De Paris à Kobanê : la lutte pour l’émancipation des femmes du Rojava continue

 De Paris à Kobanê : la lutte pour l’émancipation des femmes du Rojava continue

Des femmes kurdes de Kobanê. AFP


 


Dans la région du Rojava, à la frontière turco-syrienne, l'organisation Yekîtia Star travaille pour l'émancipation des femmes et, plus largement, pour un modèle économique dont elles seraient le cœur. Le collectif parisien Solidarité Femmes Kobanê, déjà très engagé auprès des femmes de cette région, met ses efforts en commun avec Yekîtia Star pour que les femmes de Kobanê, qui ont largement contribué à la défaite de Daesh dans cette ville, puissent continuer à peser dans l'espace politique. Magdalena Brand, membre du collectif, nous en parle.


 


LCDL : Pouvez-vous nous présenter brièvement l'organisation Yekîtia Star du Rojava ?


Magdalena Brand: Yekîtia Star (l’étoile de l’union des femmes) existe depuis 2005 au Rojava et défend l’organisationcollective, la formation et l’autonomie économique comme outils politiques d’émancipation des  femmes. Cette organisation a été l’actrice principale des avancées pour l’égalité des genres dans la région du Rojava. Son objectif est de renforcer l’autonomie des femmes.


Sur le plan de l’éducation, l’organisation Yekîtiya Star a construit des académies dans la région dans lesquelles les femmes sont instruites à la Jineologî, un savoir sur les femmes, par les femmes et pour les femmes qui vise à construire les outils de leur libération.


L’organisation a mis en place des coopératives textiles, dont l’objectif est de créer des revenus indépendants pour les femmes. Mais ces infrastructures et espaces politiques pour les femmes ont été détruits lors des attaques de Daesh contre Kobanê.


 


Votre collectif est en relation directe avec les femmes de Kobanê. Quelles sont les actions que vous menez ?


Depuis la libération de la ville de Kobanê, nous nous sommes engagées à soutenir la reconstruction de ces espaces des femmes. Nous menons des actions d’information auprès de groupes politiques, de groupes de femmes, de mairies, d’ONG et d’associations pour collecter les fonds nécessaires à leur reconstruction. Pour notre collectif, nos actions de solidarité matérielle s’inscrivent dans une solidarité politique : notre but est aussi de faire connaître le projet politique du mouvement des femmes de Kobanê, leurs outils de lutte et leurs avancées, aux groupes et aux femmes en France.


 


Comment s'est faite la connexion entre votre collectif parisien Solidarité Femmes Kobanê et l'organisation Yekîtia Star ?


Nous sommes un collectif de solidarité, notre objectif est de mobiliser les femmes et les groupes politiques en France, pour créer et renforcer des actions de solidarité politique et matérielle avec des groupes de femmes de Kobanê. L’organisation Yekîtia Star est une organisation de terrain, dont l’objectif est de créer des espaces d’autonomie et de formation pour les femmes à Kobanê.


Ces espaces ont été détruits pendant la guerre, mais pour maintenir les liens de solidarité entre femmes, les membres de l’organisation font des visites régulières aux femmes dans leurs foyers. Elles ont donc une connaissance des besoins des femmes à Kobanê sur le court terme et sur le long terme. Quand nous avons cherché à écrire un projet pour collecter des fonds, c’est donc à elles que nous nous sommes adressées pour que le projet réponde aux enjeux et aux besoins actuels des femmes.


 


Pourquoi cette collecte et ce travail en commun avec l'organisation Yekîtia Star du Rojava est-elle si importante pour les femmes de Kobanê ?


Suite à l’offensive de Daesh, en septembre 2014 sur ce canton du Rojava, la ville a été détruite à 80%, voire intégralement pour certains quartiers et villages. La quasi-totalité des structures économiques et sociales ont ainsi été anéanties. La destruction des infrastructures et la disparition d’une partie des services dans la ville, atteint spécifiquement les femmes, qui n’ont plus accès aux services de santé de base. Aujourd’hui, l’organisation Yekîtia Star mentionne que la santé reproductive et les soins psychologiques sont les deux besoins prioritaires énumérés par les femmes.


Enfin, suite à la guerre, l’enjeu est de garder trace des résistances des femmes pour libérer la ville, mais aussi pour organiser la vie dans les camps de déplacés. L’enjeu est qu’elles ne soient pas les oubliées, ni de l’histoire de la libération de Kobanê, ni de la reconstruction future de la ville.Les femmes ont joué un rôle central dans la libération de Kobanê, l’enjeu actuel est qu’elles ne disparaissent pas des espaces politiques la guerre étant terminée.


Le projet de reconstruction, en plus de la reconstruction de l’académie et de la coopérative des femmes, a donc aussi pour but de construire un centre de santé sexuelle et reproductive pour les femmes et un centre d’archivage audio et de recherche sur les luttes armées et les résistances quotidiennes des femmes de Kobanê pendant la guerre.


 


En quoi la lutte de ce mouvement des femmes de Kobanê est-elle primordiale ?


Le mouvement des femmes de Kobanê, comme dans tout le Rojava, est primordial pour la région et pour le monde. Pour la région, car le mouvement des femmes au Rojava lutte pour la représentation et la prise en compte des femmes, mais aussi des différents peuples et religions à chaque niveau des institutions politiques. Le mouvement des femmes à Kobanê est en quelque sorte le garant de l’égalité entre les hommes et les femmes et entre les peuples à l’intérieur de la révolution au Rojava.


Pour le monde, le mouvement des femmes de Kobanê propose un projet et des outils politiques de libération des femmes qui n’existe pas ailleurs, avec un système de coprésidence à tous les niveaux décisionnels, et un principe d’organisations non-mixtes des femmes dans chaque instance politique. Enfin, le mouvement des femmes au Rojava pense les luttes des femmes au niveau international et en autonomie des politiques des Etats.


 


Les actions du mouvement des femmes de Kobanê peuvent-elles (ou ont-elles) des répercussions importantes dans la région ?


L’accent mis sur la construction de structures multiethniques et sur l’égalité entre hommes et femmes et la participation des différentes ethnies et des femmes aux conseils municipaux étant garantie par un système de quotas et par des institutions non-mixtes pour les femmes et pour les minorités ethniques, le mouvement des femmes à Kobanê a gagné le soutien des femmes des minorités non-kurdes de la région et a permis la mise en place d’alliance avec des groupes politiques et armés non-kurdes. Ainsi, les actions du mouvement des femmes au Rojava rendent possibles des avancées pour les femmes, mais aussi pour la paix dans la région.


Au niveau du monde, le mouvement des femmes de Kobanê montre que les femmes du Moyen-Orient sont à l’avant-garde des mouvements féministes, contrairement aux images véhiculées par l’occident. C’est aussi la conviction qui réunit notre collectif : le mouvement des femmes au Rojava représente une alternative radicale pour les femmes européennes contre le patriarcat des sociétés et des Etats occidentaux.


 


Propos recueillis par F. Duhamel

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