L’affaire Salah Hamouri de notre journaliste Nadir Dendoune, projeté à Ivry-sur-Seine, vendredi 2 juin

 L’affaire Salah Hamouri de notre journaliste Nadir Dendoune, projeté à Ivry-sur-Seine, vendredi 2 juin

Patrick Batard / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

« L’affaire Salah Hamouri », un documentaire de Nadir Dendoune, au cinéma Le Luxy d’Ivry-sur-Seine, ce vendredi 2 juin à 20h.

Depuis son expulsion en France par l’Etat d’Israël le 22 décembre 2022, l’avocat franco-palestinien Salah Hamouri fait l’objet d’une campagne d’intimidation et de calomnie de la part d’associations communautaires défendant la politique coloniale israélienne, avec un objectif clair : le faire taire (voir nos éditions).

Je suis naïf, enfin très con. J’étais persuadé que l’avocat franco-palestinien Salah Hamouri, expulsé à vie de sa terre natale, la Palestine, un déchirement pour quiconque, ses dix ans de placard en Israël, son épouse, bannie elle aussi du territoire depuis 2016, avait déjà assez payé et que les soutiens inconditionnels de cet Etat colonial lui lâcheraient la grappe. Je m’étais trompé.

Depuis son retour forcé en France en décembre dernier, ils tentent de le faire taire par tous les moyens, en tentant d’annuler ses conférences en amont, en faisant pression sur les politiciens des villes où il est attendu, prétextant un danger de trouble à l’ordre public, peu importe si entre 2012 et 2022, Salah Hamouri a participé à plusieurs centaines de débats en France mais aussi à l’étranger, a été reçu aux Nations unies, au Sénat français, sans qu’aucun incident n’ait eu lieu.

D’autres fois, ils viennent en meute, foutent le bordel sur place, puis se font passer pour des victimes, juste parce que les organisateurs des évènements ont osé les faire sortir afin que la conférence puisse avoir lieu !

Le 16 mai dernier, à Toulouse, quelqu’un a même tenté d’agresser physiquement Salah Hamouri, comme l’atteste une vidéo en plan large qui ne laisse place à aucun doute sur cet acte de lâcheté. Que lui reprochent-ils ?

Pour certaines associations communautaires juives françaises, puisqu’Israël le dit, Salah Hamouri est un terroriste, coupable à leurs yeux d’avoir voulu tuer un rabbin en 2005 et de faire partie du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), une organisation marxiste considérée comme terroriste par l’Union européenne. Deux accusations que réfute Salah Hamouri.

Entre nous, tous les Palestiniens, de 7 à 77 ans, sont des terroristes pour Israël. Surtout celles et ceux, comme Salah Hamouri, qui osent protester publiquement contre la colonisation et l’occupation de leur terre par Israël.

Qui est Salah Hamouri ?

Salah Hamouri est né à Jérusalem il y a 38 ans. Profondément attaché à sa patrie, il n’a jamais demandé la nationalité israélienne à laquelle il pouvait prétendre, et qui lui aurait permis de bénéficier du statut des 20 % d’Arabes que compte l’Etat d’Israël. Il vivait à Jérusalem grâce à un titre de résident.

Sa maman Denise est française, originaire de Bourg-en-Bresse, dans l’Ain. Lors d’un voyage en Palestine au début des années 80, elle tombe amoureuse du papa de Salah. Elle décide de rester en Palestine. Salah Hamouri a 5 ans quand l’armée israélienne débarque chez lui à la recherche d’un oncle suspecté d’avoir participé à la première intifada (1987-1993). A 6 ans, il découvre la prison en rendant visite à ce dernier.

Le 13 mars 2005, Salah Hamouri a 19 ans quand il est arrêté par l’armée israélienne. C’est la 3e fois que cela lui arrive. Au lycée, il a déjà passé trois mois en prison pour avoir collé des affiches militantes. En 2004, il est arrêté et placé pendant 4 mois en détention administrative (sans charge ni jugement).

Pour sa troisième arrestation, Salah Hamouri, étudiant en sociologie, est soupçonné d’avoir voulu assassiner Ovadia Youssef, grand rabbin séfarade d’Israël. Dans le dossier d’accusation, les preuves sont maigres. On reproche à Salah Hamouri d’être passé en pleine nuit, en voiture, devant le domicile du rabbin. On l’accuse également d’appartenir au Front de libération de la Palestine (FPLP). Chose qu’il a toujours niée. Pendant toutes ces années, ce n’est pas un tribunal civil qui le juge mais un tribunal militaire, une procédure illégale selon le droit international.

Après trois ans d’incarcération sans jugement, et des audiences reportées 25 fois, le jeune Hamouri se voit proposer un « arrangement », un plaider coupable. Une procédure habituelle pour les détenus palestiniens qui savent que de toute manière ils vont être condamnés. Ils le sont à plus de 90% comme l’affirment plusieurs associations israéliennes de défense des droits humains. Le « plaider coupable » est issu du droit anglo-saxon dont le droit israélien s’inspire largement.

Si Salah Hamouri plaide coupable pour le projet d’attentat, sa peine sera réduite de moitié : 7 ans à la place de 14 ans. Sous les conseils de son avocate israélienne, il accepte. Un choix qu’on peut comprendre pour un jeune homme de 19 ans.

