EFFONDREMENT : 20 SCÉNARIOS POSSIBLES – Inégalités économiques, crise écologique, incohérences politiques

 EFFONDREMENT : 20 SCÉNARIOS POSSIBLES – Inégalités économiques, crise écologique, incohérences politiques

Thierry Brugvin, EFFONDREMENT : 20 SCÉNARIOS POSSIBLES – Inégalités économiques, crise écologique, incohérences politiques. Ed. Yves Michel, 2024

Il existe un grave danger d’effondrement de la biosphère à cause du réchauffement et du dérèglement climatique. En effet, dans un monde analogue au Moyen Âge, l’humanité peut néanmoins encore se nourrir au prix d’un travail agricole laborieux. Cependant, lorsque la température terrestre s’élève trop, cette fois-ci l’eau vient à manquer, la production agricole devient insuffisante, donc les famines apparaissent entraînant des millions de décès…

Par Thierry Brugvin, sociologue

 

La majorité des ressources non renouvelables sera épuisée entre 2040 et 2090

En ce qui concerne les ressources d’énergie, elles devraient disparaître rapidement : le pétrole vers 2050, le gaz naturel autour de 2070, le charbon vers 2160. Concernant les métaux, les filons de fer seront à secs en 2090.

 

Le risque le plus important pour l’humanité concerne le réchauffement climatique

En France, les records de températures pourraient largement dépasser 50 degrés d’ici à 2050¹. En 2021, la concentration de CO2 est 50 % plus élevée qu’en 1800, et la température moyenne à la surface de la Terre a déjà augmenté de 1,1°C.

Le réchauffement climatique engendre la montée des eaux qui vont inonder des zones densément peuplées et fertiles telles que les deltas du Nil et du Bangladesh, ce qui créerait des famines. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat estime qu’un milliard de personnes seraient touchées par la montée des eaux au XXIème siècle avec un réchauffement de 2°C. Mais, il se peut fort bien qu’il atteigne 4°C. Ce serait alors plusieurs milliards de personnes qui seraient touchées !²

Pour ne rien arranger, le problème des sécheresses liées à la hausse des températures va impacter la production agricole et donc créer elles aussi d’immenses famines. Fin 2020, la terre comptait déjà 690 millions de mal-nourris, soit 8,9 % de la population mondiale dont 140 millions d’affamés et 7 millions de personnes par an en meurent encore. Parmi ces derniers, il y a déjà 50 000 personnes qui meurent déjà de faim ou de malnutrition chaque année à cause du réchauffement climatique. Alors qu’il y a suffisamment de quoi nourrir chaque individu sur la planète, les inégalités socio-économiques mondiales génèrent une insolvabilité des plus pauvres.

L’humanité pourrait-elle survivre à une hausse des températures de 10,5°C en 2300 ?

Or, cette hausse figure parmi les prévisions du GIEC. Il s’agirait alors d’une température moyenne de 25,5°C. La ville de Biskra possède une température moyenne annuelle qui s’élève à 21,8°C, mais parvient à une forte production agricole. Ainsi, il existe des régions qui parviennent à produire de gros volumes agricoles dans des climats encore plus désertiques, mais seulement lorsque les nappes phréatiques sont suffisantes. Il faut donc en conclure qu’en matière de production agricole, le problème est moins le niveau de la température que le volume d’eau disponible. Or, les carences en eau deviennent un grave problème pour des millions d’êtres humains dans la majorité des nations. C’est pourquoi, les guerres pour l’eau vont s’accroître, afin de pouvoir accéder et se partager l’eau des rivières et des fleuves.

