Jean-Luc Mélenchon : « A Gaza, il s’agit d’un génocide » (2/2)

 Jean-Luc Mélenchon : « A Gaza, il s’agit d’un génocide » (2/2)

Crédit photo : Joel Saget / AFP

Identité et racisme en France, Maroc, Proche-Orient,… Jean-Luc Mélenchon, fondateur de la France Insoumise, ancien candidat à la présidentielle et auteur de “Faites Mieux ! Vers la Révolution Citoyenne” revient pour le Courrier de l’Atlas sur les grands enjeux géostratégiques et politiques que traversent l’Hexagone et le monde. (Interview en deux parties : voir partie 1 : Jean-Luc Mélenchon : « La religion sert de prétexte au racisme »)

Passons au Proche-Orient. Comment avez-vous vécu les évènements du 7 octobre ?

Jean-Luc Mélenchon : J’étais au Maroc dans le train entre Casablanca et Tanger. J’ai assez d’expérience pour avoir compris à l’instant même où étaient annoncés les événements du 7 octobre, que la suite serait militairement extrêmement intense. J’ai adopté d’entrée de jeu un vocabulaire et une méthode de pensée basés sur le droit international, notamment en termes de crimes de guerre et plaidé le cessez le feu. Je me rappelais trop bien des violences de l’opération « Plomb Durci » qui avait déjà frappé Gaza jusqu’au point de valoir aux belligérants l’accusation de crimes de guerre par l’ONU.

Vous attendiez-vous à un tel déferlement de violence ?

Jean-Luc Mélenchon : Non. j’ai été stupéfait par la violence inouïe et systématique. Je n’imaginais pas Nétanyahu capable de convaincre les israéliens de devenir génocidaires, de traiter d’antisémite l’ONU, d’avoir des snippers tuant des enfants et de tenir ce siège cruel pendant quatre mois. J’étais certain que le but fixé de destruction du Hamas n’avait pas de sens concret. En revanche, je n’avais pas anticipé que le but serait le massacre de tout le monde. De toutes évidences, Netanyahu se fiche du droit international. Ici il ne s’agit pas d’une guerre mais d’un génocide.

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La Cour Internationale de Justice a jugé qu’il y avait un risque de génocide. Pourtant, rien ne semble bouger. Quelles mesures doit appliquer la France pour répondre aux recommandations de la CIJ ?

Jean-Luc Mélenchon : La Cour Internationale de Justice (CIJ) de la Haye, plus haute instance juridique des Nations Unies a établi qu’un risque de génocide était en cours à Gaza. Sur les cinq actes qui énumérés par les pays signataires de la Convention des Nations unies sur le génocide de 1948, quatre sont vérifiés à Gaza. La CIJ a enjoint les pays signataires à prendre des mesures pour empêcher les actes génocidaires. Que nous soyons Français ou Marocains, nous nous situons dans le cadre des résolutions de l’ONU. Ce qui nous importe, c’est que le droit international s’applique. Tant qu’il n’y aura pas deux États, il n’y aura pas de paix en Palestine. La France peut être utile. Pour l’instant, il faut qu’elle respecte les recommandations de la CIJ de la Haye la convention sur le génocide dont elle est signataire. Il faut commencer par l’embargo sur les armes. Dans le passé, le Général de Gaulle avait interdit l’exportation des pièces de rechange des Mirages français de l’aviation israélienne. Depuis la décision de la CIJ, la Belgique et l’Espagne ont cessé leurs exportations d’armes. De notre côté, notre présidente du groupe de gauche au parlement européen, Manon Aubry a déposé une mention demandant la suspension des accords bilatéraux. Il faut empêcher le gouvernement criminel de guerre d’agir pour obtenir le cessez-le-feu. Si les fournisseurs cessent de fournir, la guerre s’arrête immédiatement faute de munitions. De même, la France doit reprendre le financement de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). L’Espagne, la Belgique, la Norvège ont maintenu leurs financements pour ce trimestre. L’accusation de Netanyahu n’est aucunement argumentée.

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Craignez-vous un enlisement dans la région ou la fin du respect du droit international ?

Jean-Luc Mélenchon : Les deux. Nous devons d’abord arrêter le massacre. Ne rien faire, c’est encourager un massacre dont 40% d’enfants. Les peuples du monde entier estiment qu’il y a un double standard au profit de Netanyahu. C’est un dangereux précédent. Actuellement, 75% des nations du monde ont un différend frontalier et 28% d’entre elles sont en conflit armé. Le message renvoyé est celui du règne de la loi du plus fort. Le Myanmar peut alors continuer s’en prendre aux Rohingyas ? L’Azerbaïdjan à occuper le Haut-Karabagh ? Le Rwanda à envahir la RDC ?

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Jean-Luc Mélenchon : "A Gaza, il ne s'agit pas d'une guerre mais d'un génocide"
Ukrainiens évacués sous un pont après l’attaque de la ville d’Irpin, le 7 mars 2022 (crédit photo Dimitar DILKOFF / AFP)

La crise ukrainienne a montré une multipolarisation mondiale avec une présence accrue de puissances régionales. La France présente sur tous les continents, a-t-elle un rôle à jouer pour pacifier certaines zones ?

Jean-Luc Mélenchon : Une stratégie française efficace partirait du principe de non alignement au service de la construction d’un monde ordonné. Je ne plaide pas pour un « monde multipolaire » car chacun essaie de le dominer et cela se finit en guerres mondiales.. Pour avoir un monde ordonné, il faut respecter le droit international. Bien sûr, il est perfectible. Il a des défauts et des faiblesses. Mais il existe. Jamais la puissance militaire ne pourra ordonner les relations de chacun avec le monde. Il faut tout au contraire valoriser l’attrait d’actions mutuellement avantageuses, faites d’échanges culturels et de causes communes.

