Tunisie- La Bibliothèque Nationale se met à l’heure de la révolution


Par le Pr Kamel Gaha*

La BNT entame demain un cycle de conférences et de rencontres avec les philosophes, les écrivains, les intellectuels, les juristes et tous les hommes de bonne volonté qui ont « pensé » la révolution avec, leurs concepts,  leurs attentes et leurs mots respectifs.

 

La Bibliothèque nationale de Tunisie (BNT), héritière de la riche lignée des bibliothèques de l’Ifriquia musulmane, dépositaire de l’inestimable trésor  de la science et de l’intelligence de multiples générations de savants et d’hommes de culture tunisiens et arabes, se prépare à vivre l’ère de l’après-14 janvier 2011 en invitant les intellectuels et les citoyens du pays à un travail ambitieux d’analyse,  de réflexion et de prospective, pour tenter de répondre aux grandes questions que tous les Tunisiens se posent et dont les réponses commandent probablement le succès de la grande mutation en cours de la société tunisienne.

Comment situer, comment comprendre historiquement et culturellement la mutation profonde que connaît le pays et qui a eu ses répercussions sur toute la région ? Quelles sont les différentes étapes de maturation de ce processus sociétal, économique et culturel complexe qu’on ne peut se contenter d’expliquer par de simples considérations morales ou psychologiques réductrices ? S’agit-il d’un moment particulier du processus de maturation de la société et de la nation tunisiennes modernes ou d’une contestation fondamentale de la pertinence même des modèles qui sont à la base de la création de l’Etat et de la nation postcoloniaux ? Et enfin vers quel horizon cheminons-nous portés que nous sommes par une ferveur qui manifestement nous porte, et nous emporte ?

Le spectacle inaugural de la ferveur citoyenne a quelque chose de mythique et de hautement symbolique, mais il n’est pas exempt d’amalgames, d’approximations et parfois même de fantasmes débridés. Si le phénomène en lui-même demeure compréhensible et quasi naturel, il n’annonce pas moins de graves confusions qui peuvent être préjudiciable  au processus de mutation révolutionnaire.

Le grand piège qui nous guette, et qui risque de se refermer sur nous, c’est le sentiment réconfortant en apparence que les choses sont faites et de croire qu’il suffit de parler, d’occuper le terrain et de balancer des généralités hasardeuses pour que la Tunisie aille mieux.

L’impression d’amateurisme et les monceaux de poncifs diffusés par les médias accentuent l’impression d’incertitude et de désenchantement dans tous les milieux et menace de saper le fondement même de la révolution.

Il semble que la différenciation ne s’est pas opérée avec suffisamment de netteté entre le recouvrement de la dignité citoyenne et des droits politiques des citoyens et une pratique proto-politique sauvage que l’on observe à tous les niveaux et dans tous les milieux et qui autorise tout un chacun à faire « sa politique » sans médiation, sans représentation, et parfois sans autre loi que celle du désir ou du besoin.

Encore une fois, si le phénomène peut être compris, il n’en représente pas moins le tombeau de la démocratie puisqu’il présuppose une défiance généralisée qui sape l’idée même de « représentation » et de fonctionnement démocratique des institutions.

Un travail de fond reste à faire pour revaloriser « la chose publique », l’espace public et le travail, car ne l’oublions pas, il n’y a pas de démocratie sans civisme, sans valorisation du travail, sans représentation politique ; ce serait même un non sens flagrant.

Qu’allons-nous faire de cette nuit du destin ? La révolution nous est montée à la tête. Il est temps de revenir à plus d’intelligence, à plus de clairvoyance.

On avait la possibilité de donner une leçon au monde, celle de faire une révolution avec très peu de dégâts et avec des solutions applicables en Tunisie et  ailleurs et qui articuleraient le nouveau modèle de développement du pays et des régions aux réalités du pays et du monde.

Pour cela, il nous aurait fallu la patience d’expliquer ce qui s’est réellement passé en Tunisie depuis l’indépendance  jusqu’à aujourd’hui. Comment l’Etat s’est-il constitué, comment la société s’est-elle  modernisée, parfois contre la volonté même des citoyens. Comment  et pourquoi le projet de modernisation s’est-il  érodé au point de générer un système morbide qui ne pouvait perdurer qu’en transformant tout l’appareil politique et toute l’administration en une vaste machine sécuritaire ?

Il n’est pas tard pour penser ensemble l’avenir que nous voulons pour nous et pour nos enfants.

Pour tenter de contribuer à apporter des éléments de réponse à ces questions, la BNT organise un cycle de conférences et de rencontres avec les philosophes, les écrivains, les intellectuels, les juristes et tous les hommes de bonne volonté qui ont « pensé » la révolution avec, leurs concepts,  leurs attentes et leurs mots respectifs. Ces rencontres permettront aux auteurs de présenter les ouvrages qu’ils viennent de publier sur « la révolution tunisienne » et donneront lieu à un débat entre eux et l’auditoire, pour le plus grand bien de « la nouvelle Tunisie ».

Ce cycle démarrera le 8 septembre 2011 à 17 heures par la présentation du livre tout récemment publié par le Professeur Amor Cherni[i] chez L’Harmattan sur La Révolution tunisienne : s’emparer de l’histoire. Les Professeurs et écrivains  Iadh Ben Achour et Abdelwahab Meddeb ont accepté d’intervenir au cours du mois de septembre à des dates qui seront fixées ultérieurement et des contacts sont en cours avec Hélé Béji, Fethi Ben Slama ainsi qu’avec des auteurs étrangers qui ont traité de la révolution tunisiennes et des tyrans arabes comme Tahar Ben Jelloun et Alexandre Najjar.

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*Le Professeur Mohammed Kameleddine Gaha qui vient d’être nommé à la tête de la BNT pour succéder à une prestigieuse  lignée de responsables nommés à la tête de cette vénérable institution est un universitaire spécialiste des littératures d’expression française (Doctorat de 3ème cycle) et des lumières (Doctorat d’Etat). Il est l’auteur d’ouvrages publiés dans ses deux domaines de spécialité et également de deux recueils de poèmes Warakatun min kitab Attarhal, et La Route de l’or, ainsi que d’un essai intitulé Kitabatu A’rrawassibi .



[i] . Le Pr. Amor Cherni enseigne l’épistémologie et l’histoire de la philosophie à l’Université de Clermont-Ferrand.

 

Note de la rédaction : Le Pr Kamel Gaha nous a accordé une interview que nous publierons en deux parties, demain et après demain.

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