Tunisie- Les cris d’alarme de Hamadi Redissi

Dimanche soi, beaucoup de Tunisiens ont passé un bon moment avec Hamadi Redissi sur la chaîne Nessma, malgré les efforts du présentateur pour tirer l’émission vers le bas. De bons moments, parce que certaines phrases étaient bonnes à entendre et que voilà un intellectuel moderniste, éclairé, qui sait parler à l’opinion sans s’enfermer des concepts incompréhensibles, ni des phrases interminables .

Hamadi Redissi est un intellectuel tunisien, réputé internationalement, et qui est à la tête d’une association laïque créée après la révolution. Il était intéressant de l’entendre et ses propos ont tourné à la vigoureuse mise en garde, à l’appel à la vigilance. Il a exprimé une préoccupation manifeste devant la tournure des événements politiques et montré une profonde inquiétude quant à l’avenir. Son travail académique porte sur la conciliation des sociétés de l’aire arabo-musulmane et de la modernité.

L’Islam, quel Islam ?

L’Islam est multiple, rappelle l’universitaire, et c’est pour cela qu’il faut être très circonspect vis-à-vis de ceux qui parlent au nom de la religion. L’Islam, c’est quoi ? Une identité, une culture, une histoire, une géographie, 53 pays , une religion, 13 langues, un milliard et demi de personnes. Et cette plralité ne date pas d’aujourd’hui, elle est très ancienne.

Si l’aire arabo-musulmane a un point commun, c’est d’être une exception dans un monde qui évolue : la civilisation arabo-musulmane  traîne différents boulets qui l’empêche d’avancer. Des Politiquement, les régimes sont autoritaires ;  théologiquement, c’est l’enfermement et le refus de la mondialisation. Les économies sont des économies de rente qui ne produisent pas de richesses, qui ne sont pas compétitives;  le fondamentalisme a toujours empêché les réformes. C’est enfin la seule civilisation où le politique et le religieux sont restés reliés comme s’ils étaient des jumeaux. Hamadi Redissi estime que la conjugaison de tous ces handicaps empêche les pays arabo musulmans d’avancer vers la modernité.

Les erreurs de la révolution tunisienne

Le peuple tunisien, après la révolution, avait trois attentes : que faire de l’ancienne élite politique, que faire de ceux qui ont tué des innocents, et que faire enfin de la mafia qui a détourné, pillé, spolié le pays et les individus ?

Sur ces trois points, Hamadi Redissi estime que les élites ont apporté la mauvaise réponse.

Par exemple, pour la reddition des comptes, il aurait fallu prévoir une justice transitionnelle souple, rapide.

Hamadi Redissi montre une grande méfiance à l’égard des islamistes : « Le mouvement islamique, au lieu de calmer les esprits, jette de l’huile sur le feu, il a un langage ambivalent. Le mouvement islamique ne sait pas s’il est un mouvement révolutionnaire, ou un mouvement démocratique ».

« Comment le mouvement peut-il commettre autant d’erreurs, tout en sachant que ce qui s’est passé entre 87 et 89 pourrait se répéter ?, s’écrie-t-il. C’est une question qui me préoccupe. »

Pour lui, il est clair qu’Ennahdha tient à aller aux élections dans une ambiance survoltée, chargée de tensions et de menace?  La menace d’instabilité joue en leur faveur au niveau des votes, et s’ils n’obtiennent pas gain de cause, c’est-à-dire une forte adhésion électorale, ils pourront toujours accuser les forces occultes d’avoir comploté contre eux.

« La stratégie d’Ennahdha consiste à dire qu’il y a deux types de Tunisiens, les bons musulmans qu’elle représente et les musulmans suspects. (…) Elle jette le discrédit sur les élites éclairées, c’est sa tactique.»

En définitive, Hamadi Redissi regrette que la Tunisie ne saisisse pas immédiatement l’occasion d’effectuer un bond vers la modernité et s’inquiète de la perspective d’un avènement possible d’une démocratie anti-libérale. Une préoccupation fortement partagée par les élites éclairées du pays.

Soufia Limam

Les petites phrases


Celle-ci a frappé les esprits :

« La Tunisie est le dernier pays au monde où il y a une formation qui croit encore que l’avenir du pays est dans le communisme. Le seul pays où des formations nous présentent des Saddam et des Kaddafi comme des leaders et des héros alors qu’il s’agit de criminels ».

D’autres aussi méritent d’être relevées :

« Le processus actuel peut mener à une démocratie anti libérale. La démocratie n’est pas uniquement un processus ou des méthodes, mais surtout des valeurs de liberté et d’égalité. (…) Le pacte républicain est chargé de propos anti libéraux et anti-démocratiques ».


« Le gouvernement actuel est le plus faible que la Tunisie ait eu depuis 1956, il faut le soutenir jusqu’aux élections ».


« Dans une démocratie, c’est la majorité qui doit respecter et défendre la minorité et non l’inverse. (…) En France, les musulmans, immigrés ou pas, sont très contents de se revendiquer de la laïcité qui les protège ».


« Si l’article 1 de la Constitution est maintenu (l’islam religion de la Tunisie), j’ai peur qu’un courant démocratiquement élu nous impose demain SON islam, en se basant sur cet article ».


« Le problème, c’est que la révolution a été captée par des gens soit de l’extrême gauche qui puisent leur référentiel dans les années soixante, soit de l’islam politique dont le référentiel remonte aux années 80 ou au mieux 90. (…) le programme de Rached Ghannouchi n’est pas clair et ses écrits montrent plus d’enfermement que ses discours actuels ».

 

 

 

 

 

 

 

 

Soufia Limam