Baisse de la dette extérieure en Tunisie : quel impact sur l’économie réelle ?

Le volume de la dette extérieure de l’État tunisien a enregistré une baisse notable, passant de 66 874 millions de dinars en 2023 à 62 539 millions en 2024, selon les derniers chiffres officiels publiés en ce 23 octobre par un rapport du ministère des Finances. Une diminution de plus de 4 milliards de dinars, qui pourrait, de prime abord, être interprétée comme un signe d’amélioration de la situation financière du pays. Mais derrière cette apparente accalmie, les économistes appellent à la prudence : cette contraction de la dette ne traduit pas nécessairement un redressement de l’économie réelle. Explications.
La même source prédit que la baisse de la dette extérieure se poursuivra pour atteindre 56 971 MDT en 2025 et 56 486 MDT en 2026, selon le rapport. Le volume total de la dette de l’État à la fin de l’année 2026 devrait en revanche s’élever à 156 704 MDT, contre 145 032 MDT en 2025, soit une augmentation de 11 672 MDT.
Cette hausse est attribuable au financement du déficit budgétaire (11 015 MDT) et en raison de l’impact des taux de change (650 MDT), précise le rapport du ministère relatif au projet de budget de l’État pour l’année 2026. A la fin de l’année 2026, la dette de l’État devrait atteindre 83,41 % du Produit Intérieur Brut (PIB), contre 84,02 % prévus pour l’année 2025 et 84,9 % enregistrés en 2024. A titre de comparaison, la dette publique de la France représente 115,6 % du PIB à la fin du deuxième trimestre 2025, un record, celle de l’Algérie 50 % du PIB en 2024, et celle du Maroc s’est stabilisée autour de 70 % en 2024. En crise historique, la dette publique du Japon est d’environ 235 % à 260 % de son PIB, selon les estimations récentes. Il s’agit du ratio le plus élevé parmi les pays développés.
Selon les prévisions de financement extérieur pour 2025-2026, l’impact de la hausse des taux de change sur le volume de la dette de l’État est estimé à raison d’une augmentation de 0,01 dinar pour les cours du dollar et de l’euro, et de 0,1 dinar pour le cours de 1000 yens japonais, ajoute la même source. Globalement, une hausse de 1 % des taux de change des devises étrangères par rapport au dinar, selon les prévisions établies pour fin 2026, entraînerait une augmentation du volume de la dette de l’État d’environ 593 MD, soit 0,32 % du Produit Intérieur Brut.
Impact limité de l’embellie sur l’économie réelle
D’un point de vue strictement comptable, la baisse du stock de dette peut résulter de plusieurs facteurs techniques : remboursements anticipés, moindres tirages sur les lignes de crédit, ou encore variation du taux de change entre le dinar et les principales devises de financement. Autrement dit, il ne s’agit pas forcément d’une baisse structurelle liée à une amélioration de la croissance ou à une réduction du déficit budgétaire.
La Tunisie reste en effet confrontée à une situation budgétaire fragile, marquée par un besoin de financement élevé et une dépendance persistante aux ressources extérieures. Le recul du recours à l’endettement extérieur s’explique en réalité davantage par la difficulté d’accès aux marchés internationaux, dans un contexte de dégradation du rating souverain, bien que cette tendance s’inverse récemment, et de négociations toujours bloquées avec le Fonds monétaire international (FMI). Autrement dit, si la dette baisse, c’est aussi et surtout parce que le pays emprunte moins faute de partenaires disposés à le financer, et a recours à l’endettement intérieur notamment auprès de sa propre Banque centrale, en sus des banques privées tunisiennes.
Par ailleurs, cette évolution doit être relativisée au regard de la structure de la dette tunisienne : plus de 60 % de la dette publique totale demeure extérieure, libellée principalement en euros et en dollars. Une dépréciation du dinar, même modérée, suffit ainsi à alourdir mécaniquement le poids du service de la dette, qui absorbe déjà une part importante du budget de l’État.
Sur le plan économique, si la croissance certes redémarre, l’investissement privé stagne quant à lui, tandis que et que les exportations ne compensent pas la faiblesse du marché intérieur. Dans ce contexte, la baisse du stock de dette ne saurait masquer la réalité d’un appareil productif en manque de vitalité, d’un climat d’affaires incertain et d’une fuite continue des compétences et des capitaux.
Pour certains analystes, il s’agit donc d’un effet d’optique comptable plus que d’un signal de reprise : un indicateur qui flatte la communication officielle sans résoudre les problèmes de fond. La question essentielle reste celle de la capacité du pays à relancer durablement la croissance, à réformer son système fiscal et à restaurer la confiance des investisseurs. Tant que ces leviers structurels ne seront pas activés, la baisse de la dette extérieure, aussi bienvenue soit-elle, restera une amélioration de façade plutôt qu’un signe de redressement réel.
