L’ONU et l’UE expriment leurs inquiétudes quant à la situation de la justice en Tunisie

Volker Türk
Le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme, Volker Türk, a déclaré, jeudi 24 avril 2025, que les lourdes et longues peines de prison récemment prononcées contre 37 personnes en Tunisie dans l’« affaire dite de complot » représentent un recul pour la justice et l’État de droit. Même son de cloche du côté de l’Union européenne.
Aisni dans un communiqué détaillé publié par son bureau à Genève, Volker Türk a ajouté : « le processus a été entaché de violations du droit à un procès équitable et des garanties juridiques, ce qui soulève de sérieuses inquiétudes quant à des motivations politiques. » Le même communiqué du HCDH précise que les accusés, pour la plupart des personnalités publiques et politiques connues, ont été jugés en vertu de la loi tunisienne de lutte contre le terrorisme et du code pénal.
Les « accusations vagues et larges » incluaient la formation d’une organisation terroriste, l’intention de commettre un acte terroriste, le financement du terrorisme, et le complot contre la sécurité intérieure et extérieure de l’État. Les peines allaient de quatre à 66 ans de prison. Selon le Bureau des droits de l’Homme de l’ONU, huit des 37 accusés étaient en détention préventive depuis février 2023, dépassant ainsi la limite légale de 14 mois prévue par le code de procédure pénale, avec des restrictions quant aux visites de leurs avocats.
Les audiences n’ont eu lieu qu’en 2025, et les détenus n’ont été autorisés à y assister qu’à distance, sur la base d’une législation spécialement conçue pour les restrictions liées à la pandémie de Covid-19, mais non approuvée par le Parlement. Le Bureau a ajouté que le procès manquait de transparence, les preuves n’ayant pas été présentées publiquement, ni les interrogatoires menés de manière contradictoire. De plus, plusieurs journalistes, représentants de la société civile et diplomates ont été empêchés d’assister aux audiences publiques.
Avant le prononcé du verdict, les accusés présents en personne n’ont pas eu la possibilité de s’exprimer, et leurs avocats n’ont pas eu suffisamment de temps pour présenter leur plaidoirie. Le Bureau des droits de l’Homme a rapporté que les avocats de la défense ont indiqué que les seuls faits présentés pour accuser les prévenus concernaient leurs réunions pour organiser l’opposition politique, ainsi que leurs rencontres avec des ressortissants étrangers, y compris des diplomates. Il a souligné que « participer aux affaires publiques et politiques n’est pas un crime et ne doit pas être confondu avec le terrorisme ».
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Ahmed Souab, l’un des avocats de la défense, a été arrêté et accusé d’actes liés au terrorisme en raison de déclarations qu’il aurait faites après le procès. Volker Türk a qualifié ce développement de préoccupant pour la capacité des avocats à défendre leurs clients et pour la sécurité des juristes.
Il a appelé à garantir pleinement les droits de tous les accusés à une procédure régulière et à un procès équitable lors de la phase d’appel, en déclarant : « les accusations doivent être abandonnées en l’absence de preuves suffisantes d’actes illégaux. »
Volker Türk a renouvelé son appel aux autorités tunisiennes à mettre fin à la tendance plus large de « persécutions politiques, d’arrestations et de détentions arbitraires », à la détention de dizaines de défenseurs des droits humains, avocats, journalistes, militants et politiciens, et à respecter tous leurs droits humains, y compris la liberté d’expression et d’opinion.
Le Haut-Commissaire a affirmé : « la détention préventive ne devrait être utilisée qu’en dernier recours ; ses limites doivent être respectées, et tous les détenus arbitrairement doivent être libérés immédiatement et sans condition. »
Il a par conséquent exhorté la Tunisie à s’abstenir d’utiliser une législation sécuritaire et antiterroriste large pour faire taire l’opposition et restreindre l’espace civique, ajoutant que toutes ces lois devraient être révisées afin de garantir leur conformité aux normes du droit international des droits de l’homme. Volker Türk a conclu : « la Tunisie a été un modèle et une source d’inspiration pour de nombreux pays de la région après la transition politique de 2011. J’espère qu’elle retrouvera le chemin de la démocratie, de l’État de droit et des droits humains.»
L’UE exprime à son tour sa préoccupation
Dans la même journée, un porte-parole de la Commission européenne s’est exprimé sur les verdicts rendus dans le cadre de l’affaire dite de complot contre la sûreté de l’État en Tunisie. Interrogé sur l’impact de ces condamnations sur les relations entre l’Union européenne et la Tunisie, notamment dans le cadre des politiques migratoires, le responsable a déclaré : « Ce que je peux vous dire au sujet de la Tunisie, c’est que nous suivons la situation de près. Nous prenons note des verdicts lourds rendus, impliquant notamment des citoyens européens. Nous prenons également note des controverses autour du processus judiciaire ».
Il a rappelé que l’Union européenne « a régulièrement souligné l’importance de la liberté d’expression, du respect des droits de l’Homme ainsi que du droit à un procès équitable ». Il renchérit : « L’État de droit, les droits humains et les libertés fondamentales sont garantis par la Constitution tunisienne. Ceci constitue le socle de notre partenariat, tel qu’inscrit dans l’accord d’association ».
Toujours jeudi, l’Allemagne a exprimé sa vive inquiétude suite aux condamnations lourdes dans l’affaire de complot contre la sûreté de l’État en Tunisie, soulignant que le procès ne respectait pas les critères d’un procès équitable. Berlin a déploré l’exclusion des observateurs internationaux et l’absence de transparence. Le pays a rappelé que l’UE partage des valeurs communes avec la Tunisie, telles que l’État de droit et les libertés fondamentales.
De son côté, le ministère français des Affaires étrangères a exprimé, mercredi 23 avril, sa préoccupation face aux lourdes condamnations, relevant que les conditions d’un procès équitable n’avaient pas été respectées. La France a également critiqué l’interdiction faite aux diplomates et journalistes d’assister à l’audience du 18 avril. Le Quai d’Orsay a réaffirmé son engagement pour un procès équitable, une justice indépendante et la protection des libertés fondamentales.