Maroc. Ouahbi versus Benkirane / Femmes, sexe et religion

 Maroc. Ouahbi versus Benkirane / Femmes, sexe et religion

A droite : Abdellatif Ouahbi – G : Abdellilah Benkirane. FADEL SENNA / AFP

Chaque semaine apporte désormais son lot de polémiques stériles : au centre de l’arène, toujours les mêmes acteurs, trublion de l’extrême gauche contre trublion de l’extrême droite : Ouahbi contre Benkirane.

Le ministre de la Justice s’attendait-il à provoquer un tel tumulte en se questionnant sur les mesures les plus radicales à apporter au code pénal et au code de la famille, surtout dans leur versant le plus proche de la loi islamique ? Des propos qui n’ont pas échappé à ces professionnels de l’indignation que sont les islamistes qui, comme de coutume, se sont vite rassemblés sous la bannière des défenseurs d’une religion en danger.

Si la logorrhée de Ouahbi n’a pas grand-chose à voir avec la défense des droits de l’homme (et surtout de la femme), les gesticulations des compagnons de Benkirane montrent aussi à quel point le langage politique peut être falsifié, et à quel point des mots graves qui nous émeuvent servent en réalité à faire passer des idéologies qui n’ont rien à voir avec leur signification originelle.

Car il suffit de se demander de quoi ces polémiques sont le nom, pour s’apercevoir que les deux personnages carburent à la contrefaçon idéologique et médiatique. Il suffit pour cela de s’intéresser aux prises de position des uns et des autres pour s’en convaincre.

Le premier imagine le sacré comme « impensé » se départissant d’une certaine transcendance qui relève de l’intouchable et l’autre comme un élément « réactionnaire », une religion qui se dévoie pour mieux se perdre par la sourde oreille qu’elle fait aux revendications de la modernité qu’on peut résumer par « l’ouverture à l’Occident ».

Se présentant toujours comme un sachant chargé de faire accepter à un peuple un peu « obtus » des évolutions inéluctables qui sont prioritaires dans le monde moderne, il oublie parfois que les préoccupations majeures des citoyens sont bien loin de se limiter « à la légalisation des relations sexuelles hors mariage » ou « au droit des homosexuels à batifoler sur les bancs publics ».

D’un autre côté, le PJD, jeté aux oubliettes de l’histoire par les électeurs, a trouvé dans les propos imprudents de Ouahbi une occasion trop belle pour ne pas jouer avec succès sur le tableau de la crédibilisation. Sur le fond, les islamistes s’opposent au projet du ministre de la Justice et, sur la forme, ils veulent jouer le rôle qu’ils ont perdu, celui d’une opposition farouche, responsable et soucieuse des intérêts des Marocains.

A présent l’unique souci du PJD n’est plus celui de la dédiabolisation mais celui de la crédibilité, jouant ainsi sur cette corde sensible qui fait que les Marocains sont plutôt conservateurs sur les questions de relations sexuelles hors mariage, l’héritage ou encore la liberté de conscience.

S’ensuit un emballement des réseaux sociaux et des médias en ligne. Manque d’esprit des internautes, pas de mise en perspective culturelle, absence de recul et fakenews servies à profusion par la machine médiatique du PJD, résultat la viralité a remplacé la réflexivité.

Ce qui a même poussé les salafistes les moins modérés à consacrer un gros dossier de leur mensuel « Assabil » allant jusqu’à accuser Ouhabi d’empiéter sur le champ réservé du commandeur des croyants qui a répété à plusieurs reprises qu’il « ne pouvait autoriser ce que Dieu a prohibé, ni interdire ce que le Très-Haut a autorisé ».

Bien sûr on ne répètera jamais assez que les deux mouvances tendent chaque jour qui passe à se couper de la réalité sociologique de ce pays. Ainsi, le fol activiste imbibé de culture marxiste qui ne propose pour l’heure qu’un improbable rejet de tout ce que contient le code pénal et le code de la famille de référents islamiques, doit essuyer les tirs nourris de la nébuleuse salafiste. La critique des obscurantistes n’est pas dénuée d’arrière-pensées, mais les excès de l’avocat en chef devenu ministre de la Justice n’est pas de nature à rassurer grand monde.

