Affaire Lina Ben Mhenni : Peut-on encore critiquer l’islamisme ?

C’est la nouvelle coqueluche  des médias nationaux et internationaux qui se l’arrachent : Lina Ben Mhenni, l’une des icônes de la révolution du Jasmin, ex championne des jeux paralympiques et star de la blogosphère tunisienne, multiplie récemment des apparitions dans les chaînes de télé françaises notamment, où l’une de ses interventions mardi dernier sur le plateau de Canal+ a défrayé la chronique en Tunisie, spécialement dans les réseaux sociaux où l’on voit naître un début de polémique.

Interrogée par le chroniqueur Ariel Wizman qui lui demandait si l’islamisme lui faisait peur  aujourd’hui en Tunisie, la vedette du récent documentaire Plus Jamais Peur a répondu sans détours par l’affirmative : « Oui, cela me fait peur » a-t-elle lancé d’un air inquiet avant d’ajouter « J’observe ce qui se passe en Tunisie et il y a deux ans il n’y avait pas autant de femmes voilées, il n’y avait pas ces barbus un peu partout, maintenant cela change. De plus, je constate que les partis islamistes travaillent beaucoup et essayent d’acheter des voix en travaillant sur l’aspect social, en aidant les gens, etc. ».

Controverse le soir-même : ce qui a semblé pour certains le simple fait de tirer la sonnette d’alarme sur une réalité bien tangible dans le pays, a pourtant causé à la blogueuse un torrent d’insultes et de menaces anonymes et soulevé un tollé dans les milieux islamistes de la toile, à l’image des réactions indignées des Jeunesses du Mouvement Ennahdha.

Cyberactiviste de terrain par excellence, Lina sait sans doute de quoi elle parle en décrivant une situation qu’elle connaît bien, elle qui a sillonné le territoire tunisien durant les troubles ayant précédé et succédé à la révolution du 14 janvier, en relayant sur son compte Twitter depuis les zones les plus reculées et en direct les événements parmi les plus sanglants qu’a connus le pays, ne reculant ni devant le danger, ni la police de Ben Ali qui la harcelait en permanence, ni sa maladie immunitaire chronique qui l’affaiblit au quotidien.

Sur sa page officielle, elle s’indigne en des termes durs du traitement qui lui fut réservé par des gens dont elle estime qu’ils font preuve d’incohérence et d’ingratitude : « J’ai critiqué la politique de la France et des Etats Unis sur un plateau français et tout ce que certains idiots ont retenu c’est que je suis contre l’islamisme. Je suis musulmane mais je suis contre l’islamisme et je me battrai contre toute forme d’intégrisme. Partager une seule partie d’une longue interview à des fins de manipulation de l’opinion est une méthode instaurée par le régime de Ben Ali » a-t-elle rappelé à juste titre, à propos d’un régime qui n’hésitait pas jadis à user de l’intox pour déstabiliser ses opposants, en mobilisant des propagandistes du parti au pouvoir pour mener des campagnes ad hominem et jeter le discrédit comme ils le firent avec Lina que nous avions rencontrée dès la fin 2008 à Boston aux Etats-Unis, lorsqu’elle était alors en pleine lutte contre le système Ben Ali, profitant de sa présence à l’étranger, en tant que boursière Fulbright, pour contourner la censure. Durs moments donc pour une militante pour la liberté, hier aux prises avec la dictature, aujourd’hui toujours en proie aux mêmes techniques de lynchage, parfois de la part d’ex compagnons de lutte… Preuve si besoin était qu’une tyrannie peut en cacher une autre.

S.S.

Seif Soudani