Espace : Comment l’Afrique entre en orbite

 Espace : Comment l’Afrique entre en orbite

crédit photo : Sergio Bonilla/Connect Images via AFP

La baisse des coûts de fabrication de satellites et la démocratisation des lancements dans l’espace ont permis à 15 pays du continent d’envoyer des engins dans le cosmos. Cet engouement spatial, devenu une nécessité économique, environnementale et militaire, s’appuie notamment sur des partenariats avec les nouveaux géants du secteur, Inde et Chine en tête.

Addis Abeba, capitale de l’Ethiopie, les 28 et 29 janvier 2018. Plusieurs chefs d’Etat et de gouvernement lancent les statuts de l’Agence spatiale africaine (AfSA). Son ouverture est prévue pour l’année prochaine en Egypte. Un pays qui a fait son entrée dans l’ère des télécommunications dans l’espace en 1998 avec le lancement, pionnier sur le continent, du satellite Nilesat. Depuis, 60 engins spatiaux ont été envoyés dans le cosmos, dont un tiers sont égyptiens et sud-africains. “L’Egypte possède plusieurs infrastructures, indique le Camerounais Charles-Aimé Nzeussi Mbouendeu, qui travaille au sein de la Société européenne de satellites (SES). Par son passé de constructeur, l’Afrique du Sud, l’autre puissance, continue d’innover avec un centre dédié aux données climatiques. Le Nigeria, l’Algérie, le Maroc, l’Ethiopie et la Tunisie sont aussi actifs. Enfin, même si on en parle moins, l’île Maurice, le Ghana, le Kenya, le Zimbabwe et le Sénégal ont construit leurs satellites ou finalisent la création de leurs agences spatiales.”

On peut même parler de nouvelle tendance car, depuis cinq ans, le nombre de lancements a été multiplié par quatre, comparativement à la période 1998-2018. Le budget pour les agences spatiales africaines est de son côté passé de 238,12 millions d’euros en 2018 à plus du double en 2020. En 2025, 125 engins spatiaux issus du continent seront en orbite autour de la Terre.

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L’explosion du “new space”

La miniaturisation des satellites y est pour beaucoup. En 2017, le Maroc a misé sur un géostationnaire (Mohammed VI-A). Celui-ci pèse 1 100 kg et est capable d’apporter des informations enviées par ses voisins. Pour des fonctions certes moins précises, le Sénégal a envoyé en 2023 un cube de 10 cm et d’à peine 1 kg. “Auparavant, on ne pensait qu’à des satellites géostationnaires qui sont à 36 000 km de la Terre, précise Charles-Aimé Nzeussi Mbouendeu. Désormais, l’île Maurice construit un nanosatellite qui va se trouver à 20 000 km. Cette nouvelle tendance, appelée « new space », nécessite des fonds nettement moins importants.

Ingénieur chez Constellr, une entreprise pionnière dans l’utilisation des données thermiques issues de l’espace pour les applications environnementales et agricoles, le Tangérois Iliass Tanouti, auteur d’un brillant plaidoyer pour l’espace africain, « Drawing from above »,  y voit une démocratisation de l’espace. “Depuis dix, quinze ans, le changement s’opère à deux niveaux. D’un côté, des acteurs privés comme SpaceX lancent des satellites. De l’autre, de nouvelles puissances spatiales comme la Chine ou l’Inde facilitent l’accès à la technologie. Elle est indispensable pour résoudre les problèmes les plus importants que l’on retrouve sur Terre, comme le changement climatique, les aléas agricoles ou le développement urbain.

