Edito. Les ennemis de Dieu

 Edito. Les ennemis de Dieu

Exécution publique de Majidreza Rahnavard, le 12 décembre 2022, dans la ville de Mashhad, la deuxième peine capitale liée à près de trois mois de manifestations. MIZAN NEWS / AFP

Pendu haut et court par une corde attachée à une poutrelle de grue l’Iranien Majidreza Rahnavard qui avait 23 ans, a été condamné à mort pour « inimitié envers Dieu ».

 

Ce n’est pas la première pendaison qui a eu lieu avec le même chef d’inculpation : « inimitié envers Dieu ». Brandir un slogan aussi fort et aussi hypocrite n’a qu’un sens : les mollahs ont peur. La violence de la répression qu’ils exercent contre la révolte du pays n’a qu’une explication : la théocratie se rend compte que des décennies de propagande d’un régime aux abois ont bien de la peine à étouffer les mouvements de protestation contre le régime.

Surtout que la jeunesse qui joue au chat et à la souris avec les matons de l’exécutif a bien compris qu’une guerre d’usure se gagne par des petites apparitions impromptues, par des slogans, des vidéos postées sur les réseaux sociaux qui s’amplifient depuis la mort, aux mains de la police des mœurs, d’une jeune femme de 22 ans, le 16 septembre : Mahsa Amini qui avait été embarquée au poste pour un « foulard islamique mal porté ». Une mort qui a mobilisé d’abord les Iraniennes des villes contre le port du foulard obligatoire, symbole du patriarcat islamique avant de s’étendre à toute la population. 

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L’escalade, emprisonnements, kidnappings, « disparitions », tortures, viols, tabassages ne présagent rien de bon pour l’avenir de la théocratie mais la répression des administrés malgré sa sauvagerie ne viendra pas à bout des contestations parce que la mort de Mahsa Amini a juste servi de détonateur à une contestation antirégime, certes, mais qui dépasse aujourd’hui le politique et le social. Car le régime iranien n’a rien à voir avec une dictature classique, et les revendications n’ont rien à voir avec les exigences d’une population excédée par la misère et le manque d’horizons. 

Cela va bien au-delà et si les mollahs tuent désormais au nom de Dieu, argument majeur, indépassable, c’est qu’ils ont perdu toute légitimité, à commencer par une légitimité religieuse revendiquée dès le départ. Et c’est là où le bât blesse, les ayatollahs ont beau dénoncer l’influence de l’Occident pervers, ils ont beau montrer du doigt Le Grand Satan américain avec ses homosexuels patentés, ses femmes dénudées et dévergondées, plus personne en Iran ne semble croire sérieusement à l’influence concrète d’un Occident sur les mœurs des Iraniens et surtout des Iraniennes. 

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C’est la conséquence directe d’un double discours qui mêle perpétuellement le statut de la femme et la liberté des mœurs, pour ne pas dire la liberté des corps. Le corps de la femme est au cœur de la théocratie islamique : il est d’autant plus la marque du contrôle social exercé par le pouvoir clérical que ce même corps est tantôt l’exutoire permis et encouragé du guerrier barbu (en Iran, le mariage de jouissance, une forme de prostitution légale est non seulement toléré mais en plein essor) tantôt il est le réceptacle de l’honneur de l’homme, qu’il soit frère, mari ou père.

C’est pour cela que les mollahs ont trouvé que la revendication portée par les Iraniennes – maîtrise de leur corps, égalité entre les sexes était quasiment insupportable. Les Iraniennes qui exigent une liberté « à l’occidentale » au péril de leur vie, cherchent-elles vraiment à vivre une liberté sans conditions comme dans les démocraties libérales ? Rien n’est moins sûr, mais le régime des mollahs a besoin de jeter l’anathème sur les femmes pour embarquer dans sa guerre les hommes qui n’ont pas encore dit leur dernier mot.

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“Chaque fois que, dans un autobus, un corps féminin frôle un corps masculin, une secousse fait vaciller l’édifice de notre révolution”, déclarait l’ayatollah Khomeini après avoir renversé le shah. Pourtant, les premières à se soulever contre l’occidentalisation à marche forcée de la dictature pro-américaine du chah ont été les femmes iraniennes.

Aujourd’hui, la théocratie ne fait que récolter le fruit de ses contradictions et de son aveuglante islamisation imposée par la force. Le rapport conflictuel à la femme n’est d’ailleurs pas le propre des théocraties islamistes, de très nombreux chefs catholiques, partout dans le monde, en adhérant au système patriarcal sont contre la justice de genre.

Une posture patriarcale que l’on retrouve d’ailleurs chez le pape François qui s’impose également comme un dirigeant qui posséderait une connaissance de la vérité immuable et universelle, voulue par Dieu. Pour lui aussi, le contrôle des femmes est un garant des hiérarchies instaurées par l’église pour le contrôle de la douce moitié de l’humanité.

Qui sont alors les ennemis de Dieu ? 

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