Algérie. M6 interdite après la diffusion d’un reportage

 Algérie. M6 interdite après la diffusion d’un reportage

Dimanche soir, le 20 septembre, la chaîne française M6 diffusait une « Enquête exclusive » de 75 minutes, un reportage intitulé « L’Algérie, le pays de toutes les révoltes ». Situation économique, libertés individuelles, démocratie… le tableau dressé du pays est sombre. Les autorités algériennes n’ont pas tardé à riposter. Le lendemain, lundi, le ministre algérien de la communication a déclaré « ne plus autoriser » la chaîne de télévision privée française M6 à opérer en Algérie. 

Autour du reportage de la chaîne, « L’Algérie, le pays de toutes les révoltes » présenté par Bernard de la Villardière, les accusations sont nombreuses…

Poursuites pour « faux en écriture authentique ou publique »

Dans un communiqué, le ministère de la communication  dénonce le documentaire de M6, « L’Algérie, le pays de toutes les révoltes », de « porter un regard biaisé sur le Hirak » et d’avoir été réalisé par une équipe munie d’une « fausse autorisation de tournage », une infraction « au demeurant sévèrement sanctionnée ». « Ce précédent nous conduit à décider de ne plus autoriser M6 à opérer en Algérie, sous quelque forme que ce soit », a affirmé le ministère le lundi 21 septembre. Selon le ministère, M6 avait demandé, le 6 mars 2020, une accréditation de presse pour les membres de l’équipe de l’émission « Enquête exclusive », en vue du tournage d’un documentaire sur « la valorisation de l’essor économique et touristique de la ville d’Oran, ainsi que le multiculturalisme qui fait la richesse de notre pays ». Demande qui a reçu une suite défavorable des services des ministères de la communication et des affaires étrangères, a-t-il précisé. Il promet d’engager des poursuites contre les auteurs du reportage pour « faux en écriture authentique ou publique ». Le ministère de la communication fustige par ailleurs des « témoignages insipides », des « clichés les plus réducteurs » et « une somme d’anecdotes sans profondeur ». Il a déclaré qu’« il n’est pas fortuit que ces médias, outillés pour exécuter un agenda visant à ternir l’image de l’Algérie et à fissurer la confiance indéfectible établie entre le peuple algérien et ses institutions, agissent de concert et à différents niveaux et supports ».

>> Lire aussi : Hirak : des protagonistes du documentaire inquiétés par la police

Le contenu du reportage

Tournée discrètement durant près de deux ans en Algérie, le reportage suit d’un côté plusieurs jeunes algériens, mettant ainsi le doigt sur la situation économique, les libertés, notamment celle des femmes, le déchirement entre la modernité et la tradition, et de l’autre, la démocratie et la répression autour du Hirak en couvrant les manifestations qui  « redouble d’intensité » en France, et qui en Algérie se sont interrompues à cause de la crise sanitaire, mais « la population algérienne continue de réclamer un changement en profondeur » souligne Bernard de la Villardière. « Les 42 millions d’habitants ne veulent plus d’un régime autoritaire et corrompu qui gangrène le pays depuis l’indépendance » ajoute-t-il. Le prochain rendez-vous politique pour l’Algérie c’est le premier novembre prochain avec le référendum sur la réforme de la constitution. « Si ce référendum est adopté, il risque de cadenasser davantage encore la prolongation de ce régime autoritaire et corrompu », estime le présentateur.

>> Voir aussi : Radio Corona Internationale, « Mégaphone » du Hirak en temps de virus

L’émission revient sur le cas de Khaled Derareni, correspondant de TV5 monde en Algérie, « symbole de la résistance face à la censure du régime », qui a été condamné à deux ans de prison ferme en appel pour avoir couvert les manifestations du Hirak. « C’est un dossier vide qui a été monté contre Khaled pour le faire taire », affirme dans le reportage le Secrétaire général de RSF, Christophe Deloire Selon lui, « il n’est pas certain que la situation change, le gouvernement algérien voit dans la crise du coronavirus l’opportunité de museler encore un peu plus la liberté et de refermer au public la parenthèse de la contestation ouverte il y a près de deux ans ».

