Divorce : Une mère face aux 15 procédures de son ex-mari

 Divorce : Une mère face aux 15 procédures de son ex-mari

FANATIC STUDIO / GARY WATERS / S / FST / Science Photo Library via AFP.

Mariée sous le régime matrimonial marocain, une franco-marocaine vit un enfer après son divorce très rapide avec son ex-mari. Celui-ci multiplie les plaintes farfelues l’empêchant de refaire sa vie ou de partir à l’étranger avec sa fille.

Sara* a le sourire un peu dépité quand elle parle de son divorce. « Je passe plus de temps aux tribunaux que chez moi avec ma fille ! dit elle en riant jaune. J’ai besoin que la justice marocaine prenne en compte ce qui se passe.» Force est de constater qu’elle n’a pas tout à fait tort ! Cette brillante ingénieure informatique vit une situation kafkaïenne qu’elle ne comprend toujours pas.

Son parcours est des plus classiques. Prépas, école d’ingénieurs à Paris, travail en France,… Après l’acquisition de la nationalité française, elle se rend à Londres pour rejoindre une société IT. Alors qu’elle atteint la trentaine, une mission au Maroc se présente à elle. A Casablanca, elle fait la connaissance de son futur mari, dirigeant d’une société familiale. « Au bout de six mois, il m’a fait sa proposition de mariage. Il souhaitait que l’on ait des enfants le plus tôt possible. J’étais dans le même état d’esprit. J’habitais alors encore à Londres et nous faisions des allers-retours pour nous voir. »

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Le régime matrimonial marocain prime

Franco-marocains tous les deux, ils décident pourtant de se marier au Maroc en 2018. « C’était compliqué de passer par le régime français. On a opté pour le régime matrimonial marocain avec l’idée de le convertir en mariage français. » Une erreur qu’elle va payer cher dans le futur de sa vie personnelle !

Quelque temps après leur mariage, Sara tombe enceinte. Ils décident qu’elle accouche à Londres et qu’elle prenne une année sabbatique pour s’installer au Maroc. Ils gardent à l’esprit que si la situation dans le Royaume ne leur convient pas, ils reviendraient vivre en Grande-Bretagne. D’un commun accord, ils achètent ensemble un appartement à Casablanca d’une valeur de 2,5 millions de dirhams (250 000 euros, ndlr). « Il m’a indiqué avoir uniquement 40 000 euros. Pour ma part, j’ai apporté les 60 000 euros restants. Il a visité l’appartement, m’a envoyé les photos et m’a demandé de virer mon argent à ses frères, sœur et père. Je lui faisais alors pleinement confiance comme mari et femme. Lors de l’achat, il donne le chèque de 100 000 euros à son nom et deviens vis à vis de la loi comme l’unique remettant de l’apport. »

Prétextant ne pas gagner assez chez son père (350 euros), il lui demande alors de prendre un crédit de 1,5 millions de dirhams (150 000 euros) à l’unique nom de Sara. Elle se plie à sa demande.

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Le début de l’enfer

A Londres, elle passe sa grossesse toute seule et accouche d’une petite fille, Safia*. Peu de temps après, elle prend sa fille sous le bras et se rend au Maroc dans l’appartement que son mari a meublé au préalable. 15 jours après son arrivée à Casablanca en octobre 2019 alors que son enfant allaite encore, son ex-mari fait sa demande de divorce. Ayant encore son appartement et son travail à Londres, elle lui demande de pouvoir retourner au Royaume-Uni. Refus catégorique de l’ex-mari qui s’oppose à sa sortie du territoire et celle de sa fille, malgré les preuves qu’elle apporte de sa vie londonienne. « J’ai un salaire à Londres. Le crédit de la maison indiquait que mon adresse était au Royaume-Uni. Comme je ne suis pas retournée sur place, j’ai fini par perdre mon poste. »

Payant seule des traites de 10 000 dirhams, elle se retrouve sans travail au Maroc avec une pension de 1600 dirhams que lui accorde le jugement de divorce en mars 2020. Peu de temps après, son ex-mari enclenche une procédure en appel estimant que la pension est trop élevée. Il sera finalement débouté mais ne paie la pension que sous la contrainte judiciaire. Pour obtenir son argent, Sara est obligée de faire des démarches au tribunal.

