Idriss Aberkane : « Il faut pirater l’éducation »

 Idriss Aberkane : « Il faut pirater l’éducation »

Crédit photo : Julien Faure


Enseignant, essayiste, spécialiste de l’ergonomie et des neurosciences, mais également célèbre agitateur de conscience, l’auteur de “Libérez votre cerveau !” pointe les défaillances du système éducatif français et prône une école 2.0, libérée, ludique et innovante.


“Libérez votre cerveau !” Cela sonne comme une ­délivrance nécessaire. Par quoi ce dernier serait-il “occupé” exactement ?


Il est rempli de dogmes, de formatage, de confor­mité… Cela endommage une chose essentielle chez l’homme : la volition, c’est-à-dire la volonté et, pire encore, cela détruit la passion. Tout cela commence dès l’entrée à l’école. Nous avons en France un ensei­gnement très figé, qui s’évertue à vouloir prendre le contrôle et à définir l’élève. Or ce devrait être à l’école de s’adapter à l’enfant et non l’inverse ! Au lieu de cela, on l’empêche d’être lui-même, de s’épanouir, de développer librement sa créativité… Les conséquences de ce type d’apprentissage, sans plaisir ni autonomie, se font sentir toute la vie. Le jeune évolue de l’école au monde professionnel de la même façon : frustré, stressé, tête baissée…


 


Vous consacrez tout un chapitre au besoin impérieux de révolutionner l’école. Pourquoi est-il devenu si urgent d’engager une vraie grande réforme ?


C’est avant tout une question de perspective et de posture. Avant de penser “réforme scolaire”, il serait peut-être judicieux de commencer par se demander ce qu’on pourrait sauver chez l’élève ! C’est lui le principal intéressé dans cette affaire. En France, l’école est une exception culturelle – et cela est certainement dû à son grand réformateur, Jules Ferry, qui, malgré de bonnes intentions d’instruction, de laïcité et de gratuité pour tous, en a fait un instrument de pouvoir politique, emprunt de colonialisme. Face à l’autorité coercitive de l’école, l’enfant doit obéir et ne peut choisir de porter son enthousiasme vers ce qui le motive : cela tue sa soif naturelle de connaissance. Au lieu d’encourager l’élève à s’émanciper, l’école s’érige en statue colossale fixée sur un socle inébranlable qui lui assène sans relâche : “Passe tes diplômes d’abord !” Et sous la menace d’être sanctionné s’il échoue, en plus ! Tout le monde en a fait le constat aujourd’hui : nous sommes entrés dans le XXIe siècle avec un système qui date du XIXe ! Il faut pirater l’éducation ! Plus qu’une simple mise à jour, une “mini Perestroïka” est devenue capitale. La mission est de taille mais des solutions existent et, techniquement, c’est possible…


 


Mais comment faire bouger les lignes concrètement ? L’émergence des pédagogies actives, en parallèle de l’école traditionnelle, reste minoritaire…


C’est précisément en abandonnant cette idée de poli­tisation de l’école, et en se consacrant pleinement à l’intérêt de l’enfant, qu’on pourra changer les choses. Car le système scolaire mis en place depuis près de cent cinquante ans a oublié que l’enfant, comme tous les petits mammifères, est régi par des lois naturelles. Il stimule sa curiosité en jouant et pour apprendre, il essaie, échoue, recommence… Le jeu est la façon naturelle d’accéder au savoir. L’erreur est positive en soi, c’est une étape de progression. Elle devrait être glorifiée, or l’école punit l’échec par une mauvaise note ! C’est vrai, les pédagogies alternatives (voir l’encadré page ci-contre) existent depuis longtemps et ça n’est pas un hasard. Freinet, Montessori, Steiner… Elles vont toutes dans le bon sens de l’autonomie et de l’épanouissement. Certains professeurs tentent de les intégrer dans leur programme classique, seulement, dès qu’on sort des sentiers battus pour transmettre le plaisir de l’école, c’est souvent mal vu. Ces projets ne sont jamais subventionnés, c’est pour cela qu’on les croit, à tort, élitistes.


 


Quelles solutions alors ?


L’école doit d’abord abolir ce principe de verticalité qui n’inclut pas activement l’élève. Il faut remettre l’enfant au cœur du process, comme c’est le cas en Suisse, en Finlande, au Danemark, en Allemagne… Voyez chez nous la pyramide de l’Education nationale : il y a un ministre, un recteur, un programme unique, un proviseur, un professeur… et l’élève, en fin de chaînon qui n’a pas voix au chapitre ! Il faut redonner du crédit aux profs, favoriser le mentorat et le dialogue. Il est temps que l’école sorte de ce repli sur soi et ­regarde la société telle qu’elle est devenue, c’est-à-dire un monde en réseau évolutif, ouvert, horizontal, qui partage et délègue. L’école pourrait être un outil fabuleux pour changer le monde, et ce sont les élèves d’aujourd’hui qui feront la société de demain…


 


Quelle serait donc l’école idéale de demain selon vous ?


Ce serait une école qui s’inspirerait directement du modèle de la bottega de la Renaissance, ces ateliers collaboratifs ­révolutionnaires, où des maîtres transmettaient leur savoir à de jeunes artistes, où les talents étaient encouragés. Ils étaient ni plus ni moins les ­ancêtres des FabLab et du coworking d’aujourd’hui : la stimulation par la créativité en groupe. Les méthodes agiles (qui ont pour but de placer l’individu au centre de la réalisation d’un projet, ndlr) font leurs preuves, les principes ergonomiques et les neurosciences également. L’éducation devrait suivre cette voie. Il est difficile de prédire quelle sera l’école de demain, mais la notion d’apprentissage commence à changer. Le succès de l’Ecole 42 à Paris (établissement en autoformation ouvert aux jeunes sans diplômes, ndlr) le prouve. Cela prendra du temps, nous connaîtrons sans doute un grand nombre de transitions, mais c’est possible. 


 


A L’ÉCOLE DE LA RESPONSABILITÉ


Passionné par les pédagogies de l’unschooling (l’apprentissage libre), Ramïn Farhangi, 33 ans, ex-professeur de mathématiques et de sciences physiques, a créé, en 2015, à Paris, une école “démocratique”, où il n’y a ni programme ni emploi du temps ni classe d’âge (elle accueille des élèves de 3 à 19 ans). Son nom : l’Ecole Dynamique. Ici, l’enfant fait ce qu’il veut et ce qu’il aime : il suit son rythme naturel d’apprentissage, sans hiérarchisation des savoirs, ni devoirs ni évaluations. Un seul mot d’ordre : la responsabilité de soi. A l’ère de la révolution numérique, cette école alternative se veut en phase avec la société, en outillant les jeunes dans le développement de leur sens créatif, via un apprentissage sans contraintes. Si le projet de Ramïn Farhangi peut sembler un tantinet “libertaire” pour l’ancienne école, il offre un renouveau digne d’intérêt dans le paysage éducatif français. Cette école hors contrat – reconnue par l’Education nationale mais non subventionnée par l’Etat – s’inspire directement de la Sudbury Valley School, fondée en 1969 aux Etats-Unis. A ce jour, on recense 40 autres écoles de ce type dans le monde.


LIBÉREZ VOTRE CERVEAU ! TRAITÉ DE NEUROSAGESSE POUR CHANGER L’ÉCOLE ET LA SOCIÉTÉ, Idriss Aberkane, Editions Robert Laffont (octobre 2016), 288 p., 20 €.


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MAGAZINE SEPTEMBRE 2017

Alexandra Martin