Que nous apprend la composition du cabinet Kais Saïed ?

 Que nous apprend la composition du cabinet Kais Saïed ?

De gauche à droite : le général Salah Hamdi


Quelques heures après l’un des actes fondateurs de son mandat que fut l’éviction des ministres de la Défense et des Affaires étrangères, le président de la République Kais Saïed, investi depuis moins d’une semaine, a mis fin aux spéculations quant à la configuration de son nouveau cabinet en y nommant hier 30 octobre une équipe quasi paritaire homme – femme. Cinq figures relativement méconnues du grand public. 


C’est chose faite, et ce n’est pas sans quelques surprises que le Palais de Carthage annonce la formation du premier cercle du cabinet Kais Saïed. Ce noyau dur, qui a des chances de demeurer restreint, se décline ainsi comme suit :


L’ambassadeur Tarek Bettaieb est nommé directeur du cabinet présidentiel, et continue jusqu’à nouvel ordre à cumuler ses fonctions d’ambassadeur à Téhéran, et ce après avoir assuré les mêmes fonctions à Abou Dhabi.


Le général de brigade retraité Mohamed Salah Hamdi est nommé conseiller à la Sécurité nationale, succédant au vice-amiral Kamel Akrout. Hamdi est ancien chef d’Etat-major de l’armée de terre, et précédemment attaché militaire en Libye.


Rachida Ennaifar sera quant à elle chargée de la communication. Elle succède à Firas Guefrech. Ennaifer est universitaire, ancienne journaliste et présidente de l’Association des Journalistes tunisiens, ancienne membre de la HAICA. 


Nadia Akacha est nommée conseillère aux Affaires juridiques, succédant à Kheireddine Ben Soltane, et Tarek Hannachi est nommé chef du Protocole présidentiel, succédant à Mondher Mami. Hannachi est diplomate de carrière, auparavant en poste à Benghazi et Alger.


 


Controversé, Betbaieb conserve un statut de haut rang


Première surprise, Abderraouf Betbaieb, compagnon de route de Kais Saïed, que tout le monde pressentait comme chef du cabinet présidentiel étant donnée son omniprésence aux côtés de Saïed dans toutes les photos en provenance du Palais, est finalement nommé ministre conseiller auprès du président. Il chapeaute ainsi l’ensemble de l’équipe présidentielle et hérite d’un statut protocolairement supérieur à celui du chef de cabinet.


Ce choix consistant à retirer Betbaieb de l’attention médiatique immédiate, tout en ne lui retirant pas la confiance du président, est une consolation qui peut trouver son explication dans la volonté d’étouffer un début de polémique autour de la personne de cet ancien syndicaliste et diplomate plutôt sulfureux.


Particulièrement hostile au nouveau pouvoir élu, la chaîne privée El Hiwar Ettounsi, toujours première en termes d’audience malgré un boycott grandissant, avait consacré dès la semaine dernière de longues minutes au profil Facebook de Raouf Betbaieb qui révèle des positions ultra conservatrices, parmi lesquelles sa grande admiration pour l’ancien président égyptien feu Mohamed Morsi, des publications à caractère religieux, certaines thèses complotistes, ainsi que sa détestation affichée du bourguibisme. Depuis, l’intéressé a modifié la confidentialité de son compte Facebook.   


L’ancienne opposante historique, Neziha Rjiba, avait même dû prendre publiquement la défense de Betbaieb, un de ses amis proches, sur les réseaux sociaux, ironisant sur les accusations de « daechisme » à son propos.


 


Un mandat à forte connotation diplomatique ?


C’est donc un autre diplomate de carrière, Tarek Bettaieb, qui hérite de la direction du cabinet du président de la République. Outre son passage par les pôles hautement stratégiques que sont les Emirats, l’Egypte et l’Iran, ce charismatique quinquagénaire fut chargé de présider les délégations tunisiennes aux réunions internationales consacrées à la crise libyenne. Devenu conseiller spécial chargé des affaires libyennes auprès de l’ancien ministre des Affaires étrangères, Khemaies Jhinaoui, il l’avait notamment accompagné dans de nombreuses visites de travail à Tripoli, Benghazi et Tobrouk.


Le choix d’un tel diplomate chevronné relève sans doute du souci de Kais Saïed de s’entourer d’expertise géopolitique, comme pour faire taire les voix qui soulignent l’inexpérience du nouveau président dans ce domaine, mais aussi de sa volonté, en tant que président particulièrement bien élu (72,71% des voix), de peser vraisemblablement d’emblée dans les dossiers chauds du moment, dont la crise libyenne inextricable du contexte tunisien.   


Autre fin connaisseur du dossier libyen, le général Mohamed Salah Hamdi, nouveau conseiller sécuritaire, bénéficie surtout d’une véritable réhabilitation, lui qui avait été poussé à la retraite anticipée, remplacé par le général Ismaïl Fathali à la tête de l'Etat-major de l'armée de terre en juillet 2014, suite aux attaques terroristes répétées contre l’armée tunisienne au mont Chaambi, à Ouergha, et à Sakiet Sidi Youssef.


Autre forme de réhabilitation, celle enfin de Rachida Ennaifer, amie de longue date de Kais Saïed, nouvelle chargée de la com’ au Palais.


En avril 2015, Rachida Ennaïfer et Riadh Ferjani avaient en effet annoncé leur démission de la haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (HAICA), pointant ce qu’ils appellent « les déviations récurrentes qui sont de nature à faire dépendre le secteur audio-visuel du pouvoir de l’argent, de la politique et du sport, et d’instrumentaliser la HAICA pour des objectifs autres que ceux pour lesquels des générations de journalistes et d’activistes ont milité ».


A l’époque, les deux membres démissionnaires s’étaient insurgés contre les cessions des autorisations d’exploitation de plusieurs fréquences radios, validées par le Conseil de l’instance, dont notamment celles de Radio Kalima.  


Militante féministe et moderniste, Rachida Ennaifer à Carthage c’est par ailleurs un intelligent gage explicite d’ouverture à la société civile, concédé par une présidence de la République déjà sur la sellette, à qui l’on fait plusieurs procès d’intention en ultra conservatisme.

Seif Soudani