 

Une empreinte écologique soutenable s’avère une condition de la survie de l’humanité

Depuis les années 1950, l’empreinte écologique des Français a dépassé la capacité des ressources naturelles de la France à satisfaire leurs besoins. Or, on observe une forte corrélation entre le niveau de revenu et l’empreinte écologique. Certains pays comme Cuba, ne se révèlent pas très riches, mais ils disposent d’une empreinte écologique soutenable, tout en ayant un bon indice de développement humain (IDH). Thomas Piketty a montré que les émissions de CO2 des individus se révèlent proportionnelles à leurs revenus, donc que la responsabilité de l’empreinte carbone et écologique est en relation avec leur niveau de richesse. De plus, les inégalités de richesse s’accroissent et l’inégalité économique varie en fonction du pays de naissance. Or, l’histoire des inégalités écologiques montre qu’elles proviennent aussi des inégalités économiques historiques. La responsabilité du réchauffement climatique varie selon les critères, la vision politique et les intérêts nationaux. Il existe 4 niveaux de lutte des classes socio-économiques et écologiques : la lutte entre propriétaires et non-propriétaires, la lutte pour le pouvoir d’achat, la lutte économique entre le Nord et le Sud et la lutte écologique Nord-Sud pour les dernières ressources non renouvelables.

 

La crise climatique accroît les famines et les migrations

Ainsi, le combustible des automobiles au Nord diminue la nourriture au Sud, du fait de la production mondiale d’énergie primaire dont les agrocarburants. Ainsi, se développe une forme de marché mondial de l’accaparement des terres agricoles dont le développement des agrocarburants contribue à affamer les plus malnutris. La biodiversité est en chute libre ! Or, elle s’avère indispensable à l’équilibre de l’écosystème et à une agriculture productive et résiliente. On relève que 32 % des espèces sont en recul au plan mondial. L’effondrement des espèces et de la biodiversité touche en particulier les abeilles, qui sont pourtant cruciales pour l’agriculture.

 

Malgré, la trentaine de COP visant à réguler le climat, la situation ne fait que s’aggraver

C’est sans doute que la régulation du climat n’est pas nécessaire aux élites, mais aussi que les populations ne souhaitent pas changer leur mode de vie, car chacun aspire à consommer toujours plus, afin d’atteindre au moins le niveau de vie des classes situées au-dessus d’elles. On observe en effet, une corrélation forte entre le niveau de revenu et l’empreinte écologique. Or, seule une empreinte carbone et une empreinte écologique soutenable permettront la survie de l’humanité.

La responsabilité individuelle ou nationale vis-à-vis des dégâts sur l’environnement s’avère proportionnelle aux destructions causées et généralement aussi proportionnelle au niveau de la richesse donc de la consommation ou de la production. Mais cette responsabilité est aussi proportionnelle au pouvoir des élus, des technocrates et des citoyens à faire voter des lois environnementales et à les faire appliquer. La responsabilité écologique s’avère donc proportionnelle à deux facteurs, le pouvoir économique et le pouvoir politique, individuel ou collectif

Chacune des grandes puissances accuse l’autre d’être la plus responsable du réchauffement climatique. Or, la responsabilité de l’empreinte carbone varie en fonction des indicateurs choisis. Cela peut être les individus les plus riches (les 8,5 propriétaires, les 1%, les 5%, 10 %, les 50% les plus riches de l’humanité), les entreprises les plus polluantes, comme les pétroliers, ou les pays disposant de l’empreinte carbone la plus importante. Parmi les grandes puissances, les plus responsables des émissions de CO2 sont les États-Unis pour l’empreinte carbone par habitant, la Chine pour l’empreinte carbone par pays, et la Grande-Bretagne pour l’empreinte carbone, depuis le début de l’ère industrielle en 1850. En effet, l’histoire des inégalités écologiques provient aussi de l’Histoire des inégalités économiques.

 

Quel sera le futur écologique de l’humanité ?

On relève différents scénarios écologiques pour l’humanité. Le GIEC propose 5 nouveaux scénarios pour le futur. Le scénario SSP1-1.9 s’avère le plus optimiste. Le GIEC y décrit un monde où les émissions mondiales de dioxyde de carbone tombent à zéro vers 2050. Dans le scénario SSP1-2.6 “ le deuxième meilleur scénario du GIEC “, les émissions mondiales de CO² sont fortement réduites mais moins rapidement. Dans le 3e scénario SSP2-4.5, le monde restera au milieu du gué. Dans le 4e scénario SSP3-7.0, le monde sera tiraillé par des rivalités nationales et suivra un chemin escarpé. Dans le 5e scénario SSP5-8.5, le développement du monde sera alimenté par des combustibles fossiles et sera un monde qui fonce sur l’autoroute, jusqu’à l’abîme.

