Mahir Guven, conteur de notre époque
Après avoir travaillé dans la finance, ce romancier aux débuts prometteurs se consacre désormais à l’écriture. Sa source d’inspiration : la société actuelle et des personnages qui ont la rage.
L’écriture a toujours été plus ou moins présente dans la vie de ce trentenaire né à Nantes mais resté apatride jusqu’à 13 ans – ses parents réfugiés ayant été déchus de leur nationalité turque. Par intermittence, il noircissait quelques feuilles, laissait des mots sur un fichier électronique…
A 20 ans, il écrit une pièce de théâtre, puis un roman, qu’il juge médiocre aujourd’hui. “Comme la plupart des gens, j’ai une fibre artistique que je ne m’autorisais pas forcément à exploiter”, reconnaît Mahir Guven, qui,à ses heures perdues, joue aussi du saz, un luth à manche long utilisé notamment en Turquie.
Le déclic se produit au sein de l’hebdomadaire Le 1 (journal qui se focalise sur un seul sujet et unique d’actualité), où il occupait, jusqu’à il y a encore quelques semaines, le poste de directeur exécutif. Depuis, il a démissionné et quitté Paris pour aller vivre à Berlin et se consacrer pleinement à ses projets personnels. “En fait, plus on fréquente des auteurs, plus on se dit : ‘Et pourquoi pas moi ?’”, poursuit ce diplômé en économie et en droit de la faculté d’Angers. Et puis il y a la rencontre déterminante avec l’éditeur Philippe Rey, qu’il sollicite pour comprendre comment distribuer en librairie le titre pour lequel il travaillait.
La suite ? “Un jour, j’ai posté un court texte sur Facebook. Philippe Rey m’a alors contacté en me disant que je devrais m’essayer à l’écriture romanesque.” En octobre 2017, Grand Frère est publié et lui vaut le Goncourt du premier roman, le prix Première décerné par la RTBF (Radio-télévision belge francophone) et le prix Régine-Deforges.
Ecrit dans la langue de la rue, ce roman (voir Le Courrier de l’Atlas n° 127) raconte le parcours de deux frères que tout oppose. L’aîné, conducteur de VTC, rêve d’une réussite individuelle quand le cadet, infirmier de son état, veut changer le monde, quitte à prendre le chemin du jihad. Pour les besoins de ce livre, le Nantais a fait un mix de la vie de personnes de son entourage, s’est inspiré des discussions avec les chauffeurs Uber qu’il a rencontrés. Il s’est aussi beaucoup documenté sur le phénomène des départs en Syrie. Voilà pour la matière première.
Son deuxième roman en préparation
Après, il lui a fallu de la discipline. Mahir Guven aime écrire le matin, au réveil. Aux lycéens qu’il rencontre et qui lui envoient leur production littéraire, il conseille de laisser parler leurs tripes, d’oublier l’imparfait et le passé simple. “Je leur dis : ‘Enregistre-toi, laisse les mots venir et après tu retravailles un peu ton texte. Il faut que ça soit vivant !’.”
Dans son prochain ouvrage, il sera question “du rapport entre les deux sexes. Ce que signifie être une femme dans un monde d’hommes”, confie celui qui a grandi dans une famille où il était le seul garçon parmi trois femmes. “Je suis effaré par le nombre d’agressions sexuelles et je me souviens que ma mère avait horreur qu’un homme la rabaisse. Elle a même appris la mécanique pour prouver qu’elle n’était pas ‘moins capable’.”
Cet été, en vacances, il s’est attelé à l’écriture de ce deuxième roman, griffonnant parfois des bribes à même la serviette d’un café, “peut-être l’un de ses meilleurs passages” ose-t-il avancer. Il commence ainsi : “Rien de tout cela n’est sérieux…”
GRAND FRÈRE
de Mahir Guven, éd. Philippe Rey, 271 p., 20 €. Editions Philippe Rey