Chine-Maroc : sur la bonne voie ?

 Chine-Maroc : sur la bonne voie ?

Crédit photo : Yan Yan/Xinhua News Agency/AFP


Avec l’arrivée du géant chinois de l’automobile électrique BYD au Maroc et l’adhésion du Royaume à la nouvelle route de la soie, un cap a été franchi dans les relations sino-marocaines. Mais est-ce gagnant-gagnant ? 


Depuis la conclusion d’un partenariat stratégique en 2016, né de la visite du roi du Maroc à Pékin, les relations sino-maro­caines ont franchi un palier. En décembre, par exemple, le géant chinois de la voiture électrique BYD (Build Your Dreams) a annoncé son implantation dans le Royaume. Il devrait construire quatre usines dans la future cité industrielle ­Mohammed VI ­Tanger Tech. Après Renault et Peugeot PSA, ce sera donc le troisième constructeur à poser le pied dans le pays.


Plus que cela, c’est l’adhésion, en novembre dernier, du Maroc à la nouvelle route de la soie qui a marqué les esprits. Officiellement baptisé One Belt, One Road, ce projet, lancé en 2013 par le président chinois Xi Jinping, d’un budget de 900 milliards de dollars (735 milliards d’euros), vise à établir de nouveaux axes commerciaux entre la Chine et l’Europe, en passant par l’Asie, l’Afrique de l’Est et la Méditerranée. Nouveau jalon de cette voie mythique, le Maroc est considéré par les Chinois comme une tête de pont pour ­atteindre l’Europe mais également in­nerver l’Afrique subsaharienne.


 


“Le Chine a besoin de l’Afrique”


“L’Afrique a besoin de la Chine qui lui apporterait des avantages tangibles pour son besoin d’emplois et de développement, et la Chine a besoin de l’Afrique pour améliorer sa compétitivité et accéder à un marché de plus d’un milliard d’habitants”, a lancé Moulay Hafid Elalamy, le ministre marocain de l’Industrie et de l’Investissement lors du second forum China-Africa Investment ­Forum à Marrakech, fin novembre.


Vue de Pékin, l’urbanisation croissante et la transition démographique sont des facteurs d’attractivité en Afrique. Dans le cas marocain, c’est le système politique et juridique stable qui rassure l’empire du Milieu. “Le partenariat stratégique conclu doit permettre d’intensifier la promotion des investissements chinois au Maroc et le développement de la coopération dans des secteurs à fort­ potentiel de création d’emplois et de valeur ajoutée, comme l’automobile, le textile, l’aéronautique et les énergies renouvelables”, note Rachid Rhattat, enseignant-chercheur en droit à EDC Paris Business School.


 


Echanges asymétriques


De surcroît, le Royaume, à travers l’expérience de son secteur financier et bancaire en Afrique, constitue pour Pékin un point d’entrée stratégique sur le continent. Ses zones franches industrielles, avec un régime fiscal et douanier attractif (comme Tanger Med), sa logistique, ses compétences locales, son expansion économique sont autant d’atouts. “La Chine est le quatrième partenaire commercial du ­Maroc. ­Depuis 2013, les échanges ­sino-marocains ont nettement progressé, même s’ils demeurent toujours fortement asymétriques et très nettement inférieurs aux échanges sino-algériens”, souligne Rachid Rhattat.


De fait, Rabat souhaite rééquilibrer ses relations commerciales avec Pékin. “En 2017, les exportations vers la Chine (engrais, minerais…) avoisinent les 2 milliards de ­dirhams (177 millions d’euros, ndlr), alors que les importations (voitures, matériels électroniques…) s’élèvent à plus de 30 milliards (2,6 milliards d’euros, ndlr). Autre constat : jusqu’à présent, trop peu d’entreprises chinoises sont présentes sur le sol marocain”, ajoute l’expert.


