Cacophonie à Carthage, le discours de trop ?

 Cacophonie à Carthage, le discours de trop ?

Le président de la République Kais Saïed s’est livré mercredi soir à un discours confus et menaçant, en guise de réponse à ses détracteurs. Des propos décousus, acrimonieux, sans lien apparent, qui révèlent davantage une pensée anxiogène qu’un leader serein à même de rassurer les Tunisiens la veille des fêtes de fin d’année.  

 

Étaient convoqués à cette réunion du 28 décembre au soir, diffusée en direct, la cheffe du gouvernement, le ministre de l’Intérieur, le ministre de la Défense, la ministre de la Justice mais surtout plusieurs hauts cadres militaires et sécuritaires, ce qui du point de vue de la forme pouvait laisser penser à un Conseil de sûreté nationale qui ne dit pas son nom. « Dès que Saïed est en difficulté politique, il convoque les généraux de l’armée », commentent plusieurs internautes, désormais incrédules face à la stratégie de communication du Palais devenue prévisible, le message étant simple : intimider ses adversaires et montrer que l’on est toujours aux commandes.

Officiellement, il s’agissait de discuter de la situation générale dans le pays et des derniers développements sur la scène nationale. Au final cela a donné lieu à 22 minutes de montée dans les décibels d’un discours inquisiteur, souvent fait d’élucubrations à bâtons rompus, dont on ne comprend pas l’utilité dans la parole présidentielle.

 

Faire diversion

Car que nous dit Kais Saïed ? « Aujourd’hui un cadre dans un ministère a quitté son bureau pour aller rencontrer un spéculateur » […]. « 300 mille dinars ont été saisis en possession d’un individu. Au final un magistrat le libère et il ne doit s’acquitter que de mille dinars d’amende ». […] « Un individu qui projetait un assassinat à l’encontre de ma personne circule librement à Djerba, puis on le laisse quitter le territoire en toute quiétude » […] « On a chargé une barque de migrants à Zarzis que l’on a coulé à dessein, puis ils ont déterré les corps dans des conditions troubles, il y a eu un virement de 400 mille dinars »…

Qui est ce « on », indéfini, omniprésent dans le discours présidentiel ? Ce « ils » inclut-il l’opposition ? Quelle est la pertinence de ces faits divers, probablement mentionnés dans des rapports destinés au Palais par le renseignement, ainsi énoncés dans un discours solennel, si ce n’est prendre à témoin les Tunisiens par le biais du populisme dans sa plus simple expression ? Un raisonnement qui revient en somme à dire la chose suivante : Regardez, il y a de vils corrompus, des conspirateurs, des traîtres et des criminels, et tant qu’ils séviront, la perpétuation de mon pouvoir est un devoir national.

Arrondissant les chiffres, le président a par ailleurs commenté le taux de participation dérisoire aux dernières législatives du 17 décembre :

« Ces 9% ou 12% réalisés sont meilleurs que les 99% réalisés aux élections auxquelles ils avaient participé et qui étaient applaudies par les chancelleries étrangères alors qu’elles savaient parfaitement qu’elles étaient falsifiées ». Sans le vouloir, le chef de l’Etat révèle en cela la principale raison de son agacement, en comparant ce désaveu clair aux résultats des élections du temps du régime de Ben Ali. Une comparaison qui a d’autant moins de sens que plus le taux de participation est élevé, mieux les démocraties se portent.

Le président Saïed termine sur une note menaçante : « Ceux qui portent atteinte à l’État et à la paix sociale devront assumer leurs responsabilités ! », selon l’analogie indirecte, leitmotiv de tout autocrate : l’Etat c’est moi.

 

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Seif Soudani