T’vas voir ta gueule à la récré

 T’vas voir ta gueule à la récré

crédit photo : F. Ferville pour Le Courrier de l’Atlas


L’écrivain Mabrouck Rachedi croque l’actualité. Ce mois-ci, l’auteur de “Toutes les couleurs de mon drapeau” évoquela légitimation de la violence par des personnalités publiques.


Après leur mémorable règlement de comptes à coups de jets de parfum dans un aéroport, le rappeur Booba défie son meilleur ennemi Kaaris dans un combat de MMA (mélange d’arts martiaux et de boxe pratiqué dans une cage appelée l’octogone). Le lendemain, l’animateur Cyril Hanouna lance le même challenge à Alain Chabat, Yann Barthès et JoeyStarr. Les chaînes d’information en continu représentent quotidiennement la violence avec des images en boucle, comme le passage à tabac d’un policier à terre par Christophe Dettinger, ancien boxeur, pendant la manifestation des “gilets jaunes”. Booba, Kaaris, Hanouna vont plus loin : ils la mettent en scène sous forme de duels.


 


Loin des duels d’Alexandre Dumas


Le duel était une forme de règlement des conflits. Le dernier duel judiciaire autorisé par un roi de France eut lieu le 10 juillet 1547. Il est connu sous le nom de “coup de Jarnac” et a donné son nom à l’expression synonyme de coup tordu. Les duels ont malgré tout subsisté jusqu’au XIXe siècle, provoquant la mort d’aristocrates qui plaçaient la réparation de leur honneur dans leurs épées plutôt que dans les tribunaux. C’est même devenu une mode alimentée par les romans de cape et d’épée, comme Les Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas et Le Capitaine Fracasse de Théophile Gautier. Des milliers de nobles, qui n’en portaient que le titre, sont morts dans ces combats que le génial réalisateur Stanley Kubrick a décrits dans Barry Lyndon. L’épilogue du film les renvoie à leur ridicule : “C’est sous le règne de George III que les personnages susmentionnés ont vécu et se sont disputés : bons ou mauvais, beaux ou laids, riches ou pauvres, ils sont tous égaux maintenant.” Aujourd’hui, il n’est plus question d’être égaux dans la mort pour l’honneur. Il s’agit de faire le buzz pour annoncer une bagarre de cour de récré à laquelle on veut donner de la publicité. Les réseaux sociaux et la télévision servent de tribunes à ces guéguerres. Booba déclame une drôle de poésie urbaine sur Instagram avec le hashtag #jtebaisepourungrec : il décline la bourse de 1 million d’euros proposée par son adversaire Kaaris pour “un grec sans frites sauce samouraï supplément merguez pain pita salade tomate oignons” (sic).


 


Des clashs au moment de la sortie des albums…


On pourrait en rire si les belligérants (que l’on devrait appeler “bêligérants”, car ils bêlent comme des moutons) n’étaient pas si populaires auprès des jeunes. Ces joutes sont commentées, disséquées, relayées par les fans de la #TeamBooba ou de la #TeamBaba (“Baba” est le surnom d’Hanouna) qui lancent les paris. On est au-delà de la représentation de la violence, on la produit, on la légitime, on la valorise. Si ces quadragénaires, pères de famille, soldent leurs différends par des menaces et des coups, pourquoi pas eux ?


Le lendemain du défi d’Hanouna lancé à Yann Barthès, Touche pas à mon poste dépasse Quotidien. Les clashs entre rappeurs interviennent comme par hasard à l’occasion de la sortie de leurs nouveaux opus. En 1996, Lunatic chantait cette ode à la vénalité : “Tu m’connais, j’suis assez bestial pour de la monnaie et n’aimant que manier l’acier pour des billets.” L’un des deux chanteurs du groupe s’appelait Booba. Le titre du morceau ? Le crime paie. La violence aussi.

Mabrouck Rachedi