Même son de cloche de la part de Thierry Pairault, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et au Centre d’études sur la Chine moderne et contemporaine à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) : “L’investissement chinois est faible, contrairement à une légende urbaine, mais les importations de produits chinois sont très importantes et les prestations chinoises de services considérables au niveau de l’Afrique. Pour le ­Maroc, partant de très bas, toute augmentation fait apparaître des taux de croissance forcément très forts.”


 


Flatter le Céleste Empire


Entre 2009 et 2013, les investissements directs à l’étranger (IDE) chinois se sont élevés à 63,6 millions de dirhams (5,6 millions d’euros) dans le Royaume. Un chiffre très faible. La cause ? Le Royaume chérifien ne dispose pas d’or noir et de peu de minerais, comparé à d’autres pays comme l’Afrique du Sud, le Nigeria, l’Algérie… Et Pékin en raffole. De plus, pour que les Chinois envisagent une production locale, il faut, estiment certains experts, un marché intérieur bien plus étoffé (au moins 100 millions de personnes).


Surtout, les projets chinois qui atterrissent sur le continent sont souvent financés par les acteurs locaux. Par exemple, le projet décrié de création de la cité industrielle Tanger-Tech par le groupe chinois Haite, qui nécessite un investissement d’environ 10 milliards de dollars (8,1 milliards d’euros), a été financé par BMCE Bank, une banque marocaine. “La question qui se pose est celle de savoir si ce projet sera véritablement ‘gagnant-gagnant’ ou s’il sert davantage les intérêts chinois”, ­s’interroge Rachid Rhattat.


Doper l’investissement chinois est un défi pour le Royaume, qui doit chercher des niches pour tirer son épingle du jeu au Maghreb. Dans les faits, Rabat met les petits plats dans les grands pour flatter le Céleste Empire. “Le Royaume s’est doté d’une loi spécifique aux partenariats public-privé (PPP) en 2014. Elle permet d’apporter des garanties suffisantes aux investisseurs étrangers et aux bailleurs de fonds inter­nationaux désireux d’accompagner des ­projets d’envergure, notamment dans les ­infrastructures”, avance Rachid Rhattat. D’autres pistes sont évoquées : créer une zone franche spécialement dédiée aux Chinois, ouvrir une ligne aérienne Casablanca-­Pékin… Suffisant ?


 


Une nouvelle dynamique


“Pour l’heure, la Chine ne s’implante pas au Maroc, nuance Thierry Pairault. La grande majorité des entreprises viennent pour l’instant comme sous-traitants de leurs donneurs d’ordre occidentaux installés en Chine (PSA, Renault, Orchestra, Faurecia, Airbus…). De ce point de vue, la décision n’est pas chinoise mais occidentale.” Pour le spécialiste, nul doute, “les entreprises chinoises sont opportunistes et recherchent des marchés plus que des partenaires.”


D’après l’ambassadeur de Chine au ­Maroc, Sun Shuzhong, cité par l’agence Maghreb Arabe Presse (MAP), le Maroc abriterait 28 sociétés chinoises, quand l’empire du Milieu en compte plus de 2 500 sur le continent… Au Maroc, la Chine a ­surtout participé à des chantiers d’infrastructures (tunnel, liaison ferroviaire, autoroute). Dans le monde des télécommunications, Huawei, géant chinois des télécoms, est le premier fournisseur d’infrastructures de Maroc Telecom.


Il reste que les relations entre les deux pays “sont portées par une nouvelle dynamique, grâce notamment à l’exemption de visa pour les Chinois. Ainsi, les délégations de chefs d’entreprise et investisseurs se multiplient”, admet Rachid Rhattat.


D’après Thierry Pairault, le Maroc sortirait gagnant des relations économiques ­sino-marocaines. A condition que le pays “instrumentalise la Chine ou qu’il définisse une stratégie claire pour recourir aux services de cette dernière dans un cadre défini, à l’instar de ce que l’empire du Milieu a imposé aux entreprises des pays ­occidentaux travaillant sur son sol”. Dans le cas contraire, avertit le spécialiste, “si le Maroc confie les clés de son développement à la Chine, c’est lui qui sera instrumentalisé”. 

Abdeslam Kadiri