Eric Alt (Anticor) : « Les agissements de corruption méritent d’être jugés »

 Eric Alt (Anticor) : « Les agissements de corruption méritent d’être jugés »

Eric Alt, vice président d’Anticor (DR)

L’association de lutte contre la corruption, Anticor, impliquée dans plusieurs affaires politiques (Benalla, Kohler, Ferrand,..) a obtenu une prorogation de son agrément jusqu’au 2 avril 2021. Une solution qui laisse une épée de Damoclès sur l’association. Explications avec le vice-président Eric Alt.

Le Courrier de l’Atlas : Pouvez nous nous expliquer Anticor ?

Eric Alt (Anticor) : Fondée en 2002, Anticor lutte contre la corruption et promeut l’éthique dans la vie publique. Elle compte 5000 adhérents. Ses actions se décomposent entre le plaidoyer, l’information et enfin l’action judiciaire. Il faut comprendre le combat contre la corruption comme un combat culturel et global. Des agissements de corruption méritent d’être jugées. Malgré la loi de 2013, le parquet reste soumis à la hiérarchie du ministère de la justice et du Garde des Sceaux. Il peut leur arriver de ne pas aller au bout de certaines enquêtes, notamment les affaires sensibles. Nous pouvons alors agir en nous portant partie civile. En faisant cela, on saisit un juge d’instruction indépendant qui va pouvoir mener l’enquête. Nous sommes partie prenante sur des centaines d’affaires dont les médiatiques sont par exemple la supposée prise illégale d’intérêt concernant le président de l’Assemblée Nationale, Richard Ferrand dans le dossier des Mutuelles de Bretagne mais aussi contre le secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler sur une possible affaire de corruption avec MSC.

>>Lire aussi : Maroc. Réforme de la loi anti-corruption régissant l’INPPLC

Le Courrier de l’Atlas : Quel est le problème avec votre agrément ?

Eric Alt (Anticor) : En France, il n’existe pas d’action citoyenne ou populaire pour porter plainte, contrairement à d’autres pays comme l’Espagne par exemple. Des associations peuvent se constituer mais il faut montrer leur intérêt à agir. Aujourd’hui, il existe 3 associations qui peuvent agir sur la corruption : Transparency International, Sherpa et Anticor. Le paradoxe du législateur et de la loi de 2013 est qu’il a confié au ministère de la justice, les agréments. Or, les actions en cours portent soit sur des gens proches du gouvernement, soit sur des personnalités emblématiques de la majorité. Tous nos dossiers ne concernent pas que des gens du pouvoir mais nous devons demander au gouvernement de nous laisser agir contre lui ou ses proches. Vu que nous sommes en litige contre le Garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, il n’est pas qualifié pour nous donner l’agrément. Cela revient au Premier Ministre. Jean Castex se retrouve coincé en ce moment entre une tendance républicaine qui est favorable à nous donner cet agrément et d’autres qui estiment que nous nous portons trop souvent en justice (Le directeur des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice a informé aujourd’hui que le délai d’instruction était prolongé jusqu’au 2 avril 2021, ndlr)

>>Lire aussi : Gouvernance publique : lutter contre la corruption

Le Courrier de l’Atlas : Les actions d’Anticor concernent elles que les affaires nationales ?

Eric Alt (Anticor) : Non, nous avons 92 groupes locaux dans quasiment tous les départements. Cela peut être fréquent qu’à un niveau local, il puisse y avoir aussi des actes de corruption. Les groupes locaux nous signalent les affaires qui sont liés à la probité (corruption active, passive, blanchiment, prise illégale d’intérêt, corruption électorale).

>>Lire aussi : Une majorité de pays ne parviennent pas réduire significativement la corruption, selon un rapport

Le Courrier de l’Atlas : Les affaires de justice et enquêtes coutent cher. Comment faites-vous pour mener ses procès ? D’où proviennent vos fonds ?

Eric Alt (Anticor) : Tout d’abord, nous bénéficions de nombreux bénévoles dans l’association et notamment des anciens magistrats ou avocats. Lorsque l’affaire part en justice, nous avons un budget contraint composé uniquement de dons et de cotisations. Nous n’acceptons aucune subvention publique ou d’entreprises, ni d’aide juridictionnelle. Cela nous permet d’être indépendant. Sherpa est financé en partie par des fondations. Transparency accepte le don d’entreprise. Toutefois, dans les deux cas, la multitude de leur « portefeuille » d’entreprises et de fondations, leur permet de garder leur indépendance également. Nous avons fait un choix différent. Nous ne dépendons exclusivement que de nos adhérents et des donateurs privés.

Le Courrier de l’Atlas : Dans quel état est la corruption en France ? A quel niveau sommes-nous par rapport à d’autres pays européens ?

Eric Alt (Anticor) : Nous sommes plutôt bien outillés en France. Le problème est que nous n’avons pas les institutions et les hommes dans ses institutions qui appliquent le système. Ce n’est pas l’architecture juridique qui pose problème. Il est plus dans l’effectivité du droit. Si les procureurs étaient vraiment indépendants du ministère, on aurait même pas besoin d’Anticor. Ils pourraient le faire, comme c’est le cas par exemple en Italie. En France, les parquets ont une certaine autonomie mais ne sont pas indépendants. Il peut à ce moment là, y avoir une inégalité du judiciable devant la justice. Nous avons une perception médiocre de la corruption dans notre pays. Par rapport à des pays européens, on est dans une position moyenne qui ne peut être satisfaisante.

Yassir Guelzim

Yassir GUELZIM

Journaliste Print et web au Courrier de l'Atlas depuis 2017. Réalisateur de documentaires pour France 5.