>> Lire aussi : Khaled Drareni : Des journalistes français protestent devant l’ambassade algérienne

Bernard de la Villardière évoque dans le documentaire un « régime corrompu en place depuis plus de 60 ans ». « En Algérie, un habitant sur trois vit sous le seuil de la pauvreté. Pourtant le pays est riche. Dans ses sous-sols, d’immenses réserves d’hydrocarbures, du pétrole et du gaz à profusion. Mais le problème, est que la majorité de la population n’en profite pas ». Le reportage relève que le chômage touche 20% des jeunes, « l’un des plus élevé dans le monde », dans un pays où le « piston est la règle ». « Pas de logement, pas de travail, un pouvoir corrompu, pour beaucoup d’Algériens, l’avenir paraît sombre, alors ils sont nombreux à vouloir fuir le pays », souligne t-il. « Leur rêve est que l’Algérie devienne une vraie démocratie, un Etat de droit », ajoute-t-il.

C’est le cas de Nardjes, danseuse comédienne, qui rêve d’un Etat de droit et qui souhaite mener une vie à l’occidentale sans être mal vue. De son côté, Ayoub, souhaite que l’Algérie devienne un Etat islamique, s’engageant ainsi en politique. Pour Noor, célèbre youtubeuse algérienne qui donnent des conseils de maquillage aux femmes, a  bien pris son destin en main malgré que la femme soit une « éternelle mineure » dans le pays, comme l’avait relevé le commentateur au début du reportage, vivant « sous la tutelle de son mari ».

Noor « scandalisée de la censure dont [elle] a été l’objet »

Le lendemain de la diffusion du reportage, la Youtubeuse Noor s’est offusquée dans un long post Instagram du traitement qu’a fait M6 de ses interventions, que l’on reprend ci-dessous :

« Mise au point à l’encontre des journalistes d’enquête exclusive de la chaîne M6 : je suis vraiment déçue par votre manque de professionnalisme et je regrette vraiment d’avoir participé à votre reportage. Lorsque que vous m’avez contacté, il a été question qu’on parle de l’émancipation de la femme algérienne, j’étais loin de m’imaginer que j’allais être utilisée, moi et mon mari, pour donner une mauvaise image des femmes et des hommes algériens, et de notre pays l’Algérie. Laissez moi vous dire que je suis scandalisée de la censure dont j’ai été l’objet mon mari et moi. Vous n’avez gardé que les propos qui arrangent vos mauvaises intentions. Donc je vous reprends de suite. Je ne suis pas une mineure, et encore moins une mineure à vie, c’est vous qui voulez voir les Algériennes comme des mineures à vie. Le fait que nous faisons des études supérieures, que nous travaillons à des postes à hautes responsabilités, que nous soyons indépendantes financièrement, que nous conduisons, voyageons etc vous dérange au plus haut point. Je ne comprends vraiment pas d’où vous est venue l’idée que je dois demander l’autorisation à mon mari pour mon travail ???? En dehors du mariage, mon mari est mon associé et collaborateur, donc on travaille ensemble et dans le respect. Le fait qu’il ne veut pas que je travaille avec des hommes est quelque chose de tout à fait normal, vous oubliez qu’on est des musulmans avant tout. Petite précision pour vous, mon mari a 29 ans et pas 22 ans comme dit dans votre reportage. C’est à se demander si vous étiez dans vos pleines facultés mentales ce jour là ???? Pour finir, laissez moi éclairer votre lanterne et vous dire que je suis très fière d’être musulmane, chose que j’ai dite dans votre reportage, mais que vous avez censuré, et fière d’être Algérienne, et je suis très reconnaissante envers mon pays pour tout ce qu’il a fait pour moi et je lui serai éternellement reconnaissante. Vive l’Algérie libre et indépendante même si ça déplaît à beaucoup ».

>> Lire aussi : Il y a 58 ans : La proclamation d’indépendance de l’Algérie

Malika El Kettani