« Soit on gagne, soit on gagne », Mohamed Mahrazi, membre du collectif « Liberté pour les détenus »

 « Soit on gagne, soit on gagne », Mohamed Mahrazi, membre du collectif  « Liberté pour les détenus »

Mohamed Mahrazi


Samir  Guerroudj, jeune étudiant de 22 ans, a été arrêté le 21 juin dernier à Alger en marge d’une manifestation pro-hirak (NDLR : depuis le 16 février chaque vendredi, les Algériens sont dans la rue pour exiger la fin du système actuel), seulement parce qu’il portait sur ses épaules un drapeau berbère. Loin d’être un cas isolé, Samir Guerroudj a été placé en détention provisoire 48h plus tard, avant d'être condamné par le tribunal de Sidi M’hamed le 11 novembre à un an de prison, dont six mois ferme. Il devrait sortir le mois prochain. Nous avons rencontré à Alger l’un de ses amis d’enfance, Mohamed Mahrazi, également membre du collectif "Liberté pour les détenus". 


LCDL : Racontez-nous l’arrestation de Samir. 


Mohamed Mahrazi : Ce 21 juin, comme chaque vendredi, nous étions ensemble, avec Samir et d’autres amis, à la manifestation contre le système algérien à Alger. Samir nous a quittés pour aller récupérer sa moto qu’il avait garé devant la Grande Poste. Le drapeau berbère était accroché sur ses épaules, comme on porte une cape. C’est à ce moment que des policiers l’ont arrêté, lui ont mis les menottes et l’ont embarqué dans leur fourgon. Ils ne lui avaient pas encore pris son téléphone, il a donc pu m’envoyer un sms. Quand j’ai su qu’il avait été arrêté, avec mes amis, nous sommes allés à l’hôpital. En Algérie, chaque personne arrêtée est emmenée à l’hôpital pour s’assurer que tout va bien. 


Que s’est-il passé ensuite ? 


Une fois arrivés à l’hôpital, j’ai demandé à un policier si Samir allait être libéré aujourd’hui (NDLR : le 21 juin). Le policier ne m’a pas répondu mais on a compris que si Samir passait devant le médecin légal, c’est qu’il allait être emmené devant le procureur. On est resté devant l’hôpital en soutien à notre ami. 48h après le début de sa garde à vue, le procureur le plaçait en mandat de dépôt. 


Avez-vous été surpris par l’arrestation de votre ami ? 


Un peu, oui. Déjà Samir n’a jamais fait une garde à sa vue de sa vie. On a grandi ensemble, c’est mon voisin. Samir a été l’une des premières personnes à s’être faite arrêter pour port du drapeau berbère. Après lui, il y en a eu des tas d’autres qui ont subi le même sort. L’arrestation de Samir est intervenue quelques jours après la déclaration du général Ahmed Gaïd Salah qui annoncait l'interdiction des drapeaux autres que le drapeau algérien durant les manifestations. On ne s’attendait pas à ce qu'il soit mis en prison juste pour avoir brandi un drapeau. 


Justement, pourquoi selon-vous le gouvernement algérien interdit le port du drapeau berbère dans les manifestation du Hirak ? 


Le gouvernement cherche à diviser le peuple algérien en se servant de la cause kabyle qui est une cause que je défends, bien que je ne sois pas kabyle.  Le peuple fait union ! Dans les manifestations, on crie  souvent : « kabyles, arabes, frères frères et Gad Salah est avec les traîtres ». Il n’y a pas que pour le port du drapeau berbère qu’on peut être arrêté. Des personnes ont fini au commissariat pour avoir vendu des pin's pro Hirak ou pro-berbère, d’autres pour avoir brandi une pancarte. Un monsieur a été embarqué par la police parce qu’elle avait trouvé dans son coffre 60 pancartes Pro-Hirak. 


Avez-vous des nouvelles de Samir ? Comment va-t-il ? 


Non, je n’ai pas pu avoir des nouvelles de lui. Nous n’avons pas le droit de le visiter en prison.  Je l’ai juste entraperçu au tribunal. Il a beaucoup maigri. 


Ce 11 novembre, vous étiez donc à son procès. Racontez-nous…


Il y avait énormément de monde. Beaucoup de soutien et ceci est une bonne chose, la preuve que nous sommes déterminés à ne rien lâcher. Le procès a été interminable. Ce fut un simulacre de procès ! Le verdict a été rendu le 12 novembre à 2h du matin. Etre condamné à un an de prison pour un drapeau, c’est inadmissible ! 


Vous dites aussi que le tribunal de Sidi M’hamed est un tribunal d’exception ? 


Effectivement. Pour les mêmes faits, le tribunal de Bab El Oued, situé à quelques kilomètres, a relaxé d’autres accusés. Et dans d’autres villes, la justice a été « clémente » avec ceux qui ont osé s’afficher avec un drapeau berbère. C’est à n’y rien comprendre. 


Est-ce que vous rêvez de venir vivre  en France ? 


Non, pas du tout. Je reste dans mon pays. Je reste ici pour me battre pour une Algérie libre et indépendante.


Que pensez-vous du silence du gouvernement français ?


Il n’y a pas que le gouvernement français qui ne dit rien. Tous les autres gouvernements se taisent ! Ils ne disent rien parce qu’ils soutiennent le système algérien. Parce qu'il y a des intérêts économiques et personnels.


Irez-vous voter le 12 décembre ?


Bien sûr que non. Et j’appelle les Algériens à boycotter ces élections qui n’ont qu’un seul objectif : le maintien d’un régime responsable des malheurs du pays. 


Le Hirak en est à sa 39e semaine de protestation et le pouvoir algérien semble ne rien lâcher…


On a déjà remporté quelques victoires, même si on aimerait qu’ils partent tous ! Vous savez : on ira au bout. On ne peut pas faire marche arrière. Soit on gagne, soit on gagne. 

Nadir Dendoune