Gabès : l’industrialisation n’a pas tenu ses promesses

 Gabès : l’industrialisation n’a pas tenu ses promesses

Unité de production d’acide phosphorique de Gabès


En 2015, l’Union européenne et Expertise France lançaient un ambitieux projet d’appui à la Gouvernance Environnementale de Gabès (PGE-Gabès). Quatre ans et près de 5 millions d’euros plus tard, la pollution est toujours là, mais les lignes bougent, et la population est plus que jamais mobilisée.


Ce qui a changé, c’est d’abord une meilleure connaissance du phénomène de pollution dans la région. Deux recherches commandées dans le cadre du PGE ont permis de faire un état des lieux des connaissances sur la question. L’impact de la pollution industrielle sur l’économe de la région a ainsi été chiffré : 76 millions de dinars en 2015 (près de 35 M€ de l’époque).


Ce coût de dégradation de l’environnement (CDE) est principalement supporté par la pêche (47 %). Le Golfe de Gabès, autrefois réputé pour ses eaux littorales poissonneuses alimentant toute la Tunisie, a perdu les deux tiers de ses espèces marines depuis la fin des années 1960 et l’installation des industries chimiques dans la région. Le tourisme et l’agriculture sont également durement touchés : les taux d’occupation des hôtels sont largement inférieurs aux régions voisines, tandis que de plus en plus de parcelles agricoles sont abandonnées, alimentant le chômage, qui atteint 25 % à Gabès ; bien plus que la moyenne nationale de 15 %. Il faut y ajouter le surcoût pour le système de santé évalué à près de 10 millions de dinars.


En se développant, l’activité industrielle a donc porté gravement atteinte à des pans importants de l’économie, qui jouaient de plus un important rôle sociétal. « Cultiver sa parcelle dans l’oasis est une tradition à Ghannouch. Même lorsqu’ils ont un travail en ville, les gens continuent de s’occuper de leurs vergers », rappelle Boulbaba Dkhil, le directeur de l’école primaire de Ghannouch, l’une des oasis composant le système oasien de Gabès. Son établissement est pionnier en matière d’éducation environnementale et participe activement au PGE-Gabès.


« Les emplois à créer ne le seront pas dans les industries polluantes », prévient Boulbaba Alaya, maire de Gabès, qui met en avant le potentiel important de la région en matière d’agriculture et de tourisme. Par ailleurs, « les entreprises doivent retrouver leur rôle sociétal », estime l’édile. Une des composantes du PGE a justement travaillé sur l’accompagnement d’entreprises en matière de responsabilité sociétale des entreprises (RSE). « Cinq entreprises de la région ont adhéré au Pacte mondial des Nations-Unies, un engagement à adopter une attitude socialement responsable », annonce Quentin Peignaux, en charge du projet pour la Délégation de l’Union européenne en Tunisie.


« Beaucoup de progrès ont été faits en matière de sécurité au travail (…). Il nous arrive de prêter nos engins et nos camions à la municipalité pour ses travaux. Nous avons aussi subventionné des associations locales pour des actions de végétalisation des espaces publics », se félicite Imen Bouenba, du comité RSE de Kilani, une entreprise de BTP employant 270 personnes.


En 2018, le chef du gouvernement Youssef Chahed a donné son accord pour le démantèlement de l’unité de production d’acide phosphorique de Gabès, appartenant au Groupe chimique tunisien, une entreprise publique. L’usine est la principale source de pollution de la région. Ses cheminées crachent en continu d’inquiétantes fumées colorées, tandis que se déversent quotidiennement 14 000 tonnes de phosphogypse en mer, sous forme de boues toxiques.


Seul problème : le coût de l’opération, évalué à plusieurs milliards de dinars, alors que l’entreprise est déficitaire depuis plusieurs années. Mais, le maintien de l’activité telle qu’elle existe aujourd’hui aurait « un coût de dégradation de l’environnement cumulé d’environ 1 000 millions de dinars sur la période 2016-2030 », préviennent les auteurs de l’une des études commandées par le PGE. Sans compter le risque sanitaire insuffisamment mesuré.


Lors de l’atelier de clôture du PGE, prévu les 27 et 28 février, les parties prenantes (autorités nationales et locales, chercheurs et associations) devront trouver un mode de concertation afin de trouver une issue à l’impasse que semble aujourd’hui être le développement industriel de Gabès.


Rached Cherif


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