Vivons heureux, vivons discrets

 Vivons heureux, vivons discrets

crédit photo : Oleg Chumakov/AFP


Foyer monoparental ou recomposé, couple vivant sous le même toit sans être marié, épouse plus âgée que son mari… Ces pratiques nouvelles demeurent minoritaires chez les Franco-Maghrébins, mais elles existent néanmoins. Des personnes qui ont “transgressé” les normes témoignent. 


“Les descendants d’immigrés mettent en œuvre des comportements conjugaux marqués par des considérations morales que la majorité des jeunes couples français ont progressivement abandonnés”, constatent les sociologues Beate Collet et Emmanuelle Santelli. Ainsi, ils gardent secrètes les relations amoureuses jusqu’à la décision d’officialiser la relation par un mariage, lequel demeure une institution très importante. “Certains parviennent à contourner cette règle, mais pour la majorité d’entre eux, la vie conjugale ne commence qu’après les noces. Le concubinage est mal vu par les parents, mais l’éloignement lié au travail ou aux études permet de dissimuler des cohabitations conjugales”, poursuivent les auteures de Couples d’ici, parents d’ailleurs, paru en 2012 aux Presses universitaires de France.


 


Pas mariés, pas divorcés, mixtes…


Le pacte civil de solidarité (Pacs) ne semble pas une forme d’union prisée et concevoir un enfant hors ­mariage n’est pas courant… sauf pour celles et ceux qui ont fait le choix d’un partenaire non issu de leur groupe ethnoculturel. “Si je m’étais installée avec un homme arabe ou musulman, j’aurais eu plus de mal à admettre l’idée de faire un enfant sans passer devant monsieur le maire. Je pense que je n’aurais pas supporté le regard de sa famille sur cette situation. La mienne ? J’ai réussi à lui ­imposer mon choix. A l’approche de la quarantaine, elle était heureuse que je devienne mère, peu importe les ­circonstances”, plaisante Malika, directrice administrative, tout en avouant qu’elle aimerait tout de même que son partenaire, après plus de quinze ans de vie commune, la demande en mariage…


Les sociologues confirment : “Former un couple mixte transforme le processus conjugal. Le couple vivra plus facilement en concubinage, parfois à l’insu des parents.” Ils supporteront aussi plus facilement de transgresser certaines normes admises. “Mon épouse a six ans de plus que moi, mais franchement, cette différence n’a jamais posé de soucis à notre entourage”, confie Mourad, 40 ans et heureux en ménage. Hind, elle, a fait le choix d’avoir un enfant avec un homme marié qui n’envisage pas forcément de divorcer et de s’installer avec elle. “Au début, je nourrissais cet espoir, mais du moment qu’il reconnaît notre fille et qu’il accomplit à sa manière son devoir de père, je m’en accommode. Mes parents n’ont pas sauté de joie quand je leur ai annoncé, mais le plus important n’est-il pas qu’ils adorent ma fille, qui passe régulièrement les vacances scolaires chez eux ?” interroge-t-elle.


Samia, qui vit avec une autre femme, est tombée enceinte grâce à un don de sperme anonyme. Sa grossesse, elle l’a cachée à sa famille. Pour éviter tout jugement moral, elle se fait passer pour une mère célibataire qui a fait le choix de l’adoption. “Peu de personnes sont au courant de tout cela. Je suis assez discrète, mais j’assume parfaitement, car je songe à avoir un deuxième enfant en procédant exactement de la même façon”, poursuit-elle.


 


Ne pas trop “ébruiter la situation”


Mais toutes les situations familiales atypiques ne sont pas vouées à n’exister que dans la clandestinité. “Certains parents maghrébins sont assez ouverts quant aux choix de leurs enfants. Ils conçoivent qu’ils adoptent les modes de vie de la majorité des Français. C’est notamment le cas de ceux qui ont eux-mêmes refait leur vie après des séparations ou qui ont eux-mêmes connu des règles familiales qu’ils ont jugées restrictives. Ils acceptent le choix de leurs enfants, souhaitant avant tout leur bonheur, et tentent uniquement de ne pas trop ‘ébruiter’ la situation”, concluent Beate Collet et Emmanuelle Santelli.


TEMOIGNAGE : RAJA, 39 ans : "J'ai vécu 3 vies maritales sans être mariée"


“Lorsque j’étais petite, le mariage ne me faisait pas rêver. J’assistais à des noces en Tunisie, d’où je suis originaire, en détestant tout ce monde, cette foule, ce maquillage outrancier… J’avais l’impression d’une sorte d’usine à mariage avec toujours la même tête sortie de chez le coiffeur, ou presque. Je sentais aussi la pression à l’approche du ‘grand jour’. A part la musique et les chants, qui étaient traditionnels et humains – et les boissons gazeuses à volonté ! – ça ne m’amusait pas.


En France, même ‘son de cloches’, si je puis dire, avec ces mariées qui ressemblent à des meringues et cette vaste opération de marketing à mener à bien. Et l’amour dans tout ça ? Bien sûr que les mariages heureux et sincères existent, mais, pour moi, ce n’était pas un passage obligé. Mais il n’y a pas que moi…


Comment ai-je pu vivre trois vies maritales sans être mariée, alors que je viens de Djerba, une île où même l’idée d’un mariage avec un non-Djerbien est souvent mal considérée ? Cette liberté d’être et de penser, je la dois en grande partie à ma mère, qui a divorcé de mon père – un choix qu’elle a dû assumer face au poids des traditions. Alors que ma grand-mère, elle, avait été mariée de force à l’âge de 13 ans à un vieil homme. La progression de cette liberté est abyssale en deux générations. Toutefois, par pudeur, en Tunisie, elle disait ‘le mari de ma fille’, et on ne lui posait pas plus de questions, imaginant un de ces mariages discrets permis par la modernité. Certaines de mes cousines passaient par bien des états pour faire accepter un compagnon. La plupart cachaient les choses. J’ai épousé mon premier mari par plaisir, après des années de vie en commun, le temps d’inventer un mariage qui nous ressemble, et la fête était belle. Mairie uniquement. Mais ensuite, je ne me suis plus posé la question du mariage, j’avais l’impression d’avoir coché la case d’une expérience à vivre, mais non-essentielle. J’ai un enfant, et je lui laisserai le choix de la circoncision plus tard, parce qu’il s’agit aussi d’une autre question d’alliance éternelle à mûrir.”


LA SUITE DU DOSSIER DU COURRIER : FAMILLES D'AUJOURD'HUI


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Familles d’aujourd’hui


MAGAZINE JUILLET-AOUT 2017

Fadwa Miadi