Harcèlement, l’art comme planche de salut

 Harcèlement, l’art comme planche de salut

Crédit photo : Thomas Rollin


Des comédiens s’immergent dans les écoles de l’agglomération rouennaise pour briser le tabou des violences scolaires, un phénomène auquel la France a du mal à apporter des solutions efficaces. 


Une paire de lunettes, deux boutons sur le front, trois kilos en trop, un léger bégaiement… Il suffit d’un rien pour que la violence se déclenche. “C’est une spirale vieille comme le monde, affirme le comédien Thomas ­Rollin. Les boucs émissaires existaient déjà dans la Grèce antique.” Depuis quatre ans, l’artiste rouennais, comédien et ­metteur en scène, est hanté par la violence scolaire. De ses interventions auprès de collèges de l’agglomération, il parle avec une passion teintée de tristesse.


En mars, Orlane, 13 ans, s’est défenestrée après avoir reçu des appels et des textos menaçants, émanant de ses camarades du collège Edouard-Branly. Ce décès tragique est le deuxième du genre dans l’établissement du Grand-Quevilly, où s’est immergé Thomas Rollin en 2015. “J’y suis retourné après le drame. Les élèves étaient traumatisés”, témoigne le comédien, qui a découvert l’horreur des violences scolaires en lisant le poignant récit de Jonathan Destin : après six ans d’un calvaire constant et une tentative de suicide par immolation, l’ancien collégien, aujourd’hui âgé de 21 ans, est défiguré.


 


Entendre l’agressé et l’agresseur


Au moins un élève français sur dix serait victime de harcèlement. Un constat accablant qui a poussé le gouvernement précédent à mettre en place une journée de sensibilisation (le 5 novembre) et un numéro vert. La formation des enseignants a également été renforcée. Un dispositif à l’efficacité incertaine, selon les professionnels. “Aucune proposition n’est faite concernant la prise en charge médico-psychologique des victimes, mais aussi des auteurs, le harcèlement scolaire étant l’expression d’une souffrance majeure”, peut-on lire dans l’ouvrage dirigé par la psychologue Hélène Romano, Pour une école bientraitante, prévenir les risques psychosociaux scolaires (Dunod, 2016).


Conscient de la complexité du problème, Thomas ­Rollin lance en 2014 un appel à témoignage pour libérer la parole des victimes, mais pas seulement : “Je voulais aussi entendre des témoins et d’anciens agresseurs, leur permettre de s’exprimer, avec du recul, sur des violences passées.” Quarante douloureuses tranches de vie, restituées sous forme d’un texte théâtral à l’intitulé glaçant : Le monde se portera mieux sans toi. Une pièce coup de poing qui sera jouée durant la prochaine saison.


 


Prise de conscience


Régulièrement en résidence artistique dans les collèges rouennais, Thomas Rollin interpelle les élèves de diverses façons : débats, ateliers d’écriture, spectacles participatifs… “A travers ces exercices, je veux qu’ils prennent conscience de la violence, parfois extrême, des mots et des gestes qu’ils peuvent poser.”


Pour restaurer le respect et la bienveillance à l’école, les outils pourtant ne manquent pas. La méthode suédoise Pikas, basée sur des entretiens poussés avec les harceleurs, permet aux élèves de réparer leurs torts à l’endroit de la victime, sans blâmes ni reproches. “Un outil très efficace auquel la France ne daigne pas encore s’intéresser. Nous sommes à la traîne par rapport à des pays comme la Suède, la Finlande ou le Canada. Même les dix heures annuelles de vie de classe, qui pourraient être mises à profit pour dialoguer, assainir l’atmosphère, sont souvent zappées”, regrette Thomas Rollin.  


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MAGAZINE SEPTEMBRE 2017

Sana Guessous