Quant, à l’ADEME, elle a imaginé 4 scénarios vers la neutralité carbone en 2050 : Scénario 1 : Génération frugalité (sobriété avec un peu de technologie) ; Scénario 2 : Coopérations territoriales (avec une légère sobriété et un peu de technologie) ; Scénario 3 : Technologies vertes (sans sobriété) ; Scénario 4 : Le pari réparateur (solutions technologiques sans sobriété).

Dès 1972, le rapport Meadows pour le club de Rome envisageait 11 scénarios dont 5 principaux, pour le futur de l’humanité en 2100 qui ont été actualisés périodiquement. Le premier scénario est lié à la diminution des ressources non renouvelables ou « business as usual. » Il y a ensuite le scénario lié à la croissance de la pollution. Puis le 3e scénario du contrôle de la pollution. Dans le 4e scénario, l’humanité décide de contrôler les naissances, la pollution et les ressources non renouvelables. Dans le 5e, tout est stabilisé, sauf les ressources non renouvelables. C’est ce dernier qui s’avère le plus réjouissant, mais c’est le 1er scénario que l’humanité suit actuellement. Ce scénario prévoit que la démographie n’atteindra jamais 11 milliards, mais seulement 7,8 milliards, car sa croissance cessera en 2030. Ceci parce que la production industrielle et agricole aura commencé à stagner autour de 2020. Or, c’est en effet, ce qui s’est passé ! L’équipe de Meadows n’avait pas prévu la crise du Covid en particulier, mais la récession, oui. Hasard ou non, toujours est-il que cela fait 50 ans que ces prévisions tiennent la route.

Pour terminer la futurologie, rappelons les 6 autres scénarios pour le futur de l’humanité sur la planète, mais cette fois en relation entre les ressources technologiques et écologiques : 1) le scénario des cités ou états technologiques forteresses, 2) le scénario agricole sans technologie de pointe; 3) le scénario des centrales au thorium (donc à énergie moyenne, mais limitée par les métaux), 3-a) le sous  scénario à climat dérégulé et 3-b) le sous scénario à climat régulé (donc à énergie moyenne, mais limitée par les métaux); 4) le scénario d’énergie abondante manquant de métaux; 5) le scénario de l’abondance énergétiques et métalliques, dont 5-1) le sous scénario du capitalisme aux ressources abondantes et 5-2) le sous scénario du communiste ou du socialiste démocratique aux ressources abondantes. Puis, 6) le scénario de la société décroissante (puis post-croissante), 6-1-1) la décroissance solidaire, volontaire et démocratique, 6-1-2) la décroissance libérale ou d’extrême droite. Concernant le 6e scénario, il existe des sous scénarios de la décision politique de décroissance par la planification écologique, par les décisions autoritaires par un gouvernement mondial ou de plusieurs gouvernements nationaux, ou par la régulation incitative de la décroissance par la démocratie représentative ou par la décision politique prise par démocratie directe par le référendum. Enfin, il y a aussi des sous-scénarios des modalités de mise en œuvre du 6e scénario de décroissance solidaire et planifiée, par un contrôle numérique, par l’incitation, ou par la limitation des ressources individuelles des ressources individuelles (salaires, revenus, patrimoines…).

Pour tenter de prédire les sociétés futures autour de 2100, ces différents scénarios peuvent être résumés autour de trois scénarios majeurs fondés sur trois critères : le degré de probabilité, le niveau d’inégalités et la situation écologique et donc alimentaire. Ainsi il y a ainsi principalement les sociétés technologiques inégalitaires, mais dont l’existence s’avère peu probable car les solutions technologiques ne s’avèrent pas encore véritablement découvertes ou maîtrisées. Puis, il y a les sociétés écologiques majoritairement égalitaires, mais dont la probabilité d’advenir reste aussi relativement faible par manque de désirabilité par la majorité. Enfin il y a les sociétés écologiquement fragiles et donc alimentairement insuffisantes, qui se révèlent aussi fortement inégalitaires. Or les scénarios inégalitaires s’avèrent les plus probables, car ils prolongent simplement les tendances dominantes actuelles mondiales au plan politique, socio-économique et écologique.

