Livre. « Les décrochés » de Rachid Zerrouki, un regard différent sur ces jeunes qui quittent l’école

 Livre. « Les décrochés » de Rachid Zerrouki, un regard différent sur ces jeunes qui quittent l’école

Rachid Zerrouki, alias « Rachid l’instit » sur les réseaux sociaux, vient de publier un 2e ouvrage « Les décrocheurs » aux eds Laffont.

Rachid Zerrouki, 30 ans, alias « Rachid l’instit » sur les réseaux sociaux est professeur en Segpa (Section d’enseignement général et professionnel adapté, destiné aux élèves en difficulté) à Marseille. Après le succès de son premier livre (Les Incasables), il publie un second ouvrage « Les décrochés » aux éditions Robert Laffont. Une série de portraits de ces jeunes qui ont rompu avec le système scolaire. Une manière de les regarder différemment. Entretien.

 

LCDL : Comment avez-vous sélectionné les portraits des élèves décrocheurs ? 

Rachid Zerrouki : J’ai une audience assez large sur Twitter, qui s’est encore accrue après le succès de mon premier livre. Un jour, j’ai posté une annonce en disant que je cherchais des personnes qui avaient dû quitter l’école prématurément. J’ai reçu 350 messages.

Les gens qui ont eu une mauvaise expérience à l’école éprouvent souvent de la rancoeur et ils ont très envie de raconter cet épisode douloureux. Il a donc fallu faire un tri. Je voulais des profils diversifiés. Après, pour des raisons logistiques, j’ai choisi des personnes qui vivaient à proximité de Marseille. Je travaille à temps plein et l’écriture de ce livre s’est faite sur mon temps libre.

A travers ces portraits, que cherchiez-vous à démontrer ? 

Je voulais combattre les clichés qui existent sur les « décrocheurs » sans pour autant tomber dans l’angélisme. J’ai juste raconté les choses telles que je les vis. On nous dresse souvent à tort le portrait d’une jeunesse qui ne veut plus faire d’efforts. Quand tu quittes l’école, c’est parce que tu serais un fainéant.

C’est un cliché qui ne prend pas en compte la complexité du phénomène. Il y a toujours des raisons, que ce soient des conditions sociales difficiles, un drame familial pour les uns, la phobie scolaire pour d’autres, ou le harcèlement que peuvent subir certains à l’école… Résultat : certains n’ont plus les neurones nécessaires pour l’apprentissage. Bien souvent, ils n’ont pas choisi de quitter l’école, ils y ont été contraints.

Y-a-t-il un point commun entre tous ces décrocheurs ?

Oui. Ils ressentent tous un sentiment d’impuissance. On leur a fait croire qu’ils n’avaient aucune marge de manœuvre pour que leur quotidien change. Il y a chez les « décrocheurs » une fragilité. Avant de devenir « décrocheur », ils ont subi beaucoup d’échecs, ils sont rentrés chez eux avec des mauvaises notes, ils ne se sont pas sentis à leur place.

Y-a-t-il des signes avant-coureurs du « décrochage » ?

Les élèves ne décrochent pas du jour au lendemain. L’élève commence à s’absenter : il vient à 10h à la place de 8h, il débarque en cours en fin de semaine. Ses résultats scolaires sont en chute libre. On observe une démobilisation au travail…

Le portrait d’une « décrocheuse », Camille, résonne avec l’actualité. Le harcèlement scolaire, l’un des gros chantiers de l’école, comme l’a indiqué à maintes reprises l’Institution, semble vous toucher particulièrement…

Effectivement, j’ai subi le harcèlement scolaire. Au collège au Maroc, je pesais plus de 100 kilos. On m’appelait Snorlax (NDLR : en français Ronflex), du nom du Pokémon obèse qui dormait tout le temps. Je sais ce que c’est que de rentrer chez soi le soir après une journée de moqueries. La différence, c’est qu’à l’époque, ça s’arrêtait une fois passée le seuil de la maison. Je redevenais alors Rachid. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, ça ne s’arrête jamais : il peut y avoir des photos, des vidéos de vous qui circulent et qui vous rendent la vie infernale…

Rachid Zerrouki, comment réagissez-vous quand vous êtes face à un cas de harcèlement scolaire ? 