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Comptes d’apothicaire et petits emmerdements

Procédurier au maximum, il porte plainte pour récupérer les meubles de l’appartement. Il perd en première et seconde instance. Une semaine après le rendu de divorce en mars 2020, il lui annonce vouloir vendre l’appartement aux enchères. Lors de cette vente, le bien est estimé par le commissaire priseur à 1,8 millions de dirhams. Les enchères vont monter à 2,38 millions de dirhams. L’heureux acquéreur : son ex-mari qui officiellement ne gagne que 3500 dirhams par mois et paye l’achat de l’appartement rubis sur l’ongle. « En théorie, la banque récupère son argent et le reste doit être divisé entre les deux anciens conjoints. Sous prétexte que le crédit était à mon nom, il a récupèré les 70 000 euros restants. »

Et elle n’est pas au bout de ses peines. Alors qu’elle est déjà affectée par cette injustice, son ex-mari lui lance une nouvelle procédure pour récupérer l’avance qu’il aurait fait pour l’appartement. Il se voit attribuer par la justice la somme de 28 000 euros supplémentaires que Sara doit lui payer. Devant ses complications, Sara va se pourvoir en cassation.

Famille et force de caractère

Malgré tout, Sara rebondit grâce à sa famille et une volonté de fer. Depuis le Maroc, elle récupère des missions à distance en France notamment alors que le monde est plongé en plein Covid. Apprenant que son ex-femme va devoir aller une semaine par mois en France pour son travail, l’ex-mari lance une procédure pour obtenir la garde de l’enfant. Gardant le passeport de sa fille qu’elle a du renouveler, il l’accuse de vouloir effectuer un kidnapping, ce que la justice marocaine classera sans suite. Or, ce père, tellement féru de justice, n’a vu sa fille que 3 fois depuis sa naissance.

En mars 2020, l’enfant n’ayant que 5 mois, le juge des affaires familiales donne la garde exclusive à la mère. Le père obtient 2 heures par week-end. Il va à nouveau devant les tribunaux pour demander un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires. Finalement, la justice lui accorde une garde tous les dimanches. Pour autant, il ne l’a jamais vu depuis deux ans. S’appuyant sur son autorité parentale, il demande l’exclusion de sa fille de l’école française. L’enfant perd un mois de cours avant que la justice estime que Safia a pleinement le droit de pouvoir étudier à l’école française.

Une femme désemparée de ne pouvoir agir

Installée dans un nouvel appartement, elle travaille en contrat freelance avec une boite française. Elle espère surtout que les choses puissent s’arranger pour retrouver sa vie entre le Maroc et l’étranger. « Malgré tout ce qui s’est passé, je veux que ma fille connaisse son père. Je ne souhaite pas rompre le lien. Toutefois, il ne voit pas son enfant de fait. Quel intérêt y a t’il à notre présence au Maroc ? Je sais que je n’ai pas le choix et que je suis obligé de rester sur place. Il détient le pouvoir de bloquer toute sortie de notre fille du territoire.»

Des tentatives de médiation familiale ont été tentées par l’oncle de Sara sans aboutir. Elle tentera de voir s’il existe une possibilité à l’étranger mais la seule voie de recours possible reste la justice marocaine. « J’ai écrit au consulat de France qui m’annonce ne rien pouvoir faire du fait du mariage sous le régime matrimonial marocain. Notre mariage n’a jamais été converti en mariage français. La justice française ne peut rien faire contre lui. Quelque soit la situation future, je sais que je devrais face à une montagne de procédures pour tout et pour rien.»

Passée par un interdit bancaire, Sara se retrouve aujourd’hui bloquée dans sa carrière et sa vie. Sa fille, Safia, vit plutôt sereinement la situation. « Des fois, je me dis que ce que je vis n’est pas croyable. Je veux juste que l’on me rende justice. Mon lien avec le Maroc reste fort mais je veux pouvoir partir et revenir comme bon me semble avec ma fille. Mon seul souhait est de récupérer ma liberté et celle de ma fille.»

* Les prénoms ont été modifiés

Yassir Guelzim

Yassir GUELZIM

Journaliste Print et web au Courrier de l'Atlas depuis 2017. Réalisateur de documentaires pour France 5.