Tunisie – CPR, une versatile machine à gagner

 Tunisie – CPR, une versatile machine à gagner

Moncef Marzouki (à gauche) et Mohamed Abbou du CPR

Parti de « gauche nationaliste » pour les uns, formation conservatrice de centre-droit pour les autres, le CPR n’a pas fini de brouiller les pistes quant à ses orientations, encore moins quant à ses intentions pour la cruciale période à venir en Tunisie. Et ce ne sont pas les récents cafouillages en matière de communication de son chef Moncef Marzouki ainsi que certains de ses lieutenants qui vont aider à rendre plus cohérente une image des plus confuses.

C’est à une véritable volte-face caractérisée à laquelle s’est livré hier soir mardi Marzouki sur la chaîne TV nationale. Le leader de la 2ème force politique du pays était interviewé en direct par l’équipe du JT de 20h. Il devait s’exprimer sur ce que les modernistes tunisiens ont d’abord pris pour une bonne nouvelle : d’après un entretien qu’il a accordé à Othman Tazghart du journal libanais Al Akhbar, les négociations en vue de former un gouvernement de coalition seraient au point mort. L’une des raisons du blocage serait que le CPR s’oppose à ce que le ministère de l’Education nationale revienne au parti islamiste Ennahdha.

Marzouki et les siens bottent en touche

Le premier démenti ne tarde pas à venir. Il est l’œuvre de Samir Ben Amor, trésorier et membre du bureau politique du parti. Au micro du même JT, un jour plus tôt, il devance sa hiérarchie pour lire un communiqué niant catégoriquement l’existence de la partie de l’interview en question.

C’est alors que le journaliste libanais rétorque quelques heures plus tard avec une preuve irréfutable : il a en sa possession l’enregistrement audio prouvant que Marzouki a bien tenu de tels propos.

On pensait donc que ce dernier était au pied du mur et comptait logiquement reconnaître les faits, une fois mis sur la sellette. Que nenni ! C’est le malentendu qui est plaidé par le chef du CPR au Journal télévisé : « Cette polémique soulève la question des rapports difficiles qu’entretiennent souvent hommes politiques et journalistes » déplore-t-il. 

« Ce n’est pas la première fois que mes propos sont déformés ou sortis de leur contexte. En l’occurrence, ils étaient improvisés, je ne peux pas dire que l’entretien a été trafiqué, mais je demanderai dorénavant à relire tout ce que les interviewers transcrivent. Pour moi, le sujet est clos », conclut-il.

Visiblement irrité, il semble que l’homme ait confié ces propos « en off », et que les reconnaître aurait des conséquences politiques considérables, comme compromettre notamment ses chances de faire l’unanimité pour le poste de Président de la République par intérim, voire celui de président de l’Assemblée constituante, pour lequel il est le plus pressenti. Des postes nécessitant une figure la plus consensuelle possible, sachant qu’Ennahdha, première puissance politique du pays, est de facto faiseur de présidents.

Le CPR, un parti d’avocats

Le reste de l’interview « buzz » d’hier est fait d’une authentique langue de bois. Alors que la composition du futur gouvernement de transition est désormais un secret de polichinelle, Marzouki s’y contente de dire qu’il ne faut prendre en considération aucune info filtrant des négociations tant que rien n’est officiel.

Une interview politiquement correcte dont l’intéressé ne sort pas grandi et qui fait dire à ses détracteurs qu’en plus d’avoir fait preuve d’opportunisme dans son alliance tacite avec Ennahdha depuis la révolution, Marzouki ne rechigne même plus au mensonge face à ses ambitions politiques.

Ceux qui connaissent bien son parti relativement opaque ne sont pas surpris de cette aptitude à la versatilité. Méconnu du grand public malgré la surprise de son succès électoral, l’essentiel des dignitaires du CPR est composé d’avocats chevronnés (un corps de métier traditionnellement parmi les plus politisés en Tunisie).

C’est le cas de Samir Ben Amor, avocat de formation, choisi pour représenter le parti au sein de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution.

C’est aussi le cas du charismatique Mohamed Abbou, longtemps prisonnier politique durant l’ère Ben Ali ; l’avocat est pressenti pour occuper soit le ministère de l’Intérieur soit celui de la Justice, avec un grand ménage à la clé qui fait déjà trembler les hauts fonctionnaires dans un cas comme de l’autre.

Mais même si le barreau est une excellente école de la rhétorique, Ben Amor n’en était pas moins mis en difficulté, à son tour, hier soir mardi sur le plateau TV d’Hannibal lors d’un débat l’opposant au sociologue Salem Labiadh. L’avocat y défendait encore une fois les propos pourtant peu défendables de Souad Abderrahim d’Ennahdha fustigeant les mères célibataires.

Il apparait clair aujourd’hui que le CPR, contrairement à ce que continuent de prôner ses dirigeants, n’est ni un parti laïque ni un parti apolitique.

Son bilan d’après révolution en fait davantage une entité inclassable consistant en la somme d’orateurs de talent au service des ambitions présidentielles d’un seul homme.

Ainsi l’intérêt de la Tunisie semble passer au second plan face à la soif de revanche de Moncef Marzouki. Peu importe si le président déchu est parti : l’éternel opposant a fait de son combat anti système Ben Ali une affaire personnelle.

Seif Soudani

Seif Soudani