 

Quelles sont les causes de l’effondrement des sociétés et comment définir l’effondrement d’une société ?

Le chercheur Jared Diamond explique les effondrements à partir de cinq facteurs principaux. Selon Diamond, le premier facteur d’effondrement « concerne les dommages que les individus infligent à leur environnement.» Le second facteur identifié par Diamond relève des changements climatiques. Le troisième facteur d’effondrement qu’il met en évidence est induit par « des conflits avec d’autres sociétés.» Le quatrième facteur d’effondrement consiste dans les rigidités idéologiques et culturelles des élites. Le cinquième facteur est déterminé par la réduction du soutien apporté dans les relations commerciales avec d’autres sociétés. Mais il existe un autre facteur d’effondrement, qui n’a pas été abordé par Diamond, celui des inégalités. Or, à la suite de Marx qui priorise les causes économiques, Motesharrei avec son Modèle HANDY considère que ce sont les inégalités économiques qui accélèrent le déclin des sociétés. C’est ainsi qu’il explique l’effondrement de la société Maya.

Par ailleurs, pour le chercheur Joseph A. Tainter la complexité organisationnelle se révèle un facteur de fragilisation d’un système.  Or, il existe un équilibre optimal entre efficacité et robustesse dans la taille d’une société ou d’un système. Il y a donc rarement un seul facteur ou secteur de la société, qui explique un effondrement ou une révolution, mais plutôt une combinaison de facteurs.

 

Comment tenter d’éviter l’effondrement ?

Pour y répondre, il existe des propositions des courants de l’écologie politique. Cependant, les solutions actuelles du courant néolibéral mondialisé pour réguler le climat s’avèrent peu efficaces, puisque le dérèglement s’accentue sans cesse. La politique de compétition libérale mondialisée s’oppose à une coopération climatique internationale efficiente. D’ailleurs, les mécanismes de régulation mondiale du carbone se révèlent très peu efficaces, mais les plus riches ne veulent pas véritablement les changer. Or, la régulation du climat ne se révèle pas vraiment nécessaire aux élites, qui sauront plus longtemps que les autres en repousser les conséquences pour eux-mêmes. Mais, il existe d’autres propositions politiques que celles des libéraux. Certains considèrent que la régulation du libéralisme économique ne suffira pas à réguler le climat, car le problème serait le capitalisme. D’autres répondent que c’est surtout le productivisme, qui pousse à la productivité, au profit et à la consommation et que le communisme lui-même s’est révélé aussi productiviste, comme le capitalisme libéral. Il est vrai que le capitalisme social ou écologique ne perdure jamais très longtemps, car les grands capitalistes, c’est-à-dire les entreprises transnationales ne veulent pas être trop régulées dans leur liberté. Le problème relève donc à la fois, du productivisme communiste et du productivisme capitaliste libéral, avec sa liberté compétitive, fondamentalement non coopérative.

Il y a donc différentes orientations qui s’inscrivent dans le cadre des grands systèmes politico-économiques et écologiques. Il y a celles de l’écologie sociale, de la décroissance, des effondristes, de l’écosocialisme, de l’économisme, de l’écologie libérale et de l’écologie extrême droite. L’alternative relève aussi d’une transformation de la psychologie individuelle et collective. Il existe une multitude de solutions pour agir contre le dérèglement climatique et la fin des ressources non renouvelables. Donc, tous les efforts, les petits, comme les grands, s’avèrent utiles pour diminuer l’impact de l’effondrement. Car moins le train de l’effondrement frappera violemment le mur, plus il y aura de survivants.

 

Thierry Brugvin, EFFONDREMENT : 20 SCÉNARIOS POSSIBLES – Inégalités économiques, crise écologique, incohérences politiques. Ed. Yves Michel, 2024

 

  1. ENVIRONMENTAL RESEARCH LETTERS, 19 juillet 2020
  2. AFP, RELAXNEWS, FUTURA, Réchauffement climatique : la montée des eaux sera bien plus élevée et rapide que prévu » 13/12/2021.

 

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La rédaction