Rohingyas : « Nous devons faire plus que ça ! »

 Rohingyas : « Nous devons faire plus que ça ! »

Le Dr Zouhair Lahna


Depuis fin août, ce sont plus de 620 000 Rohingyas qui ont fui la Birmanie, où il étaient persécutés, pour rejoindre le Bangladesh. Près de la ville de Cox's Bazar, le camp de réfugiés grossit, tout comme les besoins liés à cette forte arrivée. Le Dr Zouhair Lahna, qui intervient régulièrement en Syrie, a passé 10 jours au Bangladesh, pour apporter son aide aux Rohingyas. De retour lundi dernier en France, il nous livre son témoignage.


Quelle est la situation sur place ?


L'arrivée massive des réfugiés, surtout ces dix derniers mois, estimés par les agents de l'ONU à 622 000 personnes. C'est le nombre de personnes qui a pris une carte pour obtenir de l'aide mais beaucoup n'ont pas pris cette carte donc ils doivent bien plus. Cette arrivée massive a créé des besoins, chacun essaie d'apporter ce qu'il peut, abris, aliments, sanitaires…


Je voulais y aller depuis deux mois, j'ai cherché des ONG pour partir. Le système de santé au Bangladesh n'est pas très bon. Ils se sont donc focalisés sur les urgences, et tous les cas "froids" n'étaient pas pris en charge faute de capacité. Il y avait des patients à opérer, nous y sommes allés et les avons trouvé dans un hôpital de Cox's Bazar, au dernier étage, mélangés hommes, femmes, enfants. Nous avons négocié avec une clinique à côté pour pouvoir les opérer.


Mais nous devons faire plus que ça, pas juste du one shot qui ne va pas vraiment aider les gens. Il faut un travail sur le long terme. Avec d'autres médecins, nous réfléchissons à monter un hôpital, soit reprendre un hôpital public qui ne marche pas, le retaper, le faire fonctionner. C'est un gros projet qui pourra rendre service aux Rohingyas et pauvres du Bangladesh. Et qui permettra d'amener des compétences d'Europe.


Il semblerait que la situation des femmes rohingyas soient plutôt préoccupante. Pouvez-vous nous dire pourquoi ?


A côté du nombre de morts, il y a une liste de supplices incroyables. Mais l'arme la plus utilisée récemment c'est la violence sexuelle, le viol. Beaucoup de femmes sont parties par crainte du viol. Beaucoup sont enceintes parce que ça rebute les violeurs. Beaucoup de femmes seules parce que les maris se sont faits tués ou bien seules avec des enfants. Heureusement qu'il y a une solidarité, qu'il n'y a pas d'enfants seuls, abandonnés. Nous avons croisé une femme qui a perdu son mari il y a trois mois et qui a dû accoucher sur le chemin. Donc elle avait un enfant de deux mois dans les bras, heureusement qu'il y avait son frère pour l'aider. 



 


Qu'en est-il de l'accessibilité des aides au camp de Rohingyas ?


Il y a une volonté du gouvernement du Bangladesh de ne pas laisser passer les gens. Mais sous la pression internationale, et surtout la Turquie, ils ont laissé passer des personnes. Mais les Rohingyas ne peuvent pas aller à Cox's Bazar, il sont au sud de Cox's Bazar. Mais il y a un barrage de l'armée pour les empêcher de venir. Par contre, l'armée laisse passer les aides, les humanitaires, nous ne sommes pas du tout embêtés. Mais que les Rohingyas montent vers la ville, non.


Nous avions un jeune qui est né là bas, parce que les premiers mouvements datent de 92 [De fuite des Rohingyas, ndlr], il avait une autorisation spéciale pour venir et pour faire la traduction. Avec tous les nouveaux arrivants, nous voyons des maladies très anciennes non traitées. La plupart d'entre eux ne parlent pas anglais parce qu'ils n'avaient pas accès à l'école. Et même maintenant le gouvernement bangladais ne permet pas d'établir des écoles. Il établit juste une sorte d'école pour apprendre aux enfants les rudiments d'anglais, les occuper, les faire chanter, faire des jeux…   


Comptez-vous retourner là-bas pour continuer à aider ?


Un de mes projets, c'est un projet qui a réussi en Syrie et que je suis en train de faire dans les villages enclavés du Maroc, c'est former les jeunes Rohiyngas, hommes et femmes, au secourisme et soins d'urgence de base. Parce que j'ai remarqué qu'après 16h toutes les équipes étrangères partent, et comme il y a peu de médecins et sages-femmes bangladais, les Rohiyngas se retrouvent seuls de 16h jusqu'à 9h du matin. De plus, il y a très de lumière dans le camps, la nuit tombe à 17h, il n'y a pas de chemins balisés, ils peuvent avoir des accidents…


La situation générale est très chaotique. Je pense que la venue du Pape est bénéfique et va pouvoir un peu apaiser les choses, on l'espère. Je compte repartir en janvier avec un vrai projet à long terme. J'espère pouvoir réussir, rester deux ou trois semaines, trouver des relais sur place qui connaissent bien la culture, les rouages. Il y a beaucoup de choses à comprendre d'un pays. J'ai déjà des contacts avec trois ONG locales. C'est en cours.


Propos recueillis par CH. Célinain


Charly Célinain