Pendant sa détention, en France, un comité de soutien, présidé par le député communiste Jean-Claude Lefort, mais aussi de nombreuses associations françaises de soutien au peuple palestinien, multiplient les initiatives pour faire sortir de prison Salah Hamouri.

Le président français Nicolas Sarkozy monte au créneau (très tardivement) et demande au Premier ministre israélien la libération du jeune Franco-Palestinien, qui intervient trois mois avant la fin de sa peine… Pour beaucoup d’ONG, comme la Ligue des droits de l’homme ou Amnesty international, Salah Hamouri a été injustement emprisonné. Même pour la diplomatie française de l’époque… Dans un courrier daté de 2011, Alain Juppé, alors ministre des Affaires étrangères, admettra que « les aveux faits à l’audience n’ont été corroborés par aucun élément de preuve ».

Peu importe tous ces faits, pour les soutiens inconditionnels de l’Etat d’Israël en France, Salah Hamouri est un éternel coupable, puisque c’est Israël qui le dit. Israël est une puissance coloniale, et comme d’autres avant elle, elle accuse souvent ses opposants politiques de terrorisme.

A sa sortie de prison en 2011, Salah aura quelques moments de répit. Comme en juin 2014 à Ramallah, lors de son mariage avec Elsa Lefort, fille de l’ancien député communiste Jean-Claude Lefort. Une idylle qui a tenu bon malgré la dureté de la vie. Salah et Elsa ont aujourd’hui deux enfants ensemble.

Entre temps, Salah Hamouri a repris des études, est devenu avocat, a trouvé un travail chez Adameer, une ONG palestinienne qui défend les prisonniers politiques palestiniens.  Il est devenu une voix importante donc gênante pour l’occupant, les autorités israéliennes qui l’arrêtent de nouveau en 2017, 2020 et 2022 et le placent en détention administrative, un régime arbitraire datant du mandat britannique.

La détention administrative, régulièrement dénoncée par les instances internationales, l’Union européenne et des pays comme la France, permet à Israël de priver de liberté des personnes pendant plusieurs mois renouvelables indéfiniment sans leur en notifier les raisons, sans la tenue d’un procès.

Salah Hamouri sera expulsé à vie en décembre dernier vers Paris. Une expulsion qualifiée de « crime de guerre » par l’ONU. En France et dans de nombreux pays à travers le monde, Salah Hamouri est devenu pour les militants de la cause palestinienne une icône.

Pour ses détracteurs, Salah Hamouri est le diable incarné. Pourtant, il n’a pas de sang sur les mains, n’a jamais tenu de propos antisémites, ni lancé d’appel à la haine… Salah Hamouri répète qui il est « contre l’occupation israélienne pas contre les juifs ». En vain.

Salah Hamouri est un citoyen français. Depuis décembre 2022, il vit désormais en région parisienne. Selon le droit français, Salah Hamouri est-il un terroriste ? Non. Il a donc le droit de s’exprimer librement. Selon le gouvernement français, Salah Hamouri est-il un terroriste? Apparemment non, puisqu’Emmanuel Macron a demandé à plusieurs reprises sa libération, comme Nicolas Sarkozy avant lui. Deux présidents français, pas spécialement réputés pour leur sympathie envers la cause palestinienne, auraient-ils pris parti pour un terroriste ?

En 2017, dans une lettre envoyée à son épouse, Emmanuel Macron  écrivait : « la France condamne le recours à la détention administrative et a demandé la libération de Salah Hamouri ». Le chef de l’Etat français rappelait « sa mobilisation entière » en faveur du retour d’Elsa Lefort, avec son enfant à Jérusalem.

Salah Hamouri n’a jamais été condamné en France. Comme tout citoyen français qui respecte la loi de notre pays, il a donc le droit de s’exprimer. Et pourtant, certains tentent de le faire taire. La France est un pays souverain. Ce n’est pas Israël ou ses soutiens qui décident dans notre pays qui a le droit de s’exprimer.

En se comportant de la sorte, ces associations communautaires juives jouent un jeu dangereux. Et alimentent l’idée complotiste d’un « lobby » puissant qui ferait la pluie et le beau temps chez nous. Quand je travaillais en tant qu’éducateur à l’Espace Jeunes de l’île-Saint-Denis, j’emmenais des jeunes Français de confession musulmane dans les lieux de culte pour les ouvrir aux autres confessions.

Je me souviens avoir emmené un groupe en 2004 à la synagogue de la rue Copernic à Paris, tristement célèbre parce qu’en 1980 un attentat antisémite y avait fait quatre victimes. Nous étions en pleine seconde Intifada et dans ma ville, j’entendais des choses que je n’aimais pas. Pour que ces jeunes de confession musulmane ne fassent justement pas l’amalgame entre la politique israélienne et les juifs, j’avais décidé d’une telle rencontre.

Mon initiative n’avait pas plu à tout le monde à l’île-Saint-Denis. Certains nous avaient reproché d’avoir porté une kippa. J’avais répondu : On enlève ses chaussures quand on entre dans une mosquée, on met une kippa quand on pénètre dans une synagogue ! La rencontre avait été bénéfique pour tous les jeunes, juifs et musulmans. Je me souviens de ce que m’avait dit Ariane Bendavid, la personne qui nous avait accueillis à la synagogue : « Nous sommes français, pas citoyens israéliens. Et nous ne sommes pour rien dans la politique de ce pays ».

Certains feraient bien de s’en souvenir…

Nadir Dendoune