Diabète : les femmes maghrébines plus touchées que les françaises

 Diabète : les femmes maghrébines plus touchées que les françaises

Dr Rym Kefi (crédit photo Archives personnelles de Rym Kefi)

Une personne meurt du diabète toutes les 8 secondes, soit plus que le sida, la tuberculose et la malaria ! Selon une étude, les Maghrébines immigrées en France seraient 2,5 fois plus exposées que les femmes nées en France. Auteure de plus de 80 publications, la généticienne, Dr Rym Kefi est maître de conférences à l’Institut Pasteur de Tunis et chef d’équipe au Laboratoire de Génomique Biomédicale et Oncogénétique. La lauréate du forum Next Einstein 2017 revient pour nous sur cette maladie, ses causes et ses conséquences.

463 millions de personnes dans le monde, dont 3,3 millions en France seraient atteintes de diabète. Soit une personne sur 11 dans le monde ! Et cela risque d’empirer. On risque d’avoisiner les 700 millions en 2045. Selon nos gênes et modes de vie, nous ne sommes pas égaux face à cette maladie chronique. L’Afrique risque d’être la région la plus touchée au monde dans l’avenir avec 41 millions de diabétiques en 2045. Les pays arabes sont à un taux élevé de 20% de diabétiques.

En cause : une alimentation pas assez équilibrée, un manque d’activité physique, une sédentarisation plus accrue et une absence de diagnostic (un diabétique sur 2 l’ignore). Pour en saisir le phénomène, nous avons interrogé le Dr Rym Kefi.

LCDA : Comment définissez vous le diabète ?

Dr Rym Kefi : Cette maladie multifactorielle se caractérise par une hyperglycémie chronique, c’est à dire un taux élevé du sucre (glucose) dans le sang. Un sujet est considéré comme atteint du diabète, quand sa glycémie à jeun est supérieure à 1,26 g/l de sang mais aussi avec d’autres critères comme le sucre après une prise de repas ou celui stocké dans le sang depuis 3 mois.

LCDA : on parle de différents types de diabète..

Dr Rym Kefi : En effet, il en existe plusieurs :  celui de type 1, de type 2, le diabète gestationnel et enfin les formes atypiques. La forme la plus dominante est celui de type 2, près de 90% de la population diabétique. Il s’agit de personnes qui développent un défaut de sécrétion de l’insuline (hormone fabriquée par le pancréas et qui permet de réguler le sucre dans le sang, ndlr). Le diabète ne nait pas comme ça. Il provient d’un régime alimentaire malsain pendant 10 à 15 ans. Pour celui de type 1, il s’agit d’une maladie auto-immune. Ca concerne souvent des enfants ou des adolescents qui possèdent des anticorps qui contrent les cellules de l’insuline. Le diabète gestationnel apparaît, pour sa part, pendant les grossesses. Il peut disparaitre ou persister après l’accouchement. Cela dépend des antécédents familiaux de diabète. Enfin, les diabètes atypiques comme les mutations de gènes sont ceux sur lesquels je mène de nombreuses recherches.

LCDA : Comment peut on réguler le taux d’insuline dans le sang ?

Dr Rym Kefi : Pour le diabète de type 2, il faut insister ici sur le dépistage précoce. On peut « réparer » ce problème par un bon régime alimentaire et un style de vie avec une activité physique régulière. Le but est de « brûler » le sucre dans le sang et le transformer en énergie par les muscles et les organes. Le sucre non consommé est toxique. Il peut y avoir des médicaments sinon on est obligé d’administrer de l’insuline par injection.

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LCDA : D’où vient cet état d’hyperglycémie dans le sang ?

Dr Rym Kefi : Il y a bien sûr le sucre blanc que l’on consomme mais aussi celui présent dans les gâteaux, les sodas ou dans les céréales. Il faut ajouter l’amidon qui se trouvent dans les pâtes ou le pain. Il faut avoir un régime alimentaire sain, c’est à dire avec des légumes et des fruits de manière modérée. Une orange avec des fibres est plus efficace qu’un jus de fruits plein de sucre. Les fibres aident à développer la flore intestinale et à absorber l’excès de sucre.

LCDA : Une étude avait montré que les femmes étaient plus atteintes de diabète que les hommes. Pourquoi ?