D’abord, j’essaie de repérer qui harcèle. Ca peut être une personne, mais souvent, il s’agit d’un groupe qui agit en meute : il y a ceux qui disent peu, qui regardent, d’autres qui font beaucoup, mais participent à leur manière au harcèlement. Le but premier, c’est que le harcèlement cesse. Donc, on converse avec le ou les harceleur(s). On sanctionne, c’est important, mais on essaie d’apaiser les choses juste après. Parce que ces gamins doivent vivre ensemble toute une année scolaire, voire plus.

Le portrait de Souleymane, c’est un peu le vôtre, ce jeune collégien qui arrive du Maroc en France, mais avec un autre destin scolaire. Est-ce que l’institution scolaire a du mal à s’adapter à ce genre de profil ?  

Son parcours me parle. Je suis originaire de Fès, lui de Meknès. Je connais bien l’artisanat de son père : nos vies se ressemblent. Son destin scolaire aurait pu être différent. Il était bon en mathématiques. Son souci, c’était la maitrise de la langue française. Il a été mis trop vite dans le cursus scolaire normal alors qu’il avait encore besoin d’apprendre le français. Et vous imaginez bien combien c’est difficile de suivre les cours quand la langue du pays n’est pas maîtrisée.

Vous dressez plutôt un portrait assez sombre de l’institution scolaire et les moyens dont elle dispose. Y a-t-il des raisons d’espérer ?

Bien entendu qu’il y a des raisons d’espérer. Par exemple, cette année, je fais ma rentrée dans un « micro-collège ». Il y en avait déjà quelques-uns en France et là, ce sont 20 « micro-collèges » qui vont ouvrir leurs portes à Marseille.

Un « micro-collège », c’est 15 élèves par classe. Le but c’est de  remettre sur les rails ces élèves en grande difficulté qui ont quitté le système scolaire et de leur redonner le goût d’apprendre. Permettre de retisser le lien entre l’élève et l’école. Moins de cours que dans les écoles classiques, plus d’activités, de la menuiserie, du bâtiment, etc., avec à la clef un diplôme en fin d’année avec, pourquoi pas pour certains, le retour dans un lycée.

Que pensez-vous de la nomination de Pap Ndiaye à la tête du ministère de l’Education et de ses récentes déclarations ? 

J’accueille sa venue avec enthousiasme. Il faut dire qu’on revient de loin ! Le ton du ministre a changé et c’est très bien. Sur le mandat précédent, quand tu osais critiquer l’école, tu étais perçu comme un « dissident de la République ». Aujourd’hui, le ministre lui-même avoue qu’il y a des problèmes au sein de l’Institution. Mais bien entendu, on pourra juger de son action que dans la durée.

Rachid Zerrouki, pourquoi avez-vous décidé de devenir prof ? 

Je n’ai pas eu trop le temps d’y réfléchir ! Je suis arrivé en France au lycée. Après le bac, je voulais devenir pompier. Je me suis inscrit dans un DUT qui prépare à ce métier. Alors que je faisais un stage dans une école primaire « pour analyser la sécurité », j’y ai fait de superbes rencontres, les élèves comme les profs. J’ai vraiment eu un coup de cœur. Alors, j’ai décidé par la suite de passer le concours de prof que j’ai obtenu in extrémis…

Est-ce que vous vous êtes fait des inimitiés après le succès de votre premier ouvrage ? 

Pas plus que ça. Vous savez : il suffit d’ouvrir la bouche pour avoir des ennemis. Sur twitter, parfois c’est très violent. Mais je ne me priverais jamais d’ouvrir ma bouche. C’est un privilège, il faut en abuser. Avoir écrit ce premier livre a été positif. Il m’a permis de faire de belles rencontres. Et ça a élargi mon horizon…

On entend souvent que les professeurs sont tenus au droit de réserve. Votre franc-parler est-il bien vu au sein de votre établissement ? Quid de l’institution ? 

Dans l’ensemble, je n’ai pas à me plaindre. Il y a deux ans, à la sortie de mon premier livre, je suis passé sur France Inter. Mon directeur d’établissement de l’époque m’a interpellé. Il m’a dit « Vous ne m’aviez pas dit que vous sortiez un livre ? ». Je lui ai répondu : « Vous ne m’avez pas demandé si je sortais un livre ». Et les choses se sont arrêtées là.

Je n’écris pas pour torpiller l’école. Je le fais parce que j’aime mon métier et parce qu’il est nécessaire d’alerter pour améliorer les choses.

« Les décrocheurs » de Rachid Zerrouki aux éditions Robert Laffont.

 

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Nadir Dendoune