Nouvelle opposition ou coalition : Les progressistes tunisiens à l’heure du choix

 Nouvelle opposition ou coalition : Les progressistes tunisiens à l’heure du choix

La naissante démocratie tunisienne continue de montrer des signes indéniables de vitalité. Photo AFP.

En Tunisie, les bulletins de vote de la Constituante étaient encore en cours de dépouillement que les premières tractations avaient lieu en vue d’un gouvernement dit « d’union nationale » ou encore « de salut national ». Ces nuances sémantiques des plus subtiles, nous les devons aux dirigeants du parti de centre-gauche Ettakatol que nous avons contactés pour les interroger à ce sujet. C’est que le parti de Mustapha Ben Jaâfar sait qu’il joue gros dans les prochaines heures, d’autant que les autres partis historiques de la gauche tunisienne, ayant moins à perdre, ont déjà tranché : pour eux, ce sera l’opposition.

Une semaine après un premier test réussi en y mettant la manière, avec une impressionnante ruée vers les bureaux de vote, la naissante démocratie tunisienne continue de montrer des signes indéniables de vitalité.

Cette fois c’est le débat autour des futures alliances à nouer avec Ennahdha qui fait rage en coulisses et agite la classe politique dans les médias. D’âpres négociations auraient déjà cours depuis quelques jours entre le parti islamiste et d’autres partis susceptibles de former une large coalition, avec des portes-feuilles ministériels à la clé.

Grand vainqueur des élections, le parti de Rached Ghannouchi sait néanmoins que ses 90 sièges ne lui permettent pas de gouverner seul et encore moins de disposer d’une majorité qualifiée (aux deux tiers des 217 sièges) sans nouer d’alliances au centre, voire à gauche. Or, le PDP (19 sièges) et le PDM (5 sièges) ont déjà tour à tour exprimé un refus de principe, rejetant catégoriquement toute idée de coalition avec Ennahdha.

Plus rationalisée encore est la position de Jawhar Ben Mbarek de la liste indépendante Doustourna (0 sièges à l’assemblée mais une grosse présence médiatique durant sa campagne et des propositions modernistes audacieuses pour la prochaine Constitution).

Le charismatique juriste a en effet mis en garde contre la potentielle dérive anti démocratique qu’encourrait le pays si le scénario se précise d’une trop large coalition gommant superficiellement les divergences idéologiques au nom de l’intérêt général.

« La nécessité de rassembler tous les talents pour la rédaction de la future Constitution ? Mais qui resterait-il pour superviser le travail du prochain gouvernement ? », s’est-il interrogé. « N’est-ce pas là une forme de retour à la gouvernance du parti unique ? » renchérit-il, avant de souligner le rôle crucial de contre-pouvoir régulateur que devra assurer la prochaine opposition face au puissant tandem Ennahdha – CPR (30 sièges).

L’heure de vérité pour Ettakatol

C’est précisément ce rôle que prétendent jouer les cadres d’Ettakatol s’ils devaient rejoindre un futur gouvernement provisoire. Selon eux, il s’agira notamment de veiller à ce que les libertés individuelles soient inscrites dans la future Constitution. Des raisons moins avouables rendent cela dit la participation du parti de Ben Jaâfar quasi inéluctable.

Une telle participation est en réalité un échange de bons procédés : Ennahdha sait qu’il a besoin de montrer patte blanche aux 60% de votants n’ayant pas voté pour le parti d’une part, et aux occidentaux inquiets de son éventuelle trop grande main mise sur la vie politique d’autre part. Pour ce faire, quoi de mieux que tendre la main à un FDTL et son président jouissant d’une grande respectabilité sur la scène nationale et internationale ?

Ettakatol y trouve aussi son compte : le parti qui a gardé toutes ses cartes en main durant la campagne, quitte à entretenir une certaine ambivalence vis-à-vis de l’islam politique, transformerait l’essai de sa réussite électorale à la 3ème place des suffrages (les sondages le donnaient 4ème derrière le PDP).

Nos sources nous révèlent que si Béji Caïd Essebsi venait à hériter du poste de président de la république par intérim (selon la même logique d’Ennahdha cherchant à rassurer), Mustapha Ben Jaâfar devrait au minimum être assuré du très prisé ministère des Affaires étrangères.

Mais la fronde s’organise déjà parmi une large frange des militants d’Ettakatol qui menacent leur direction de départs massifs en cas de « pacte avec le diable ». Moins à gauche et plus pragmatique et résignée, une autre frange tente de « limiter la casse », en appelant à ce que certains ministères clés échappent à tout prix au contrôle d’Ennahdha, comme le ministère de l’Intérieur, celui de la Défense nationale, ou encore l’Education, l’Enseignement Supérieur, la Culture, et la Jeunesse.

Nous devrions être fixés sur les choix plus que jamais déterminants de Ben Jaâfar dans le courant de cette journée du mardi 1er novembre : il y tient une conférence très attendue où il devrait faire une série d’annonces importantes, forcément moins consensuelles qu’à son accoutumée,  engageant l’avenir de son parti désormais en position d’arbitre, mais aussi celui du pays tout entier qui se trouve à un tournant historique.

Seif Soudani

Seif Soudani