Dr Rym Kefi : On peut l’expliquer par le métabolisme notamment en terme hormonal. Il y a souvent une transmission maternelle. Toutefois, le diabète est dorénavant partout. On peut parler d’une pandémie.

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LCDA : Toujours selon la même étude, les femmes originaires du Maghreb ont une prévalence 2,5 fois plus élevée que celles de France. Y a t il une raison génétique à cette différence ?

Dr Rym Kefi : Elle intervient à coup sûr dans cette maladie. Ceux qui ont des antécédents familiaux sont plus à risques. La structure génétique est très différente selon les ethnies. Durant ma thèse, j’ai montré que les populations d’Afrique du Nord ont une structure génétique très particulière, en « mosaïque ». Cela témoigne d’un grand brassage dû aux différentes civilisations depuis la préhistoire. Il y a des composantes nord-africaines, africaines et eurasiennes. Cette diversité nous entraîne à pousser nos recherches pour adapter des traitements personnalisés.

LCDA : Il en va de même avec les conditions de vies…

Dr Rym Kefi : Oui, l’environnement social (style de vie, stress, tabagisme, comportement alimentaire) joue un rôle. Il faut tenir compte de ces facteurs. Le niveau socio-économique conditionne la qualité de l’alimentation et par voie de conséquence, de la possibilité ou pas d’avoir un diabète.

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LCDA : Est ce que l’obésité rime toujours avec le diabète ?

Dr Rym Kefi : Pour les diabétiques, l’obésité est un facteur de risque, comme pour toutes les maladies métaboliques (hypertension, maladies cardiovasculaires, etc.). Elle va entrainer une résistance à l’insuline. Sauf que lorsqu’on est diabétique, on va avoir une perte de poids sous l’action de l’insuline et des médicaments. On peut voir un diabétique maigre mais avant d’avoir son diabète, il a pu être obèse.

LCDA : Quelles sont les conséquences du diabète sur l’organisme ?

Dr Rym Kefi : L’excédent de sucre dans le sang va circuler dans le sang. Cette toxicité va se voir dans les petits vaisseaux sanguins. On peut avoir des rétinopathies, des glaucomes ou de la cataracte au niveau des yeux ou des nephropathies (insuffisance rénale) au niveau des reins. Cela peut toucher le cerveau aussi, le coeur et enfin les membres inférieures (gangrène, amputations)

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LCDA : Le monde arabe est plus touché qu’ailleurs…

Dr Rym Kefi : Dans le Maghreb, on parle de taux de 7 à 10%, selon l’OMS. Toutefois, ces chiffres sont sous-estimés. Selon une récente étude qui n’a pas encore été publiée, on parle d’un taux de 22% pour la Tunisie. Cela me parait plus réaliste. Même l’OMS indique que près de 45% des cas de diabète ne sont pas encore diagnostiqués. Dans les pays du Golfe, le taux de mortalité est important pour cette maladie. On peut parler d’une transition épidémiologique. En dehors du Covid19, on a  de moins en moins de maladies infectieuses mais plus de maladies non transmissibles. C’est le cas des maladies cardio vasculaires, diabète, etc. C’est lié à notre style de vie qui a changé. L’alimentation est plus grasse et plus sucrée avec des boissons gazeuses par exemple. La sédentarité pousse aussi à l’utilisation de la voiture plus souvent. Cela perturbe le métabolisme de notre organisme.

LCDA : Quelles sont les solutions pour éviter le diabète ?

Dr Rym Kefi : Nous menons régulièrement des campagnes de dépistage du diabète. Ca peut se faire dans les marchés ou les grandes surfaces. On découvre des personnes souvent par cet intermédiaire. De nombreuses personnes ne savent pas qu’elles ont le diabète. C’est important d’avoir un dépistage précoce car on a une meilleure prise en charge sans aller dans les complications. Les messages dans les publicités sont importants. Il faut agir sur les industriels pour diminuer le taux de sucre dans les produits. Le sucre peut être présent même dans des produits salés. Enfin, l’activité physique régulière est très importante. Il faut rééduquer nos enfants à avoir des aliments sains. On observe qu’il y a de plus en plus de jeunes qui ont des formes atypiques de diabète. Avec des bio marqueurs sur lesquels nous travaillons, on essaie de trouver des moyens de prévenir cette maladie.

Yassir Guelzim

Yassir GUELZIM

Journaliste Print et web au Courrier de l'Atlas depuis 2017. Réalisateur de documentaires pour France 5.