Amel Bouderra, le haut du panier

 Amel Bouderra, le haut du panier

crédit photo : Hervé Bellanger


MAGAZINE DECEMBRE 2017


Pour la seconde année consécutive, la meneuse franco-algérienne a été sacrée meilleure joueuse du championnat de France de basket féminin. Malgré les sollicitations, elle reste fidèle à son équipe ardennaise de Charleville-Mézières. Bien décidée à décrocher un titre avec son club, elle garde un œil sur une équipe de France qui lui a permis de vivre son rêve aux Jeux olympiques de Rio, en 2016. 


Ne cherchez pas à lui tresser des louanges pour son statut de meilleure passeuse du championnat ou son double trophée de Most Valuable Player (MVP) – une récompense attribuée chaque année par la National Basketball Association au meilleur joueur de la saison régulière –, Amel Bouderra n’en a cure : “Je fais un sport collectif, donc les ­récompenses individuelles, ça fait plaisir, mais ­l’important c’est de gagner un titre avec mon club”, ­prévient-elle. Humble, affable et souriante, la ­meneuse franco-algérienne est l’anti-star par ­excellence. Une philosophie de vie héritée de ses parents, immigrés algériens venus s’installer à Mulhouse, en Alsace, dans les années 1980.


 


Premiers dribbles à 3 ans et demi


Quatrième d’une fratrie de cinq filles, Amel grandit avec une balle orange dans les mains. “Toutes mes sœurs faisaient du basket. Je prenais plaisir à ­aller voir leurs matchs et à m’amuser. J’ai commencé à jouer à l’âge de 3 ans et demi.” Une précocité vite détectée sur le terrain. Au club de Mulhouse, où elle fait ses premières gammes, la jeune fille se retrouve à chaque fois surclassée en catégorie. De compétition en compétition, elle tape dans l’œil des recruteurs de Strasbourg qui viennent la chercher lorsqu’elle a 13 ans pour l’intégrer à leur centre de formation. Un grand changement : “Je suis partie vivre à l’internat. Je rentrais le vendredi soir à la maison et mes parents me ramenaient le ­dimanche soir. Ça a été dur au début.”


Entre l’école, les entraînements et les matchs, ses semaines sont très chargées. Et en grandissant, le niveau des adversaires est à la hausse. Le sien aussi. Ses deux dernières années à Strasbourg, elle les passera en qualité de professionnelle, ou presque. “Je ne recevais pas de salaire, mais le club payait le loyer de mon appartement et ­finançait mes courses.” Une belle expérience qui en appellera une autre…


Juste avant de souffler ses 18 bougies, elle est contactée par l’équipe de Charleville-Mézières (Ardennes), les Flammes Carolo. “Le coach me ­voulait dans son équipe. Il est passé par un agent, car j’étais mineure. C’est lui qui m’a contactée. Le club évoluait à l’époque en ­National 1 (troisième échelon derrière la Pro A et la Pro B, ndlr). Il avait de grandes ambitions et voulait monter en Ligue féminine (championnat élite et professionnel du basket-ball féminin, ndlr). L’entraîneur est venu rencontrer mes parents, et j’ai signé mon premier contrat professionnel.”


Cette fois encore, le changement ne se fait pas sans mal. “A Strasbourg, je vivais en colocation avec une fille de l’équipe. Mes parents venaient le dimanche avec un gros sac de courses. A Charleville-­Mézières, je me suis retrouvée seule et encore plus éloignée de ma famille.” Sous pression, Amel connaît une première saison compliquée. “J’ai eu des soucis personnels. J’avais du mal à avoir confiance en moi, à m’épanouir, mais heureusement, les gens d’ici m’ont soutenue. Ça m’a beaucoup aidée.”


 


Son équipe, sa famille


Durant ces trois années en Nationale féminine 1, Amel se révèle au grand jour, avant de monter logiquement en Ligue féminine lors d’une confrontation qui s’est dénouée dans les prolongations : “On a joué à domicile. Il y avait une ambiance incroyable, ça reste un souvenir dingue.” Désormais à l’aise dans son cocon, elle ne donne pas suite aux propositions des autres clubs. “C’est flatteur, c’est vrai, mais je préfère rester ici. Je ne joue pas pour l’argent, ça ne me définit pas”, confie la jeune femme. Installée en Ligue féminine, Amel réalise une belle première saison dans l’élite, à l’image de toute son équipe : “On a gardé un noyau dur de joueuses, on a grandi ­ensemble, et ça a renforcé la ­cohésion du groupe.”


Le 8 octobre 2011, elle marque les esprits face à l’équipe de Roanne avec un panier de 25 mètres. La vidéo sera visionnée des milliers de fois sur le web. Un vrai coup de projecteur pour elle et son club. “On m’en parle encore, s’amuse-t-elle. C’est rare de mettre un panier comme ça, j’ai eu un coup de bol. Ça a permis de mettre en lumière le club, on a eu plus d’interviews et ça a donné un coup de boost à la ville.”


 


Ambitions nationales


En 2016, elle décroche son premier titre de MVP. Une fierté grandissante quand, en juillet de la même année, au dernier moment, le sélectionneur des Bleues fait appel à elle pour les Jeux olympiques de Rio. “C’est le rêve de tout sportif. Ce fut inoubliable.” Une première expérience à l’international pour celle qui avait déjà connu les joies de la compétition sous le maillot algérien, en 2007. “On est venu me chercher pour participer aux Jeux africains qui se déroulaient à Alger. J’y suis allé avec grand plaisir. Mes parents se sont déplacés pour l’occasion. Il y avait une ambiance folle. Malheureusement, les règles ont changé. Si je joue pour l’Algérie aujourd’hui, je deviens étrangère en France, et c’est compliqué pour moi de prendre la place d’une Amé­ricaine dans un club.” Avec un quota limité, Amel ne veut pas prendre ce risque, elle qui convoite une place en équipe de France. En attendant, elle continue avec son club ardennais avec qui elle vient de signer un nouveau contrat de trois ans. Objectif annoncé : gagner un titre.


Même si le basket occupe une place importante dans sa vie, Amel se soucie aussi des autres. Elle s’investit dans plusieurs associations, comme ­Ballon du bonheur, qui organise des événements en France (stages, matchs caritatifs) pour récolter des fonds afin d’aider les pays en difficulté. “Nous sommes allés à Madagascar, dans une région où les habitants manquaient d’eau potable. On y a construit un puits. Ce fut une expérience magnifique, même si j’ai vu ­là-bas des choses très difficiles”, conclut-elle avant de finir de préparer son sac. L’heure de repartir sur les routes pour un nouveau match.  

Jonathan Ardines