C’est dans ce sens que vous plaidez pour le non-alignement…

Jean-Luc Mélenchon : Tout à fait mais cela ne signifie pas la neutralité. Cela veut dire le respect de principe clair applicable pour tous en toutes circonstances. Il s’agit de rompre avec une alliance comme l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN). « L’Occident », la « communauté internationale sont des grands mots pour euphémiser l’activité d’une coalition mondiale menée par le seul empire nord-américain et ses alliés. La France n’y a pas d’intérêt concret.

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Comment percevez-vous la distribution par les grands groupes de 97 milliards en dividendes ?

Jean-Luc Mélenchon : J’ai un jugement moral sur l’accumulation. L’argent dégagé de cette manière n’est pas réinvesti. En France, les dividendes ont explosé et les investissements publics et privés se sont rabougris. Le capitalisme de notre époque mise sur les seuls actes qui lui soient profitables. N’importe quel investissement financier dans la sphère numérique dégage une capacité de profit plus grande qu’un investissement matériel quel qu’il soit. Le stade suprême de cette volonté d’accumulation extrême est que le capitalisme est capable d’accumuler en réparant ses propres turpitudes. Dans mon livre « Faites Mieux ! », je prends l’exemple des abeilles qui meurent à cause des pesticides. Des capitalistes proposent déjà des drones pollinisateurs « plus efficaces que les abeilles » car ils travaillent même la nuit. Le capitalisme crée ainsi un marché avec les catastrophes dont il est responsable. Cette vision du monde est un danger public.

Face à l’inflation, dorénavant, on parle de pouvoir d’achat. Pourquoi le mot salaire est devenu un tabou en France ?

Jean-Luc Mélenchon : Le système capitaliste est construit sur l’accumulation de la richesse qu’il s’approprie face aux salariés ou la société. Le curseur de ce partage doit être mis en cause. Son déséquilibre augmente de plus en plus. On le voit encore avec l’augmentation des prix, notamment alimentaires qui va jusqu’à 15 à 20% pour les familles. Cela signifie c’est-à-dire 15 à 20% de salaire perdu pour la même quantité d’achat. L’inflation est ainsi un racket sur les travailleurs. L’Institut la Boétie a démontré où il finit : les marges de l’agro-industrie ont augmenté de 71%. Le Fond monétaire international (FMI) lui-même en a convenu.

Etes-vous inquiet par la « désmicardisation » proposée par le gouvernement de Gabriel Attal ?

Jean-Luc Mélenchon : Beaucoup ont mal compris. Attal pense que le principe même du SMIC doit être remis en cause. Dans le même discours, M. Attal a indiqué qu’il fallait encore réduire les règles du code du travail. Nous sommes en train d’entrer dans une nouvelle phase du néolibéralisme. Beaucoup avaient cru avec naïveté que la catastrophe climatique remettrait en cause la logique aveugle de l’accumulation. Ce n’est pas du tout ce qui se passe. Au contraire, les avantages acquis par les dominants leur font penser qu’ils peuvent prendre encore plus. C’est aussi la logique de l’exigence d’heures de travail obligatoires pour toucher le RSA. Pourtant il s’agit d’un revenu social limité tout juste à la moitié du seuil de pauvreté. Dès lors Ne vous étonnez pas, de l’immense sollicitude macroniste vis à vis de l’extrême-droite. Comme cela s’est toujours passé dans l’histoire, les dominants commencent à s’être fait à l’idée qu’au fond l’extrême-droite pouvait être un facteur de domestication des masses populaires. Dans cette confrontation à l’œuvre dans toute l’Europe, la France fait figure d’exception grâce à la mobilisation de la gauche radicale que nous représentons.

La France est le deuxième territoire maritime du monde. Utilise-t-on correctement cette puissance ?

Jean-Luc Mélenchon : Nous avons mis ce thème sur le devant de la scène. Il évolue depuis dans le paysage politique mais de manière trop faible. Pour ma part, j’en aurais fait un levier de causes communes internationales. Comme pour l’exploration de l’Espace. J’imagine la création d’une université de la mer en coopération avec des pays du continent africain par exemple. On a des savoir-faire assez bien disséminés. Les pays moins développés sont les mieux placés pour parler de pêche vivrière et de la façon de l’organiser. Avec le Maroc, nous possédons une façade Méditerranéenne et Atlantique. Nous ne sommes plus dans un rapport de dominant et dominé mais sur le terrain des causes communes. Nous pourrions mettre en place un plan de gestion et protection commun pour la réserve halieutique ou la biodiversité. Le maitre mot est le partage. Pour la science comme pour l’accès à la mer. Les savoirs partagés alimentent la culture cumulative dont nous avons besoin. Les difficultés d’accès à l’océan dans le Sahel ou entre la Bolivie et le Pérou par exemple montrent que nous avons intérêt à chercher des solutions pour tout le monde. Il y a une règle absolue : rien ne sert de nier les problèmes. Et il n’en existe pas qui n’aie de solution pacifique.

 

Lire la première partie de l’interview ici : Jean-Luc Mélenchon : « La religion sert de prétexte au racisme »

Yassir Guelzim

Yassir GUELZIM

Journaliste Print et web au Courrier de l'Atlas depuis 2017. Réalisateur de documentaires pour France 5.