A la recherche d’une nouvelle masculinité

 A la recherche d’une nouvelle masculinité

crédit photo :Ashley Corbin-Teich/Image Source/AFP


Valeurs, comportements, modes de vie… Depuis les années 1950, les hommes auraient changé, au point de se libérer des stéréotypes et des postures virilistes. Certains parlent d’une révolution, d’autres s’interrogent sur la portée de cette évolution. 


Est-on passé du “pater familias” des années d’après-guerre, où l’homme incarnait l’autorité, à un profil plus hédoniste, qui n’hésite plus à bousculer les rôles au sein du foyer ? Oui, selon l’étude “Portrait(s) des hommes d’aujourd’hui”, publiée par Amaury Media et Sociovision début 2018. Les hommes d’aujourd’hui ne seraient qu’un peu plus d’un quart à vouloir incarner les codes masculins traditionnels. Quand en 1981, 78 % d’entre eux estimaient que les femmes ont autant besoin d’une vie professionnelle que familiale, ils sont à présent 92 % à le penser. Un peu plus assurent même qu’un homme peut s’occuper du foyer pendant que sa conjointe travaille et 96 % qu’il doit suivre la scolarité de ses enfants. Plus des deux tiers des sondés disent que ce n’est pas au père de famille de commander chez lui, contre 39 % en 1975.


 


Le séisme Weinstein


Contrairement à leurs pères ou grands-pères, ils se montrent moins attachés aux valeurs de discipline, trouvent normal que les hommes expriment leurs émotions et disent vouloir profiter davantage des plaisirs de la vie. L’affirmation de soi prend le pas sur les valeurs de pouvoir et de domination. Non sans douleur. Déjà ­remuée par les mouvements féministes des dernières décennies et les avancées en matière d’égalité des sexes, l’identité masculine est rudement bousculée depuis ­l’affaire Weinstein et la lutte contre le sexisme incarnée par #metoo et #balancetonporc.


“Les hommes sont déstabilisés, constate Mariette Darrigrand, sémiologue. Outre l’impression qu’on leur en veut et que la figure masculine est devenue universellement négative, eux qui ont longtemps dominé et qui étaient le modèle à suivre ne sont plus porteurs de l’idéologie. Les femmes empiètent sur ce qu’ils croyaient être leur pré carré. Ils ont peur de perdre leur pouvoir et sont obligés de réagir alors que jusque-là, c’était eux qui donnaient le ton.”


Selon l’étude, les nostalgiques d’un ­patriarcat tout-puissant ne sont plus légion. Une nouvelle génération d’hommes aurait fait son apparition, bousculant le modèle de l’incarnation virile. “L’écosystème en entreprise évolue peu, note Patrick Scharnitzky, docteur en psychologie sociale, auteur du livre Les stéréotypes en entreprise. Les comprendre pour mieux les apprivoiser (Eyrolles, 2015). Un jeune qui a une identité et une appétence différentes de la norme masculine finit par en adopter les codes à son tour s’il veut trouver sa place. Néanmoins, de plus en plus d’hommes ont envie d’assumer de ne pas ressembler à Bernard Tapie. Aussi, 40 % du télétravail en France est effectué par des hommes. Le congé paternité est une réussite.”


De profondes évolutions socio-démographiques accélèrent encore le changement. “La monoparentalité exclusivement masculine dans 20 % des cas fait que des hommes se retrouvent à s’occuper de leurs enfants en alternance, confirme Marie Donzel, manager senior chez AlterNego. Un de mes collègues m’a récemment demandé d’éviter de lui coller un rendez-vous le mercredi pour cette raison. En revanche, je suis pessimiste concernant les couples. Beaucoup d’hommes disent : ‘Les mômes, je veux bien. Laver les toilettes, moins.’ Et les enfants, c’est plutôt pour les ­activités valorisantes type loisirs.”


 


“Je veux voir grandir mes enfants”


Pour la consultante, quand les hommes montent au créneau auprès de leur employeur sous l’angle “je veux voir grandir mes enfants”, c’est un prétexte. “C’est moralement plus acceptable que de dire qu’on a envie de moins bosser.” Et quid de la génération Y que l’on dit plus égalitaire ? “C’est trop tôt pour le dire, avance-t-elle. Certes, ils ont vu leur mère travailler, mais ils l’ont aussi vu faire la double journée et endosser toute la charge mentale. Quand sera venu le temps de faire l’arbitrage entre travail et responsabilité parentale, on verra quelle stratégie plus ou moins loyale sera adoptée par l’un et l’autre.”


D’autant que le modèle de masculinité hégémonique, décrit par la philosophe Olivia Gazalé dans son livre Le Mythe de la virilité. Un piège pour les deux sexes ­(Robert Laffont, 2017), reste vivace. Le conditionnement viriliste, qui associe le masculin à certains traits (combativité, force, voire agressivité et violence) dont les hommes font l’objet, impose une hiérarchie des sexes, laquelle perpétue les inégalités ou les conflits entre les femmes et les hommes. “Aujourd’hui, les neurosciences nous ­permettent d’affirmer que tous les êtres humains ont en commun 99,9 % de gènes et que seules les différences sont biologiques”, insiste Patrick Scharnitzky.


 


Masculinité plurielle


Marie Donzel confirme, le monde est bien moins binaire qu’on l’affirme. “La masculinité est plurielle, comme le montrent les travaux de Raewyn Connell, une sociologue australienne. Ce qu’on définit comme l’alpha mâle, qui réunit tous les critères de virilité, à commencer par la puissance, ne concerne réellement qu’un faible pourcentage d’hommes. Pourtant, cette représentation draine une ‘masculinité complice’. L’alpha mâle est le rôle modèle de la masculinité, qui permet à l’immense majorité des hommes, sans pour autant lui correspondre, de bénéficier de ce qu’il offre comme avantages. La plupart d’entre eux se retrouvent donc défenseurs et promoteurs d’un modèle qui fait pourtant pression sur eux. Sauf qu’aussi longtemps qu’ils en seront bénéficiaires, ils ne le contesteront pas.”


Terrifiée par l’idée de déclassement et de perte de privilèges obtenus grâce à ce modèle, une partie des hommes est aux abois. “Quand ils sont précarisés, ils préfèrent se retourner contre le mouvement féministe, expliquant qu’il est à l’origine de leurs problèmes”, pointe Marie Donzel. Mais l’étude le montre, des hommes souhaitent investir la sphère privée et la vie émotionnelle. Mariette Darrigrand se veut optimisme. “La liberté de se démarquer de son sexe d’origine et la volonté de ne pas être réduit à un genre s’affichent nettement. Les codes masculins évoluent et se civilisent. Des populations, artistes ou étudiants en particulier, sont en avance sur le plan des habitudes et impulsent des changements. Les hommes se montrent de plus en plus hybrides, pouponnent ou arborent une barbe, tout en portant un chignon ou des bijoux.”


Toutefois, Patrick Scharnitzky modère le propos. “Oui, ça avance, mais le cerveau ne change pas aussi vite qu’un texte de loi. Il faudra beaucoup de temps à chacun pour visualiser ces nouveaux schémas et que s’amorce un véritable virage.” 


 


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