Ouahbi a donné à ces forces obscurantistes une chance inespérée pour tenter de détourner l’énergie populaire, l’espoir ou le ressentiment dûs à des conditions de vie précaires. L’homme qui a vendu à ses ouailles une forte expérience tacticienne et une puissance tribunitienne usurpée réussira-t-il à faire oublier les frasques de son prédécesseur, Ilyas Omari, qui de triste mémoire avait été adoubé pour contrer l’ascenseur du PJD et qui a fini par leur dérouler le tapis rouge par ses outrances avant de s’enfuir à l’étranger, les valises pleines de devises ? Rien n’est moins sûr.

Au lieu de s’embarquer dans un bras de fer (chance inespérée pour le PJD) avec les salafistes de tout bord, Ouahbi aurait dû se concentrer sur les points sombres de la condition de la femme dans notre pays et ainsi montrer comment faire face à ces défis mis au jour par la pratique. Il a assez de marge de manœuvre pour prendre des mesures qui restent autant de petites victoires, à défaut de gagner la guerre (idéologique).

Une guerre dont l’issue paraît de plus en plus incertaine, au fur et à mesure que l’on se rend compte de l’ancrage des mentalités les plus rétrogrades contre la femme dans les esprits du Marocain, qu’il soit traditionnel, moderne, religieux, laïc ou même athée.

C’est vrai, il y a ce fameux droit de succession qui contraint les héritières « n’ayant pas de frères à partager leurs biens avec des parents masculins (même lointains) », mais malgré la forte résonnance du thème, ce n’est pas le plus urgent pour rétablir les droits de la femme dans la société marocaine.

Réparer des injustices qui sont commises envers celui qu’on a coutume de surnommer le sexe faible commence d’abord par une lutte sans merci contre la culture du viol (on peut saluer au passage ce verdict sévère contre les violeurs de Tiflet), une culture du viol qui s’accompagne d’ailleurs toujours, d’une impunité qui est accordée de facto à l’homme et qui n’est guère évoquée dans la haute société où le troussage des servantes reste bien ancré dans les mœurs.

Il faut avoir aussi le courage de s’attaquer à des tabous et avoir l’audace de prendre de (simples mesures) administratives pour y mettre fin. On citera pêle-mêle l’interdiction pour une femme (chassée par son mari dans la nuit) de prendre une chambre d’hôtel dans la ville où elle réside, la non reconnaissance de l’enfant né du viol par le père même si l’ADN est positif, l’obligation pour un fiancé d’origine étrangère de prouver son statut de musulman (même s’il est musulman de naissance) s’il veut se marier avec une Marocaine, l’interdiction pour cette même Marocaine d’avoir un livret de famille avec l’inscription de ses enfants nés au Maroc etc.. Il faut aussi punir sévèrement le harcèlement sexuel.

Autre chose, si l’ascenseur social est grippé pour les hommes, il est complètement à l’arrêt pour les femmes, rongé par un mal insidieux, le sexisme, alors que les compétences n’ont pas de sexe. Et ce, aussi bien au niveau de l’emploi qu’à celui du couple et de la famille.

Pour rendre ce Maroc plus inclusif pour les femmes, on peut avoir recours aux quotas dans les entreprises et on peut aussi s’attaquer aux régimes matrimoniaux qui sont des contrats portant sur l’argent, mais jamais sur le temps, alors que les femmes perdent un temps fou à s’occuper de leur foyer, de leurs enfants et de bien d’autres choses, gaspillant ce temps plus précieux que l’argent.

On peut ainsi imaginer un statut qui permettrait dès chaque union des conjoints à un partage équitable et envisager un nouveau contrat sexuel ainsi que les obligations des futurs époux pour reprendre l’expression de la politologue ­anglaise Carole Pateman. Pour l’anecdote, ces milliers de femmes au foyer que les hommes jettent à la rue dès le prononcé du divorce, ne le sont pas au nom des principes religieux, bien au contraire, le Coran interdisant formellement de « les sortir de leur habitation » après la rupture !

Idéologie contre idéologie, ces sorties des uns et des autres ne sauraient se terminer par K.0. d’un camp sur l’autre mais quand les passions seront retombées, on mesurera mieux l’écart abyssal entre la violence des propos, la modicité des enjeux et l’ampleur des manques qui n’auront pas été comblés.

La grande perdante de ses joutes stériles, c’est bien entendu la démocratie mais c’est surtout cette douce créature, la femme, que les uns veulent enterrer sous le voile et que les autres veulent mettre à nu. Heureusement que « le peuple » lassé par ces paroles mielleuses faites de promesses non tenues et de grandiloquence, glisse sur une opinion publique désormais incrédule.

Abdellatif El Azizi