. “Je voulais avoir la meilleure matière, dit l’entrepreneuse. J’ai fait du porte-à-porte avec la chance de ­pouvoir parler berbère. J’ai pu établir un lien de confiance et les aider à améliorer leurs différents process.”

Les produits bruts arrivent à Nice dans un laboratoire qui les analyse. “On fait de la formulation. On développe des crèmes, des gommages, etc. 3 nouveaux produits innovants vont bientôt être en commercialisation. Le monde nous regarde et c’est important de montrer que nos produits marocains sont bons.”

En six ans, la société atteint un chiffre d’affaires de 500 000 euros, réussissant à embaucher plusieurs salariés et free-lance. Se concentrant sur les officines prioritairement, Aïcha Guezzour n’est pas qu’une simple vendeuse. “Ce n’est pas simplement de la vente. C’est un travail de fourmi. J’ai besoin de former les salariés plusieurs heures sur mes produits et le travail qu’il y a derrière.”

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Un laboratoire au Royaume

Si Immia Oil se base sur les huiles d’argan et de figues de barbarie de sa région, elle innove aussi avec de nouveaux produits (eau de rose, ghassoul de Fès) et voit son proche avenir sur internet mais aussi auprès des spas de luxe et des cliniques de chirurgie esthétique.

Adorant les voyages, Aïcha Guezzour aime l’apport des cultures différentes de la sienne. “Je vise aussi l’Afrique. Par exemple, poursuivre le même travail sur le karité au Burkina Faso entre dans mes ambitions.” Bien ancrée dans ses deux pays dorénavant, elle envisage dans quelque temps de passer du sourcing à un laboratoire de transformation au Royaume, pour amener cette expérience au Maroc et faire naître de nouvelles vocations.

 

En partenariat avec la Caisse centrale de garantie (CCG)

CCG

 

MDM Invest, un coup de boost pour les Marocains du monde

Dans le cadre des mesures prises pour encourager l’investissement, et afin de promouvoir l’initiative entrepreneuriale auprès de la diaspora marocaine partout dans le monde, la Caisse centrale de garantie (CCG) a lancé le produit MDM Invest, destiné aux Marocains résidant à l’étranger (MRE) porteurs de projets de création ou d’extension d’entreprises promus au Maroc, d’un montant au moins égal à 1 million de dirhams (environ 93 800 euros).
Il s’agit d’une prime à l’investissement non remboursable de l’ordre de 10 % de l’apport du MRE dans le projet, avec un plafond de 5 millions de dirhams (pour plus d’infos, consultez le site www.ccg.ma). A noter que la CCG dispose, outre cet instrument, d’une panoplie de produits de garantie et de cofinancement, qui ont pour objectif de faciliter l’accès des entrepreneurs au financement, ainsi que d’une offre en faveur des start-up innovantes dans le cadre du fonds Innov Invest.

Yassir Guelzim

Yassir GUELZIM

Journaliste Print et web au Courrier de l'Atlas depuis 2017. Réalisateur de documentaires pour France 5.