Mirail, mon beau Mirail

 Mirail, mon beau Mirail

Ouverte à tous les habitants du Mirail


A Toulouse, l’association les Bobines sauvages propose aux habitants du Mirail de se réapproprier l’image de leur quartier, mal considéré. Avec du son, de la vidéo, des crayons, de la scène : les armes choisies pour mener au quotidien un combat culturel et politique. 


Un immeuble récent, à quelques pas de la sortie du métro et de la place Abbal, jouxtant la zone verte de ce quartier toulousain qui a longtemps accueilli le festival Racines. C’est là, au cœur de La Reynerie, que les Bobines sauvages ont trouvé où se loger depuis le mois de novembre : deux appartements qui se font face et dont les pièces ont été transformées en bureau, ateliers ou studios. Des espaces où se déploie chaque jour, “l’énergie Bobine”, selon un terme maison. Pour “permettre aux habitants de La Reynerie de se réapproprier l’image du quartier”, annonce la page d’accueil du site web de l’association.


Camille Montalan, 30 ans, directeur de la structure, dont il est l’un des fondateurs, précise : “N’importe quel résident du Mirail peut venir frapper à la porte de l’association s’il est animé par l’envie de produire quelque chose sur son quartier. Il n’y a pas d’activités prédéfinies dans lesquelles il faut s’inscrire. On propose un accompagnement, des savoirs techniques et la mise à disposition d’outils, afin que les habitants puissent fabriquer eux-mêmes l’image qu’ils ont de leur environnement.”


 


Une équipe de quatre salariés


Le Mirail compte 32 000 habitants. Il regroupe les cités dites “difficiles” des quartiers sud de Toulouse : La Reynerie, Bellefontaine, Bagatelle, Faourette, Bordelongue – un ensemble classé en Zone urbaine sensible (ZUS) et Zone de redynamisation urbaine (ZRU). Le taux de jeunes sortis du système scolaire sans aucun diplôme y est environ trois fois plus élevé que la moyenne toulousaine : 35,4 % pour Bagatelle-Faourette-Bordelongue et 37,8 % pour Bellefontaine-Reynerie, contre 12,9 % pour Toulouse (1). Dans certains endroits, le taux de chômage frôle les 40 %, et le Mirail est une place forte du trafic de stupéfiants dans la Ville rose.


Une situation sociale et économique âpre dont Soumeya Koubaa est convaincue qu’elle peut, et doit, être affrontée de l’intérieur. Agée de 23 ans, chargée du développement culturel au sein de l’association, la jeune femme est née et a grandi à La Reynerie. “J’en ai assez d’être toujours mise dans les mauvaises cases, explique-t-elle. Quand on est petit, on ne le remarque pas trop, mais en grandissant, on voit que c’est un quartier à problèmes et qu’on pourrait en régler une bonne partie avec d’autres outils. Il faut des espaces où se réunir, se retrouver, s’exprimer. Les Bobines sauvages ont fourni ça.”


L’association a vu le jour en 2011. Camille Montalan, dont la famille a vécu ici pendant quinze ans, veut agir dans le quartier. Guillaume, l’un de ses amis, étudiant à l’Ecole supérieure d’audiovisuel (Esav) de Toulouse souhaite faire de l’image : “On s’est dit qu’on allait rassembler nos deux envies.” Dès le début, sans locaux, ils arpentent le bas des tours, y réalisent des courts-métrages et mènent des ateliers d’initiation au cinéma avec de jeunes ados. Le bouche-à-oreille fonctionne positivement. En 2015, l’association est suffisamment structurée pour se voir attribuer des locaux. Elle déménagera à deux reprises en restant toujours au cœur de La Reynerie.


Aujourd’hui, les Bobines sauvages fonctionnent avec un budget annuel de 110 000 euros. La politique de la ville, le ministère de la Culture, les conseils régional et général, la mairie et la Caisse d’allocations familiales abondent. S’y ajoutent quelques fonds privés de fondations et la facturation de services de captation audiovisuelle pour lesquels l’association est régulièrement sollicitée. Trois salariés à temps plein, un autre à temps partiel.


 


“Ils nous filent du matériel, nous font confiance”


Une véritable success story ? “Trois salariés sont en contrats aidés, tempère Camille Montalan. Donc, vu qu’ils ne seront pas reconduits, soit nous aurons un soutien public, soit on devra multiplier nos prestations pour pouvoir garder le même effectif.” Ouverte à tous les habitants du Mirail, l’association accueille environ 150 personnes sur l’année. Elles ont accès à du matériel audiovisuel, radio, de dessin et d’écriture. “Trois types de personnes viennent ici, résume le directeur. Ceux qui souhaitent juste mener une activité socioculturelle un peu sympa ; ceux qui envisagent d’aller plus loin dans le domaine de l’image, et pourquoi pas d’en faire leur métier, soit environ une vingtaine de jeunes ; et puis des adultes un peu plus âgés qui sont dans une volonté d’expression, une forme d’engagement plus politique au sens de l’implication dans la cité. Notre doyen a 66 ans.”


Ibrahim Reziga, bientôt 22 ans, appartient à la seconde catégorie. L’univers de cet enfant de La Reynerie, c’était les toits des barres d’immeuble de la cité. “On était un collectif sportif de parcours, mais on n’avait pas de matos pour se filmer.” Un jour de 2014, “au culot”, il va voir Camille Montalan et lui demande une caméra. “Il m’a dit oui. Je me suis dit ‘il nous file du matériel comme ça, qui coûte cher, il nous fait confiance…’ A partir de là, j’ai été le point de liaison entre les Bobines et le groupe, et on a essayé d’apporter de la crédibilité, de la respectabilité à l’association dans le quartier.”


 


Un quartier, plusieurs visions


Une “rencontre décisive”, confirme le directeur des Bobine sauvages. Depuis juillet, Ibrahim est salarié de la structure, chargé du développement des projets audiovisuels. Et lui qui s’était longtemps vu prof de sport veut désormais tracer sa route dans le monde de l’image. Touchant à tous les aspects du métier, il découvre le cadrage. Ses courts-métrages (dont Déjà vu ! en 2016) sont visibles sur YouTube et sur le site web de l’association.


“Le quartier, c’est le même pour tous, constate-t-il, mais personne ne le voit et ne le raconte de la même façon. Nous, c’était les toits, il y en a pour qui le Grand Mirail, c’est du vert…” Les Bobines sauvages proposent à chacun de filmer et/ou de raconter son “quartier mental” pour se défaire d’autres images plus négatives véhiculées par les médias. “On a un outil extrêmement sain, positif, qui permet de produire le récit de notre quartier avec nos yeux à nous. C’est fondamental et ça fait du bien”, ­assure Mouhammad Kamal, slameur et président du conseil d’administration de l’association. Un CA qui, depuis quelques mois, remplit l’objectif que s’étaient fixé les fondateurs : à l’exception de Camille Montalan, tous ses membres sont originaires du Mirail.


Comme Soumeya, pour qui la réussite du projet n’est pas complète : “Il faut que davantage d’adultes du quartier nous connaissent, se tournent vers nous et viennent pour s’exprimer. Ça passe par des rencontres avec les habitants sur les événements, par le bouche-à-oreille, par la présence aux fêtes de quartier. J’y travaille et j’y arriverai.” Très “déter”, Soumeya. L’énergie bobine, sûrement. 


(1) chiffres de l’Observatoire régional de la santé Midi-Pyrénées (Orsmip), 2010


 


MAGAZINE FEVRIER 2018

Emmanuel Rionde