Auditions publiques : le grand déballage d’Imed Trabelsi sur la corruption sous l’ancien régime

 Auditions publiques : le grand déballage d’Imed Trabelsi sur la corruption sous l’ancien régime

Témoignage d’Imed Trabelsi


Le plus emblématiques des membres du clan Trabelsi, qui avait mis l'économie tunisienne sous coupe réglée pendant la dictature de Ben Ali, a livré vendredi soir un témoignage historique et inédit sur la corruption à l'époque, tout en présentant ses excuses au peuple tunisien.



Le récit de Imed Trabelsi, neveu de l'épouse du président déchu Zine El Abidine Ben Ali, a été enregistré par l’Instance Vérité & Dignité dans la prison de Mornaguia où il se trouve depuis la révolution de 2011. La séance d’audition publique consacrée pour la première fois au thème de la corruption, en vertu de la loi 53-2013 relative à la justice transitionnelle, et servant de cadre à ce témoignage, a été diffusé en direct par plusieurs médias nationaux et internationaux, l’IVD étant chargée de recenser les violations des droits de l'Homme de ces dernières décennies, mais aussi les dossiers liés aux violations économiques.


 


Les hauts fonctionnaires, clé de voûte du « système »


Chemise blanche et cheveux grisonnants, visiblement amaigri, Imed Trabelsi, 42 ans, a raconté pendant une heure et demie comment il est devenu l'un des barons du pays sous Ben Ali, décrivant un système bien rodé grâce à la complicité de douaniers, de hauts fonctionnaires de l’Etat et de ministres.


« Nous avions pratiquement le monopole sur le commerce de la banane », a ainsi reconnu celui qui était aussi présent dans les secteurs de l’immobilier et l'alcool. « Si un autre homme d'affaires essayait de nous faire de la concurrence, nous bloquions son chargement le temps qu’il fallait ».


« Combien d’entrepreneurs ont fait faillite en raison de ces passe-droits ? Combien de carrières brisées par la triche ? », réagit-on sur les réseaux sociaux… 


« Les douaniers qui travaillaient avec nous se consacraient à notre bateau (…), ils bloquaient les intérêts de beaucoup de gens et on ne sortait que notre marchandise, avant tout le monde », a-t-il ajouté, disant avoir donné des pots-de-vin allant jusqu'à 30.000 dinars (plus de 11.000 euros) pour quatre douaniers. « Mille dinars suffisaient lorsque les centenaires étaient plutôt vides », ajoute Trabelsi.  


Concernant les hauts fonctionnaires, Imed Trabelsi a assuré que certains avaient fait du zèle « pour se faire bien voir par des proches de Ben Ali », tels que son gendre Sakher el-Materi. « Les responsables qui veulent se défausser complètement de leurs responsabilités, ce n'est pas vrai », a-t-il lâché.


Quant à la situation aujourd'hui, « il y a eu une révolution mais rien n'a changé à ma connaissance, le même système a perduré », affirme-t-il. « J'ai mes échos ici, et le dispositif est encore opérationnel ».


Pour conclure, l’homme a dit « s'excuser du fond du cœur » et vouloir « tourner la page ».


« Sept ans se sont déjà écoulés, j'aimerais que tout cela se termine. Ma fille avait dix mois quand je l'ai laissée, elle a huit ans aujourd'hui (…). Je veux retrouver ma liberté », a-t-il dit.


Si son dossier est réglé, les condamnations à son encontre seront annulées au titre de la « réconciliation nationale ». Mais, le chargé du contentieux de l'Etat, qui doit obligatoirement faire partie de l'accord, n'a cessé de reporter l'affaire ces derniers mois.


Cette audition intervient au moment où le Parlement a repris l'examen d'un projet de loi défendu par le président Béji Caïd Essebsi, qui prévoit l'amnistie de faits de corruption en échange d'un dédommagement.


L’IVD avait démarré les séances d’auditions publiques des victimes de violations des droits de l’Homme commises entre 1955 et 2013, en novembre 2016. Absente du projet de loi présidentiel, la révélation de la vérité est également une étape clé dans la compréhension des violations économiques ainsi que le démantèlement du système de corruption.


Une étape prélude à la reddition des comptes, à la réparation des victimes, à la réforme des institutions et ultimement la réconciliation nationale, afin que ces exactions dont des milliers de Tunisiens de différentes appartenances politiques et idéologiques ont souffert, appartiennent à jamais au passé, via la garantie de la non répétition.


 


S.S

Seif Soudani