Saïd Hamich : « Je veux faire du cinéma de « bourgeois » de banlieue »

 Saïd Hamich : « Je veux faire du cinéma de « bourgeois » de banlieue »

Crédit Pyramide Distribution


Ce producteur franco-marocain de cinéma (notamment de “Much Loved” de Nabil Ayouch) présente son premier film en tant que réalisateur : “Retour à Bollène”. L’histoire de Nassim, expatrié à Abou Dhabi, qui revient visiter sa famille auquel il se confronte, dans sa ville natale dirigée par l’extrême droite. 


Votre premier métier est la production. Qu’est-ce qui vous a poussé à réaliser ce premier film, “Retour à Bollène” ?


J’ai écrit cette histoire très vite, par nécessité, par urgence, comme un cri. Car je ressentais un manque : je ne me reconnaissais pas dans le traitement de la banlieue ni de la communauté maghrébine dans le cinéma français actuel. Je voulais rattacher ces personnages à une question intime et sociale. Au contraire de cette représentation dominante où les Maghrébins sont stigmatisés sur un aspect purement racial ou religieux, où l’on enlève leur historicité. Et la banlieue n’est souvent qu’un réceptacle à spectacle, un lieu d’action avec des voitures brûlées, du trafic de drogues, des tours graphiques, des jeunes qui débitent des “punchlines”… Il n’y a pas de mise en perspective. Moi je veux faire du cinéma de “bourgeois” en banlieue, un cinéma de la parole, avec une réflexion. Sortir de la cité ne peut pas être un discours, c’est un fait. Je me suis intéressé à ce mal-être de la deuxième génération d’immigrés : comment se construire une identité quand on vient des quartiers, qu’on est issu d’une famille maghrébine, d’un milieu prolétaire, en proie à l’exclusion ?


 


Votre personnage principal, Nassim, a quitté la France pour les Emirats Arabes Unis. Un phénomène actuel grandissant ?


Je me rends souvent dans des festivals de cinéma dans les pays du Golfe. J’y rencontre beaucoup de jeunes Français d’origine maghrébine qui s’y installent. Cantonnés en France à leur statut de Maghrébin, ils trouvent là un contexte international où ils sont considérés en tant qu’expatriés comme les autres. Leur “arabité” et leur “francité” sont reconnues et sont même valorisées dans le travail. C’est dommage pour la France, car je suis persuadé que ceux qui partent pourraient apporter beaucoup au pays. C’est terrible d’un point de vue politique, historique, car ils partent avec de l’amertume. Comme dans certains quartiers où des jeunes ne se sentent pas français, et ont même de la défiance vis-à-vis de cette identité… C’est la preuve d’une cassure qu’il faut réparer, avec des politiques très fortes. Mais ça ne va pas dans le bon sens aujourd’hui. Les jeunes de banlieue se sentent abandonnés, et ne sont pas soutenus par l’Etat.


 


L’histoire se déroule à Bollène (Vaucluse), ville du sud-est de la France dirigée par la Ligue du Sud, parti d’extrême droite. Pourquoi ce choix ?


Parce que j’y ai vécu, quand je suis arrivé du Maroc. Je la connais en profondeur. Adolescent, sa violence sociale me révoltait, elle m’a éprouvé, je l’ai fuie. Elle n’a ni la chaleur d’un village, ni la liberté d’une grande ville. C’est une ville morne, vide, avec des longues routes propres, des ronds-points parfaits. Pour parler du social, de l’héritage, de quelle manière un espace nous travaille intimement, elle est très représentative. Je ne voulais pas une ville déclassée, où tout est cassé. La banlieue n’a pas juste une valeur géographique, les lieux ont une âme, portent une idéologie, inspirent une réflexion. Pour moi le délabrement ultime c’est le vide, la solitude des habitants, l’absence de vivre ensemble. Comment est-ce possible que les Français d’origine maghrébine soient si peu intégrés en France ? Ils vivent dans des tours, tandis que le reste de la population habite dans des pavillons. Il y a beaucoup de chômage, d’analphabétisme. La mairie n’a aucune politique de cohésion sociale, elle axe tout sur la propreté et la sécurité, et alloue un budget monstrueux à la police municipale. C’est hallucinant, ils ont de ces véhicules, c’est le “Far West” ! Pendant le tournage, les policiers arrêtaient les jeunes badauds, contrôlaient leurs papiers.


 


Quand il revient, votre personnage se confronte à sa famille, qui lui inspire la honte…


Au début, il méprise sa propre classe. Il rejette la pauvreté, le manque d’éducation, de culture de son milieu. Cette reproduction sociale qu’il aurait subie s’il était resté : être “un Arabe de Bollène” comme il dit, il sait que c’est un déclassement. Nassim revient avec une armure qui se fissure peu à peu, des attributs extérieurs : son costume cravate, sa femme blonde américaine, son 4×4… Il croit qu’il s’est élevé par rapport à sa famille, mais il y est rattaché. On ne peut pas juste gagner plus d’argent et sortir de son milieu : c’est aussi une identité, une manière d’être. Son environnement, ses racines le constituent. Il pense s’être forgé en s’échappant de ses proches, mais dans cette opposition, il y a une identification. Son histoire de transfuge social l’a mis en sécurité du besoin matériel, mais pour se construire, il faut qu’il soit en paix avec son identité de Maghrébin de France, fils d’agriculteur, venant d’une cité… Il y a ce rapport symétrique avec son père qui a quitté le Maroc pour trouver une vie meilleure en France. Lui a quitté la France pour Abou Dabi. Le père ne parle pas bien français, Nassim veut purger cette malédiction de la langue et il parle même anglais… Je l’imagine travaillant au sommet d’un gratte-ciel, alors que son père agriculteur a la tête dans le sol.


 


Tout au long du film, les personnages parlent de leur père absent, qui n’apparaît qu’à la fin. Pourquoi ce choix narratif ?


Je déconstruis le mythe de cette figure paternelle : au final, on découvre un pauvre monsieur qui travaille la terre. Nassim reproche à son père ce qu’il est lui-même devenu : insensible, avec cette incapacité à communiquer, donner de l’amour. Il a cette même vision de la vie : le travail, c’est le plus important. Le père appartient à cette génération qui ne pensait qu’au travail, et ne se posait pas la question du bonheur. Issus des régions agricoles du Maroc, mon père et mon oncle, comme beaucoup de Marocains, ont migré pour travailler dans des fermes et des champs du sud-est de la France. Et le travail d’intégration n’a pas été fait : tous parqués dans des cités, consacrés à une vie de labeur, leurs familles et leurs enfants sont restés entre eux… 


Voir aussi : 


Retour à Bollène, spleen sans frontières


 

La rédaction du Courrier de l'Atlas