Raccord au monde numérique

Et les prises de vues exceptionnelles des sols et des données aident à caractériser les sous-sols. Les satellites permettent aussi de mieux saisir les tendances à venir. “Le GPS ouvre un accès à la navigation par exemple mais ce que l’on sait moins, c’est que c’est la synchronisation temporelle fournie par les satellites de navigation comme le GPS qui est utilisée pour garantir les horodatées précis pour le système financier, note à cet égard Iliass Tanouti, membre de Je M’Engage pour l’Afrique (JMA), La moitié des variables du changement climatique (développement urbain, pics de chaleur, etc.) provient de l’espace. Au Maroc, par exemple, grâce à la quantité impressionnante de données que nous offre le spatial (salinité, géologie, quantités d’eau), on peut aussi prévoir ce qu’il convient de faire pour traiter les sols.

L’espace sert à établir des liens avec des zones inaccessibles ou trop coûteuses à raccorder pour faire partie du monde numérique. “Cela semble extrêmement lointain mais ce n’est pas le cas, indique l’ingénieur de la SES. On désenclave certains pays qui ne peuvent avoir ac- cès à la fibre optique. On relève aussi les ressources mi- nières, naturelles ou agricoles. Du développement durable à la sécurité alimentaire, l’Afrique pourra décoller si ces informations sont centralisées, analysées et consolidées. Ce sont des enjeux prioritaires de développement qui offrent des possibilités de réflexions et de stratégies.

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Et le militaire ?

Aux côtés des volets économique et environnemental, la technologie militaire n’est pas en reste. Très loin toutefois des chiffres de la Chine (207 satellites de cette nature), des Etats-Unis (144) ou de la Russie (89), l’Afrique investit tout de même ce domaine. Alors qu’elle n’en possédait aucun en 2022, l’Algérie a pris la onzième position concernant les satellites militaires, avec quatre engins. Au même niveau que la Corée du Sud ou le Mexique, le Maroc et l’Egypte en possèdent deux chacun, mis en orbite en 2020 et 2022. Enfin, l’Afrique du Sud et le Soudan en ont éga- lement un depuis 2020. Pour Iliass Tanouti, “on assiste à une militarisation de l’espace, avec une croissance exponentielle des budgets. Prenons l’exemple des télécommunications : les Ukrainiens ne peuvent dorénavant plus se passer des constellations de satellites de SpaceX pour pouvoir travailler.”

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Un “rêve” et des contraintes

La coopération internationale offre souvent aux pays la possibilité de construire des satellites sur leur territoire. Ainsi, grâce au programme japonais Birds-1 qui comprend quatre pays invités (Ghana, Mongolie, Nige- ria, Bangladesh), les Ghanéens ont vu naître leur propre nanosatellite, Ghanasat-1. “Il faut bien rêver pour y arriver, relève Charles-Aimé Nzeussi Mbouendeu. Avec les nouveaux géants tels que la Chine, l’Inde ou d’autres, l’Afrique augmente son nombre d’interlocuteurs. Des partenariats existent entre universités et favorisent les transferts de compétences et de technologies.”

Des vocations futures pour les sciences africaines

Une université africaine de l’espace pourrait tout à fait voir le jour. C‘est en tout cas ce que suggère l’ingénieur camerounais : “On a les compétences requises. Le spatial utilise des technologies qui ont des liens avec la robotique, le big data ou le ‘machine learning’ (ou ‘apprentissage automatique’ en français). En Angola, à l’île Maurice ou au Zimbabwe, on prouve qu’on peut y arriver entre pays africains. L’espace offre une direction solide de recommandations et de points de vue stratégiques pour les politiques publiques.”

Les vocations continentales deviennent légion pour ce secteur d’avenir. “On a pris les bonnes décisions pour opérer le virage spatial, indique Iliass Tanouti. Bien sûr, c’est compliqué et on parle encore de budgets limités pour le moment. Toutefois, nous avons besoin d’une éducation des Africains à l’espace, de l’école primaire à la faculté. Quand j’étais jeune, je pensais aéronautique et pas espace. Dorénavant, les Africains peuvent se voir comme des acteurs d’avenir.

Pour aller plus loin sur le sujet : Drawing from Above réalisé par Iliass Tanouti et Je m’engage par l’Afrique (JMA) en collaboration avec des chercheurs et experts spatiaux